21.10.2013 • Prix de l’énergie

Nucléaire en Grande-Bretagne : les citoyens britanniques subventionneront massivement les réacteurs EPR d’EDF

EDF annonce la signature d’un accord avec le gouvernement britannique en vue de la construction de réacteurs EPR. L’entreprise française, déjà l’un des principaux producteurs et distributeurs d’électricité au Royaume-Uni, bénéficiera d’aides publiques massives. Trop massives peut-être, car il n’est pas du tout garanti que la Commission européenne donne son aval au projet.

Publié le 21 octobre 2013 , par Olivier Petitjean

Après plusieurs mois de négociations, EDF et le gouvernement britannique ont annoncé avoir trouvé un accord en vue de la construction, par l’entreprise française, de deux nouveaux réacteurs EPR au Royaume-Uni, à Hinkley Point dans le Somerset, à l’horizon 2023. Un accord hautement symbolique puisque, s’ils voyaient le jour, il s’agirait des premiers réacteurs nucléaires dans ce pays depuis près de 20 ans, et des premiers en Europe depuis la catastrophe de Fukushima. Un projet immense doté d’un budget de 19 milliards d’euros, qui profitera par ricochet à d’autres entreprises françaises. Areva, fournisseur des deux réacteurs EPR de 1650 MW chacun (une technologie qu’elle peinait à vendre depuis plusieurs années), a évoqué une participation de 10% au consortium. Alstom et Bouygues devraient également être associées au chantier.

Depuis presque une année, le dernier point sur lequel achoppaient les négociations était celui de « strike price », le prix d’achat garanti de l’électricité produite par ces nouveaux réacteurs. Finalement, il sera de 92,5 livres le MWh (109 euros), pour une durée de 35 ans. Soit deux fois plus que le prix de gros actuel du MWh au Royaume-Uni [1] : si ce prix reste inférieur au « strike price », le gouvernement britannique versera la différence à EDF, et ce jusqu’en 2050. Un chiffre qui révèle aussi le véritable coût de l’énergie nucléaire en général et de l’EPR en particulier. Il est vrai qu’EDF avait commencé par réclamer un prix garanti de l’ordre de 150 livres.

Les discussions traînaient depuis des mois et beaucoup doutaient qu’elles puissent aboutir. L’implication de partenaires chinois – la China National Nuclear Corporation (CNNC) et le Chinese General Nuclear Power Group (CGNPC), entreprises étatiques déjà associée à EDF et Areva pour construire deux réacteurs EPR à Taishan – semble avoir permis de lever les dernières barrières. Ces firmes devraient prendre entre 30 et 40% des parts du consortium. George Osborne, ministre britannique des finances, a même ouvert la porte à la construction sur le territoire britannique de futures centrales nucléaires détenues majoritairement ou à 100% par des Chinois. Promesse qui n’a pas été du goût de tout le monde, de nombreux critiques reprochant au gouvernement conservateur de mettre un secteur aussi stratégique à la merci des intérêts politico-commerciaux chinois.

Malgré les effets d’annonce, il est encore loin d’être assuré que le projet d’Hinkley Point se concrétise. Un obstacle de poids se dresse sur son chemin, celui de la Commission européenne. Celle-ci doit avaliser l’accord conclu entre EDF, le gouvernement britannique et les Chinois à l’aune des règles de libre concurrence de l’Union. Comme le révèle le Financial Times, Britanniques et Français ont tenté de contourner ces règles en tâchant de convaincre la Commission d’appliquer aux subventions au nucléaire les mêmes dispositions que pour les énergies renouvelables. Mais ils se sont retrouvés face au refus catégorique de la plupart de leurs partenaires, Allemands en tête. La Commission devra trancher sur l’accord entre EDF et le gouvernement britannique au terme d’une procédure qui durera au moins un an.

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Hausses des tarifs de l’énergie

Les aides et facilités financières accordées par le gouvernement britannique à EDF et ses partenaires seront supportées en dernière instance par les citoyens britanniques, soit directement en tant que contribuables, soit indirectement à travers leurs factures d’électricité et de gaz. À la fin de l’année 2012, dans le cadre de sa loi sur l’énergie (celle qui instituait le principe des « strike prices »), le gouvernement conservateur de David Cameron avait décidé une augmentation drastique de la taxe sur les factures censée financer les énergies faiblement émettrices de CO2, dont le nucléaire. EDF avait applaudi des deux mains. L’objectif était de collecter 9,4 milliards d’euros (7,6 milliards de livres) d’ici 2020, dont les constructeurs de centrales nucléaires pourront s’accaparer la plus grande partie. Le programme de « renaissance nucléaire » initié en leur temps par les travaillistes de Tony Blair prévoit en effet pas moins de douze nouveaux réacteurs, EDF espérant en construire quatre en tout. Le projet d’Hinkley Point est le seul qui ait dépassé le stade conceptuel [2].

Des analystes financiers estimaient alors qu’il en résulterait une hausse de près d’un tiers des factures d’électricité des Britanniques, qui sont déjà supérieures de 10 à 15% en moyenne aux factures françaises. Dans un contexte d’austérité budgétaire particulièrement brutale au Royaume-Uni, la question du prix de l’électricité et du gaz est devenue politiquement sensible. Le leader de l’opposition travailliste, Ed Miliband, a annoncé qu’en cas de victoire aux prochaines élections, il gèlerait les tarifs énergétiques. Même l’archevêque de Canterbury, primat de l’Église anglicane, a joint sa voix aux critiques qui dénoncent des augmentations injustifiées. EDF, ironiquement, a répondu en rejetant la responsabilité de ces hausses sur les taxes « vertes ».

EDF fait-elle la loi à Londres ?

L’entreprise publique française est un acteur de poids sur le marché de l’énergie britannique. Elle est l’un des six principaux distributeurs du pays – qui a augmenté ses tarifs de 11% d’un coup fin 2012, alors même que la filiale britannique annonçait 1,6 milliard de livres de profit. Du côté de la production, elle contrôle le parc actuel, et vieillissant, de centrales nucléaires, ainsi que plusieurs centrales au charbon. EDF construit par ailleurs - toujours avec l’aide financière du gouvernement britannique - des parcs éoliens et des centrales au gaz, dont l’une a d’ailleurs été occupée pendant une semaine l’année dernière par des militants de la justice climatique.

Comment expliquer que, malgré les déboires accumulés par les chantiers de l’EPR en Finlande et en France, le gouvernement britannique ait accepté de se lancer dans cette aventure, en offrant des conditions aussi favorables au groupe français et à ses partenaires ? D’aucuns y verront l’ultime conséquence de la libéralisation totale du marché de l’énergie au Royaume-Uni à la fin des années 1980. Du fait de l’absence d’orientation politique et financière de long terme, le pays fait face à des décisions difficiles pour assurer l’avenir de l’approvisionnement énergétique du pays (lire Comment le Royaume-Uni a privatisé son électricité ). EDF, qui contrôle une grosse partie de la capacité de production électrique du Royaume-Uni, ne s’est pas privé de brandir la menace de futurs black-outs (comme l’ont fait aussi d’ailleurs récemment les géants européens de l’énergie pour réclamer une baisse des subventions aux renouvelables). Le gouvernement britannique est partagés entre les partisans de l’énergie éolienne, ceux du nucléaire, et ceux du gaz, emmenés par le chancelier George Osborne, lequel a pris une série de mesures pour favoriser l’exploitation des gaz de schiste dans le pays.

De manière quelque peu paradoxale, le pays pionnier de la privatisation du marché de l’électricité se retrouve donc contraint aujourd’hui, pour assurer sa sécurité énergétique, de recourir aux services d’une entreprise publique française dont l’État détient 86% et de groupes chinois eux aussi sous contrôle d’un gouvernement d’obédience communiste.

Un document révélé en fin d’année dernière par le quotidien The Guardian donne une petite idée de la nature du travail de « persuasion » effectué par EDF et les lobbies nucléaires. Il révèle que les hauts fonctionnaires de l’Office pour le développement du nucléaire ont été régulièrement invités depuis trois ans dans des restaurants londoniens très selects par divers groupes et lobbies de l’industrie nucléaire, mais également par des entreprises directement intéressées, dont les françaises EDF, Areva et Alstom. Plus généralement, selon le quotidien britannique, EDF et les autres firmes énergétiques ont acquis une influence politique considérable sur le gouvernement conservateur, en mettant leurs propres cadres en disponibilité pour les placer dans des postes cruciaux au sein des ministères concernés.

Olivier Petitjean

Photo : CC me’nthedogs

Boîte Noire

Cet article reprend certains éléments d’un article précédent publié par Basta ! en décembre 2012.

Notes

[1En France, le prix officiel du MWh est de 49,5 euros, selon le dernier rapport sur la question de la Cour des comptes.

[2GDF-Suez est également impliquée, via un consortium, dans un autre projet de centrale nucléaire, beaucoup moins avancé, et pour lequel l’entreprise réclame elle aussi davantage d’« incitations financières » (voir ici).

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