En octobre dernier, nous vous expliquions comment des laboratoires pharmaceutiques rémunèrent des médecins pour des études scientifiquement contestées (lire notre enquête). Officiellement, le principe de ces études est le suivant : une fois qu’un médicament est mis sur le marché, les laboratoires cherchent à mesurer son efficacité et la manière dont les patients le supportent en conditions réelles. Pour cela, les entreprises pharmaceutiques rémunèrent des médecins afin qu’ils remplissent des cahiers d’observation. Ces données sont remontées auprès des laboratoires, qui peuvent ensuite améliorer les traitements.
Dans la pratique, ces études dites « observationnelles » auraient souvent un objectif commercial : en rémunérant les médecins, les laboratoires pharmaceutiques promeuvent l’utilisation de leur médicament plutôt que celui d’un concurrent. C’est ce que nous étudions dans notre enquête.
Une nouvelle étude scientifique, publiée début février dans le British Medical Journal, éclaire un peu plus ces pratiques. 558 études observationnelles menées en Allemagne ont été étudiées par les auteurs de l’article. Les médecins qui y ont participé ont reçu en moyenne 19 424 euros par étude (la rémunération maximum étant de 2 millions d’euros !), soit une dépense moyenne des laboratoires de 441 euros par patient [1]. Pour quels résultats ? C’est là que le bât blesse. Aucun événement indésirable n’a été reporté auprès de la pharmacovigilance allemande. Moins de 1 % des études a pu être vérifié grâce à des publications dans des journaux scientifiques, les données étant la plupart du temps confidentielles. De quoi douter des visées scientifiques des laboratoires.
À quoi servent donc ces études ? « Les fortes rémunérations payées par les entreprises aux médecins participants pourraient servir les intérêts commerciaux plutôt que la pharmacovigilance transparente et effective », estiment les auteurs de l’article. Pour eux, « la sécurité des médicaments peut être mise en danger par cette pratique actuelle ». Ils pointent du doigt les clauses de confidentialité signées par les médecins. Ces clauses les obligent à faire remonter les effets indésirables exclusivement auprès du laboratoire finançant l’étude. Pour respecter leur engagement, les médecins peuvent ainsi ne pas contacter les autorités sanitaires chargées de collecter ces données sur les effets indésirables...
Contrairement à l’Allemagne, il est impossible d’avoir des données aussi précises en France. Pour le moment, les autorités sanitaires françaises n’ont pas décidé d’imposer la transparence et une régulation efficace de ces études observationnelles.
Simon Gouin
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Photo : Me CC