Le 4 mai, les avocats de la communauté nigériane Ikebiri ont déposé plainte contre Eni, la firme pétrolière italienne, devant un tribunal milanais. Les plaignants mettent en cause l’inaction d’Eni suite à l’explosion d’un oléoduc en 2010 qui a affecté leurs terres et leurs rivières, dans le delta du Niger. Les villageois demandent deux millions d’euros de dommages ainsi que la réhabilitation complète du site par la firme italienne. Ils sont appuyés par les Amis de la Terre Europe et Nigeria (lire les éléments que les ONG ont rassemblés pour appuyer leur plainte ici, en anglais).
La filiale locale d’Eni, Nigerian Agip Oil Company ou NAOC, qui opère sept puits dans la zone, déclare avoir nettoyé le site après l’incident, mais selon les villageois, ses employés n’ont fait que brûler le pétrole qui s’était répandu par terre et dans les cours d’eau. Eni a versé aux villageois des sommes dérisoires de quelques milliers d’euros immédiatement après les faits, et refuse depuis de faire un quelconque geste supplémentaire. Francis Temi Ododo, roi de la communauté Ikebiri déclare que sa communauté « ne peut plus attendre. Nous avons souffert de la pollution d’Eni depuis trop longtemps, qui a endommagé notre pêche, notre agriculture et nos vies. Nous nous tournons désormais vers les tribunaux italiens pour obtenir justice. »
Les marées noires et les fuites de pétrole sont une réalité quotidienne dans ce pays africain, avec des conséquences dramatiques pour l’environnement, la santé et les moyens de subsistance des populations (voir la liste de nos articles et enquêtes sur le Nigeria). Eni, très présente au Nigeria, se vante désormais d’être le premier producteur pétrolier sur le continent africain - un titre qui lui est chaudement contesté par Total.
Vers la fin de l’impunité des multinationales ?
L’entreprise anglo-néerlandaise Shell a elle aussi fait l’objet de plusieurs procédures judiciaires pour des faits similaires aux États-Unis, en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas. Ces procédures s’étaient soldées soit par des non-lieux (les juges s’estimant non compétents) soit par des transactions à l’amiable.
En France, la loi sur le devoir de vigilance des multinationales, finalement adoptée il y a quelques mois, vise à lever partiellement les obstacles juridiques qui s’opposent à la mise en cause des sociétés-mères occidentales pour les pratiques de leurs filiales dans les pays tiers.
L’un des principaux arguments des opposants à la loi était que la France ne devait pas avancer seule dans ce domaine, pour ne pas nuire à la compétitivité de ses entreprises. La multiplication des procédures juridiques dans d’autres pays d’Europe contre des firmes pétrolières ou des marques textiles (comme en Allemagne) montre au contraire que l’impunité dont ont longtemps bénéficié les multinationales comme Shell ou Eni devient de plus en plus inacceptable.
Olivier Petitjean
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Photo : Luka Tomac/Friends of the Earth International CC