Entre les beaux discours des grandes entreprises sur le climat et la réalité, le fossé est souvent béant. Nouvelle illustration avec la Société générale, qui vient de publier son Document de référence, le document dans lequel elle rend compte des ses activités de l’année écoulée auprès de ses actionnaires et des autorités publiques. Pas moins de huit pages de ce document sont consacrées au « rôle de la Société générale dans la lutte contre le changement climatique », et à les lire, le lecteur innocent serait pardonné de penser que la banque est désormais un modèle d’écologie et de sobriété. Pourtant, à y regarder de plus près, le vernis vert commence vite à craquer.
Prenons un seul chiffre : la Société générale affiche fièrement 46,4% de sources renouvelables dans son « mix électrique financé », autrement dit la part des énergies vertes dans les projets d’électricité qu’elle finance. Mais il ne s’agit bien là que des projets liés à la génération d’électricité stricto sensu, à l’exclusion des autres projets énergétiques comme l’extraction ou la consommation de pétrole et de gaz. Or, comme vient de le rappeler un rapport de l’association écologiste Les Amis de la Terre, la Société générale joue un rôle clé dans le financement de l’industrie gazière au niveau mondial, en particulier le Corridor gazier sud, projet de gazoduc géant entre l’Azerbaïdjan et l’Italie (lire notre article), et les exportations de gaz de schiste américain vers la France et le reste de l’Europe. Avec 2,4 milliards de dollars investis dans les entreprises développant des projets de gaz de schiste en Amérique du Nord, elle est la 7e banque internationale et la 1ère française dans ce secteur, loin devant BNP Paribas (qui a annoncé son retrait de toute la filière gaz de schiste), Crédit Agricole ou encore Natixis.
Ceci expliquerait-il cela ? On retrouve dans le conseil d’administration de la Société générale plusieurs représentants de l’industrie gazière, à commencer par son nouveau président Lorenzo Bini Smaghi, également président du conseil d’administration d’Italgas, le leader italien de la distribution urbaine de gaz, et ancien président du groupe italien Snam, l’un des principaux exploitants de gazoducs d’Europe. S’y ajoutent Robert Castaigne, ancien cadre de Total et administrateur de Novatek, l’entreprise gazière russe qui développe Yamal LNG (lire notre enquête), et Gérard Mestrallet, ancien PDG d’Engie, l’entreprise héritière de Gaz de France.
Le nucléaire, énergie « renouvelable » ?
Ce n’est pas la seule entourloupe : pour pouvoir afficher le chiffre de 46,4% dans son Document de référence, la Société générale n’hésite pas à comptabiliser l’énergie nucléaire comme une énergie « renouvelable », amalgame d’un autre âge auquel ne s’osent même plus les plus fervents partisans de l’atome. Dépendant de ressources limitées en uranium, produisant des déchets dont on ne sait que faire, le nucléaire n’a rien de « renouvelable ». Et si l’on tient compte de l’aval et de l’amont, l’électricité produite par les centrales atomiques produit elle aussi des émissions significatives de gaz à effet de serre (lire notre article).
Là encore, l’enthousiasme de la Société générale pour l’énergie atomique s’explique peut-être par le fait qu’un autre membre de son conseil d’administration n’est autre que Jean-Bernard Lévy, l’actuel PDG d’EDF. Si l’on y ajoute Alexandra Schaapveld, également membre du conseil de surveillance de deux entreprises parapétrolières, la française Vallourec et la malaisienne Bumi Armada Berhad, le conseil d’administration de la banque compte 5 représentants des énergies sales sur 12 membres. Presque autant que de banquiers...
Mathieu Paris et Olivier Petitjean
—
Photo : Rich CC via flickr