17.11.2014 • Armes controversées

Les grandes banques impliquées dans le financement de l’armement nucléaire

L’organisation néerlandaise Pax a analysé les financements dont profitent les entreprises d’armement impliquées dans la fabrication, le stockage et l’entretien d’armes nucléaires. La plupart des grandes banques françaises, y compris les banques mutualistes, figurent parmi ces investisseurs. Certaines, comme BNP Paribas, se sont pourtant dotées de charte leur interdisant en théorie de financer des armes dites « controversées », dont l’arme atomique. Ailleurs en Europe, des institutions financières éthiques ont banni ce type de financement.

Publié le 17 novembre 2014 , par Rachel Knaebel

Dans un rapport (à lire ici, en anglais) rendu public le 7 novembre sous le titre Don’t Bank on the Bomb ! (« Ne misez pas sur la bombe ! »), l’ONG pacifiste néerlandaise Pax a examiné le financement de 28 entreprises qui travaillent, entre autres, dans la fabrication, la maintenance ou le stockage des missiles et têtes nucléaires. Et ce en France, aux États-Unis, en Inde, au Royaume Uni et en Israël. Une liste dans laquelle on retrouve des entreprises françaises comme Airbus/EADS, Safran et Thales.

Résultat : au cours des trois dernières années, 411 banques, compagnies d’assurances ou fonds de pension du monde entier ont mis à la disposition des fabricants d’armes nucléaires plus de 400 milliards de dollars. Autrement dit, les grandes banques mondiales - y compris celles qui sont issues du mouvement mutualiste et de l’économie sociale - sont (presque) toutes impliquées dans cette industrie.

Des armes pourtant reconnues comme controversées par les banquiers

La banque française BNP Paribas arrive parmi les dix plus grands pourvoyeurs de fonds aux producteurs d’armes nucléaires. C’est la seule banque européenne dans le « top 10 », aux côtés de neuf banques étasuniennes. BNP Paribas a investi presque 7 milliards de dollars ces trois dernières années dans une quinzaine d’entreprises d’armement américaines et européennes. La BNP s’est pourtant imposée une politique d’investissement responsable en matière de défense (voir ici).

Le document en question indique que la banque ne souhaite pas participer au financement de transactions portant sur les armes dites « controversées », c’est-à-dire les armes à sous-munitions, les mines antipersonnelles, les armes chimiques et biologiques et les armes nucléaires. La banque y assure aussi ne pas vouloir être impliquée dans la fourniture de produits et services financiers à des entreprises engagées dans « la fabrication, le commerce ou le stockage d’armes controversées. » Mais la BNP prend bien soin d’ajouter en note que cette ligne de conduite ne vaut pas pour « les sociétés contribuant aux programmes nucléaires des États de l’Alliance atlantique (l’Otan) autorisés à posséder des armes nucléaires en vertu du Traité de non-prolifération », c’est-à-dire les États-Unis, le Royaume Uni et la France. Le tour est joué !

D’autres grandes banques françaises investissent au sein de ces grandes entreprises nationales et internationales d’armement sans même avoir vraiment adopté de politique en la matière. C’est le cas de la Société générale, qui a prêté plus de 3,6 milliards de dollars à six fabricants d’armes depuis 2011. Les banques de « l’économie sociale » elles non plus n’ont pas pris les mesures nécessaires pour éviter d’investir dans l’arme atomique. Les industries concernées ont reçu 4,7 milliards de dollars du Crédit agricole, 1,4 milliard de BPCE et 853 millions du Crédit mutuel. Qu’en pensent leurs sociétaires ?

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Désinvestissement

L’étude suit les flux qui vont vers les entreprises dans leur globalité. Or, la plupart sont des grands groupes d’armement qui abritent aussi des activités civiles. L’ONG ne distingue pas précisément l’argent qui va vers les segments des entreprises qui s’occupent d’armement nucléaire en particulier - cette information n’étant précisément pas rendues disponibles par les entreprises. C’est d’ailleurs la ligne de défense adoptée en Allemagne par la Commerzbank, mise en cause par le rapport. Et les entreprises françaises visées (Thales, Safran, Airbus group) sont des groupes dans lesquels même l’État français possède une participation. « Nous ne spécifions pas dans le rapport les sommes allant vers l’activité de l’armement nucléaire en particulier parce que nous considérons que tout investissement dans ces entreprises actives dans les armes nucléaires ne devrait de toute façon pas se faire », défend Suzanne van den Eynden de l’ONG Pax.

Certaines banques et certains fonds d’investissement du monde entier ont fait le choix d’exclure totalement de leurs portefeuilles les entreprises dont même une partie de l’activité touche aux armements nucléaires et aux armes en général. C’est le cas de la banque éthique néerlandaise ASN Bank. Elle s’interdit tout investissement et financement dans des sociétés impliquées dans la fabrication, la distribution ou le commerce d’armes. Tout comme la Banca Etica italienne ou la compagnie d’assurance suédoise Folksam. Un exemple que pourrait suivre les banques françaises, notamment celles qui se revendiquent de « l’économie sociale ».

Pour Suzanne van den Eynden, « le désinvestissement fait clairement savoir aux firmes concernées qu’aussi longtemps qu’elles resteront liées aux programmes d’armement nucléaire, elles seront considérées elles-mêmes comme illégitimes, et comme un mauvais objet d’investissement. Le désinvestissement, opéré même par un petit nombre d’institutions, peut avoir un impact significatif sur l’orientation stratégique d’une société. » La branche française de la campagne internationale contre les armes nucléaires Ican va d’ailleurs cibler les clients des banques mises en cause dans le rapport.

Rachel Knaebel

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Photo : missile balistique intercontinental Titan (Etats-unis) / CC Devin Ford

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