L’enquête de Nicolas Cori pour Les jours met en lumière l’existence de pas moins de 26 filiales d’Engie au Luxembourg (non mentionnées dans ses documents financiers officiels, qui ne répertorient que les « principales filiales »), lesquelles relèvent dans leur immense majorité soit du gaz naturel liquéfié (gestion des contrats d’approvisionnement et trading) soit de la « trésorerie » :
De fait, [les] quatre [filiales d’Engie visées par la Commission] remplissent avant tout des fonctions tournées vers l’international et, à une exception près, existent depuis moins de dix ans. GDF Suez LNG Supply et GDF Suez LNG (Luxembourg) ont été créées en 2009 afin de localiser à Luxembourg des équipes de trading international de gaz liquéfié. La première des deux filiales possède ainsi des méthaniers géants, comme le GDF Suez Cape Ann ou le GDF Suez Point Fortin, et dispose de la propriété des contrats de fourniture auprès des producteurs de gaz. En quelques années, son chiffre d’affaires a explosé : de zéro en 2009, il est passé à 3,5 milliards de dollars (3,1 milliards d’euros) en 2012. Quant à GDF Suez Treasury Management (rebaptisé Engie Treasury Management), elle n’existe que depuis 2011 et centralise la trésorerie européenne de tout le groupe : une fonction appelée « cash pooling » en bon jargon financier. Enfin, Electrabel Invest, créée en 1953 sous le nom de « Société de participations et d’études d’installations hydro-électriques », a surtout une activité de holding, c’est-à-dire qu’elle a vocation à détenir les participations des sociétés industrielles du groupe. Ses derniers comptes publiés – en 2008 – indiquent qu’elle possédait 45 % d’Electrabel Italia, une société exploitant plusieurs centrales en Italie.
Les quatre sociétés luxembourgeoises sont soupçonnées par les services de la commissaire européenne à la Concurrence, la Danoise Margrethe Vestager, d’avoir obtenu du fisc un traitement de faveur à propos de deux opérations intra-groupe, c’est-à-dire d’opérations n’ayant aucune réalité économique autre que celle d’obtenir une exonération fiscale.
Lire l’intégralité de l’enquête (et celles qui lui sont liées) sur le site de Les Jours (abonnement).
L’enquête précise également le montant d’une des transactions problématiques entre filiales d’Engie visée par la Commission : 646 millions de dollars. Et elle signale l’existence d’autres filiales d’Engie, domiciliées à la même adresse que celles sur lesquelles enquête la Commission, qui ne semblent exister que pour des fins d’optimisation fiscale. La direction d’Engie l’avait même explicitement avoué, il y a quelques années, dans un document destiné à son comité d’entreprise et déterré par Nicolas Cori :
Il y a quatre ans, la direction du groupe français justifiait ainsi devant son comité d’entreprise la création de Storengy International : ce "choix d’une société de droit luxembourgeois (…) répond (…) à un schéma d’optimisation fiscale retenu par le groupe pour la remontée des dividendes notamment". Interpellée par la CGT, qui s’était émue de cette "délocalisation fiscale", Engie avait ensuite revu son argument, ne parlant plus que d’"optimisation administrative et financière de ses activités" et assurant que le Luxembourg avait été choisi parce qu’il "présente une stabilité de l’environnement économique favorable pour ce type de structure". Notons que « stabilité » est le mot fétiche utilisé par les Luxembourgeois pour faire la promotion des avantages fiscaux de leur pays.
Comme cela avait été le cas lors de la révélation de pratiques similaires d’optimisation fiscale d’autres entreprises publiques comme EDF (lire nos articles ici et là), le ministre français de l’Économie et des Finances a assuré qu’il s’efforcerait de faire la lumière sur ce type de pratiques de la part d’entreprises dont l’État est actionnaire. Dans le même temps, dans le cadre de l’examen de la loi Sapin 2, le gouvernement a choisi une nouvelle fois d’en rester au service minimum en matière de transparence fiscale requise des entreprises.
La nouvelle directrice générale d’Engie, Isabelle Kocher, s’est empressée de déclarer à la presse que ce n’était pas Engie qui était visée, mais le Luxembourg...
OP
—
Photo : Francisco Anzola CC