À l’approche de la Conférence Climat de Paris (COP21), il semble souffler comme un vent de consensus et d’unanimisme parmi nos dirigeants politiques et économiques. Mais quelle est au fond, au-delà des beaux discours, la véritable position des grandes entreprises sur la crise climatique et sur les politiques à mettre en oeuvre pour y remédier ? Une nouvelle ONG britannique, InfluenceMap, lance aujourd’hui son site internet pour répondre à cette question, en évaluant de manière systématique les positions publiques des multinationales et de leurs lobbies sur toute une série d’enjeux ou de débats politiques liés au climat. Autrement dit : que disent vraiment les multinationales sur des sujets comme les objectifs officiels en matière d’énergies renouvelables ou d’efficacité énergétique, la réforme du marché européen du carbone ou encore le gaz de schiste ?
Le patronat français ne sort pas grandi de l’exercice. Le Medef récolte l’une des plus mauvaises notes possibles, E-. Total fait à peine mieux, avec E+ (tout comme Bayer, Rio Tinto ou Lukoil) ; Airbus et Sanofi récoltent un D ; EDF, sponsor officiel de la COP21, un C- [1] Total se voit notamment reprocher son opposition acharnée à tout objectif européen ambitieux de réduction des émissions de gaz à effet de serre, ainsi que sa campagne publicitaire présentant le pétrole et le gaz comme une « meilleure énergie » (better energy). Le Medef, pour sa part, est pointé du doigt pour son opposition à la taxe carbone en France et son soutien jamais démenti au gaz de schiste, en contradiction flagrante avec certaines déclarations officielles de ses dirigeants dans le cadre de la préparation de la COP21.
InfluenceMap est une initiative conjointe d’investisseurs éthiques comme ShareAction, de chercheurs et de CDP (ex Carbon Disclosure Project), une organisation dédiée à l’évaluation et la divulgation des émissions de gaz à effet de serre des entreprises. Sa méthodologie, élaborée en partenariat avec l’Union of Concerned Scientists, une ONG américaine, tient compte non seulement des déclarations publiques des dirigeants ou encore des documents de communication officiels des entreprises, mais aussi de ce qui peut être connu de leur activité de lobbying réelle, à travers leurs propres obligations déclaratives ou les enquêtes de journalistes d’investigation. (Les activités industrielles concrètes des firmes et leurs impacts demeurent en revanche en dehors du champ de l’évaluation.)
Double discours
L’un des principaux mérites de la démarche est donc de tenir compte non seulement des prises de position officielles des entreprises elles-mêmes, mais aussi de celles des lobbies auxquelles elles appartiennent et qu’elles financent. Il n’est pas rare en effet (lire notre article Le double discours des grandes entreprises européennes sur le climat) que pour faire bonne mesure, une entreprise défende en son nom propre telle politique, par exemple en matière de fiscalité climatique ou d’objectifs de réduction d’émissions, qu’elle contribue en même temps à combattre avec acharnement en sous-main, à travers les divers lobbies auxquels elle appartient.
Le Medef récolte la plus mauvaise note de tous les lobbies et associations professionnelles européennes évaluées par InfluenceMap, aux côtés du Cefic, le lobby de l’industrie chimique, dont le président n’est autre que le français Jean-Pierre Clamadieu, PDG de Solvay, réputé l’éminence grise de François Hollande sur les questions climatiques et environnementales [2]… Seule l’International Aviation Transport Association (IATA) – qui représente les compagnies aériennes du monde et au comité d’administration de laquelle siège Alexandre de Juniac, PDG d’Air France (un autre sponsor de la COP21…) – et quelques lobbies pétroliers nord-américains font pire, avec un F.
De quoi jeter une lumière assez crue sur le grand récit mis en scène par le gouvernement et les dirigeants économiques français à l’approche de la COP21, selon lequel le monde de l’entreprise serait désormais entièrement converti à la lutte contre le dérèglement climatique et tout prêt à nous vendre ses « solutions » pour y remédier. Faudrait-il donc croire que le climat reste bien, en fait, un objet de conflit et un enjeu à haute tension pour les milieux économiques, et que nos « champions nationaux » ne sont pas si exemplaires qu’on nous le suggère ?
Olivier Petitjean
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Photo : Jeanne Menjoulet cc