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Bonne lecture
« Féminisme washing »
Les projets de TotalEnergies en Ouganda – forer du pétrole dans la région du lac Albert, en partie sur le périmètre d’un parc national, et le transporter jusqu’à la côte tanzanienne au moyen du plus long oléoduc chauffé au monde, EACOP – sont depuis des mois sous le feu des critiques.
Notre nouvelle enquête, intitulée Survivre à EACOP. Les femmes résistent à l’exploitation pétrolière en Ouganda, explore un aspect encore négligé de ces projets : leurs conséquences concrètes pour les femmes.
C’était d’autant plus nécessaire que le groupe pétrolier français utilise abondamment cet argument dans sa communication et ses documents de RSE pour justifier ses projets. Il prétend favoriser la cause des femmes et presque les libérer des discriminations dont elles seraient les victimes dans la société ougandaise.
Nous avons été poser la question aux premières concernées, qui dépeignent une réalité très différente.
D’après ces témoignages, les projets pétroliers ont aggravé les inégalités existantes, et ont créé de nouveaux risques pour les femmes.
D’un côté, les mesures mises en place par TotalEnergies pour « prendre en compte la dimension du genre » paraissent extrêmement superficielles, sinon paternalistes, de l’autre le groupe refuse même d’envisager que l’extraction pétrolière elle-même puisse avoir des conséquences spécifiques pour les femmes.
Notre enquête est à lire ici : Survivre à EACOP.
Pour 100 milliards d’euros, t’as plus rien ?
Il y a presque quatre ans, en pleine épidémie de Covid-19, Emmanuel Macron annonçait en fanfare un grand « plan de relance » à 100 milliards d’euros, abondé par des fonds européens.
À l’époque, l’Observatoire des multinationales alertait sur le risque que ces sommes apparemment conséquentes ne changent pas grand chose à nos enjeux sociaux, écologiques ou industriels, et finissent surtout dans les coffres des grandes entreprises - qui bénéficiaient déjà d’aides publiques massives encore augmentées sous prétexte de crise sanitaire (voir notre initiative Allô Bercy).
Alors que le président de la République vient, sur fond de campagne pour les élections européennes, d’en appeler à un nouveau « choc d’investissement public » pour restaurer la compétitivité européenne, c’était le moment de faire le bilan... et il n’est pas fameux.
Notre enquête montre que l’essentiel des fonds dépensés a bénéficié directement ou indirectement aux entreprises, pas même pour des projets stratégiques ou transformateurs mais à travers des dispositifs de pure aubaine comme la baisse des impôts de production ou les aides à l’embauche d’apprentis.
Par contraste, les services publics et les plus démunis n’ont presque rien eu. Les fonds alloués à l’hôpital dans le cadre du plan de relance, déjà très insuffisants au regard des besoins, ont à peine été dépensés.
Sans même parler de l’incroyable opacité qui règne sur le suivi des dépenses et sur leurs bénéficiaires finaux, à laquelle nous consacrons un article spécifique.
Nos principales conclusions sont à retrouver ici : Plan de relance : 100 milliards d’euros et une opportunité gâchée
Nous avons été invités au Poste pour présenter cette enquête chez David Dufresne. C’est à visionner ici.
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Effets d’annonce, la suite. Il y a quelques jours s’est tenue une nouvelle édition du sommet « Choose France » à l’occasion de laquelle le gouvernement a annoncé de nouveaux investissements de multinationales dans l’Hexagone : 15 milliards d’euros au total, impliquant des groupes comme Microsoft, Amazon ou Pfizer. Comme d’habitude, ces annonces sont à prendre avec beaucoup de grains de sel. Les investissements de Microsoft et Amazon, présentés comme portant sur « l’intelligence artificielle », concernent principalement l’implantation de centres de données. Un article de Rozenn Le Saint pour Mediapart relate, à propos des 1,1 milliard d’euros mis sur la table par Sanofi, les marchandages auxquels ces annonces donnent lieu – et rappelle que le groupe vient en même temps de programmer la suppression de 330 emplois supplémentaires dans sa R&D française. Il y a quelques semaines, on apprenait que le groupe GlobalFoundries était en train de se retirer discrètement du projet phare annoncé lors du sommet « Choose France 2023 » : une usine de semi-conducteurs à Crolles avec 2,9 milliards d’euros de subvention à la clé. La politique économique misant sur l’attractivité (et la servilité) vis-à-vis des multinationales paraît toujours aussi peu de nature à remédier à la désindustrialisation et à répondre aux enjeux de la France et de l’Europe.
L’UE arme le Moyen-Orient. L’Union européenne se veut un projet de paix, mais elle est aussi l’un des principaux marchands d’armes de la planète. Selon un nouveau rapport signé par quatre ONG dont la FIDH et l’Observatoire des armements, elle représente 24% des ventes d’armes mondiales, dont la majeure partie atterrit dans les pays du Moyen-Orient. Les entreprises concernées sont françaises, mais aussi allemandes et italiennes. Invoquant la situation en Ukraine, les dirigeants européens paraissent décidés à accroître encore leur soutien à l’industrie de la défense, mais le résultat le plus probable de cette politique sera d’aggraver les conflits et les atteintes aux droits humains au Sud et à l’Est de la Méditerranée.
Le financement des énergies fossiles en débat. Le PDG de TotalEnergies Patrick Pouyanné a fait sensation en évoquant la possibilité que son entreprise transfère son lieu de cotation principale à New York plutôt que Paris. Le groupe pétrogazier est familier de ces coups de pression. En 2013, sur fond de débats sur la fiscalité et la régulation financière, il avait déjà délocalisé une partie de sa direction financière à Londres. Aujourd’hui, Patrick Pouyanné a notamment dénoncé la volonté de taxer les rachats d’actions. Mais l’enjeu fondamental est celui de la valorisation boursière du groupe relativement à celle des majors américaines, et du (très relatif) désamour des investisseurs européens pour les énergies fossiles, qui ont fait monter la part des investisseurs américains dans son capital. Les déclarations de Patrick Pouyanné ont eu pour effet d’intensifier encore les appels des dirigeants français à une « union des marchés des capitaux » - entendre : un marché boursier européen comparable à Wall Street, alimenté par davantage de régimes de retraite par capitalisation. Autre enjeu pour TotalEnergies : le financement de ses projets, alors que celui d’EACOP se révèle très difficile à boucler et que les grands acteurs financiers européens sont amenés à se poser de plus en plus de questions sur leur soutien. Comme en témoigne la dernière édition du rapport annuel Banking on Clmate Chaos », le financement des banques françaises aux énergies fossiles a commencé à légèrement baisser. En ligne de mire désormais, peut-être : le financement de TotalEnergies à travers ses émissions obligataires.