Avec 6,6 millions de tonnes d’huile de palme importées en 2016 – soit près de 10% de la production mondiale – l’Union européenne (UE) est le deuxième importateur, derrière l’Inde mais devant la Chine [1]. Le secteur énergétique est, de loin, le principal consommateur : 60 % des importations européennes d’huile de palme lui sont destinées, avec une répartition de 45 % pour les agrocarburants et de 15 % pour la production d’électricité et le chauffage. Le reste est utilisé par les industries de l’alimentation et des cosmétiques.
40 % des terres nécessaires pour produire de l’énergie à destination de l’UE se situent en dehors du territoire européen. « Comme de moins en moins de terres sont disponibles en Asie du Sud-Est, les entreprises déjà présentes en Indonésie et en Malaisie cherchent activement à s’implanter dans de nouvelles régions, telles que l’Amazonie », précise le rapport d’Oxfam. À chaque fois, des familles sont sommées de quitter les terres qu’elles habitent et cultivent, ainsi que les forêts où elles chassent et accèdent à l’eau potable. « Nos terres ont été dévastées, la forêt a disparu et les ruisseaux sont taris et transformés en bourbiers », témoigne un habitant de l’Amazonie péruvienne.
« Les agrocarburants en Europe sont les plus durables au monde », ose pourtant l’industrie européenne du biodiesel [2]. Mais la Cour des comptes européenne ne partage pas cet enthousiasme. Dans un audit consacré au « système de certification de durabilité des biocarburants de l’UE », elle déclare que les régimes de durabilité n’ont pas correctement examiné les effets socio-économiques négatifs tels que les litiges fonciers, le travail forcé, le travail des enfants, les mauvaises conditions de travail pour les agriculteurs ou les dangers pour la santé et la sécurité. La Cour des compte déplore par ailleurs l’absence de prise en compte « des changements indirects d’affectation des sols », lesquels plombent le bilan carbone des agro-carburants.
Un lobby aussi puissant que celui des labos pharmaceutiques
« Un corpus impressionnant de recherches scientifiques démontre les effets néfastes de la plupart des agrocarburants issus de cultures vivrières sur le climat en raison du changement indirect d’affectation des sols », précise le rapport de Oxfam. La demande accrue en matières premières agricoles pour produire des agrocarburants participe à l’extension de l’agriculture sur de nouvelles terres, entraînant la déforestation et la conversion de sols riches en carbone tels que les tourbières. « Une étude de la Commission européenne publiée en mars 2016 révèle qu’en moyenne, les agrocarburants produits à partir de cultures vivrières émettent plus de 50 % de gaz à effet de serre en plus que les carburants fossiles », précise Oxfam. Il n’empêche : l’UE continue de promouvoir les agrocarburants comme des outils pertinents pour atténuer le changement climatique. Des objectifs sans cesse plus ambitieux et plus contraignants sont introduits, incitant à consommer de grandes quantités de bioénergie pour le transport, la production d’électricité et le chauffage. La directive sur les énergies renouvelables impose un objectif de 10 % pour le transport d’ici 2020.
Le lobbying intensif mené par les producteurs d’agrocarburants et leurs partenaires – agriculteurs, entreprises de transformation, fournisseurs de technologies, acteurs de l’industrie automobile... – explique cette apparente contradiction. Selon les dernières données du registre de transparence de l’Union européenne, l’industrie des agrocarburant et ses alliés disposent au total de 600 lobbyistes et de 36,2 à 44,1 millions d’euros « Cela signifie qu’ils ont la capacité de dépasser en nombre l’ensemble du personnel de la Direction générale Énergie de la Commission européenne, dénonce Oxfam. Ils disposent de moyens financiers comparables au lobby pharmaceutique, qui a déclaré en 2015 avoir consacré au lobbying un peu moins de 40 millions d’euros [3]. »
Plus de 3 milliards d’euros pour les contribuables français
Les lobbyistes se servent des outils classiques, mais efficaces, mis en place par l’industrie du tabac dès les années 1960 et réutilisés maintes fois depuis, notamment à Bruxelles : remise en question des études scientifiques prouvant les effets catastrophiques des agrocarburants ; gonflement des avantages notamment en nombre d’emplois créés ; multiplication des mémos à destination des attachés parlementaires ; publications pseudo-scientifiques ; participations aux comités d’expertise sur les bioénergies. « Le groupe français Avril a, par exemple, minutieusement mis en place un réseau d’influence de grande envergure à l’échelle nationale et européenne constitué de 76 lobbyistes et de 3,7 et 4,8 millions d’euros par an », ajoute Armelle Le Comte, chargée des questions climat et énergie pour Oxfam France.
Sans oublier que Xavier Beulin, président du groupe Avril, est aussi président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA). Les industriels disposent donc d’armes solides pour faire pression sur les législateurs, et s’assurer qu’ils développent une politique très favorable aux agrocarburants, qui coûte entre 5,5 et 9,1 milliards d’euros par an aux citoyens européens [4]. En France, la Cour des comptes a estimé que les exonérations fiscales accordées aux producteurs d’agrocarburants entre 2005 et 2014 représentaient une subvention de 3,6 milliards d’euros pour le secteur.
Nolwenn Weiler