Comme le rappelle Martine Orange, la législation relative au travail dominical est d’ores et déjà très mal appliquée dans la pratique, en raison de multiples dérogations, mais aussi des pratiques illégales délibérées de certaines enseignes :
[Les] dérogations incessantes [aux dispositions du Code du travail relatives au travail dominical] ont créé un état législatif et réglementaire illisible. Le droit a été remplacé par la politique du fait accompli, une volonté assumée par les grandes enseignes de se mettre en contravention par rapport à la loi. (...) La connivence des pouvoirs publics qui refusent de faire respecter la loi, pire parfois, qui mettent tout en œuvre pour protéger les contrevenants, est constante et finit par poser question. Quelques exemples au hasard. En 2008, les syndicats poursuivaient devant le tribunal administratif l’autorisation donnée par la préfecture de Paris à LVMH, très en pointe sur ce dossier depuis des années, d’ouvrir son magasin Louis Vuitton sur les Champs-Élysées. La veille de l’audience, le préfet, Michel Gaudin, annula l’arrêté. Le procès n’avait donc plus lieu d’être. Le lendemain de l’audience, il reprit le même arrêté confirmant l’autorisation d’ouverture du magasin Louis Vuitton sur les Champs-Élysées. (...)
Jugeant que la multiplication des procédures et des condamnations ne semblait avoir aucun effet, que les autorités publiques ne semblaient toujours pas décidées à faire respecter la loi, le syndicat FO a porté l’affaire plus haut. Il a engagé une procédure auprès de l’Organisation internationale du travail (OIT) contre l’État français pour « carence effective » à faire respecter le repos dominical. L’OIT a déjà rappelé à l’ordre à plusieurs reprises sur le sujet les pouvoirs publics.
Derrière la question du travail dominical se profile donc un double enjeu : une attaque contre l’un des fondements du Code du travail, présenté comme le symbole de la « rigidité » française, mais aussi une mesure au service des intérêts commerciaux des grandes enseignes, contre le petit commerce :
Pourquoi les grandes enseignes font-elles pression sur le gouvernement pour obtenir d’ouvrir le dimanche, alors que tout semble prouver que ce n’est pas rentable ? Les organisations syndicales du commerce ont une vue très arrêtée sur le sujet. Selon elles, le processus s’inscrit dans une guerre commerciale menée par les grandes enseignes et la grande distribution. « La bataille sur l’ouverture du dimanche, c’est d’abord une bataille de parts de marché dans une période de crise », résume Karl Ghazi. (...)
Au-delà de la chute de la consommation, les habitudes des consommateurs changent. Les clients désertent les grandes zones commerciales au-dehors des villes, leur préférant les commerces de proximité et les achats en ligne. Ces changements mettent sous pression les grandes enseignes. Pour ces dernières, les centres-villes sont devenus un enjeu de taille où il importe de se développer ou de se renforcer. Les petits commerces sont un obstacle dans leur marche. Ce sont eux qu’elles visent en priorité pour assurer leur position. Dans ce contexte, l’ouverture le dimanche ou le soir est une arme contre les commerces indépendants : ceux-ci ne peuvent pas assurer des ouvertures sans limite. Les grandes enseignes espèrent ainsi capter leurs clients et les mettre à terre. Sans attendre, les groupes de la grande distribution demandent eux aussi de pouvoir bénéficier de l’ouverture dominicale pour toute la journée – et non plus jusqu’à 13 heures.
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Photo : Jason Whittaker @ flickr CC