17.01.2023 • Portes tournantes

Pantouflage : l’ex ministre Julien Denormandie se rit des règles déontologiques

L’ancien ministre de l’Agriculture Julien Denormandie est aujourd’hui au service (entre autres) d’une start-up et d’un fonds d’investissement. Il a fait fi des avertissements de la Haute autorité de la transparence de la vie publique en rencontrant le ministre délégué au Numérique, quelques mois à peine après son départ du gouvernement, pour défendre les intérêts de son nouvel employeur.

Publié le 17 janvier 2023 , par Olivier Petitjean

En nous plongeant dans l’agenda du ministre délégué au Numérique Jean-Noël Barrot (lire notre article), nous sommes tombés sur une entrée qui ne manque pas d’interroger, et qui prend d’autant plus de relief que les controverses sur les départs vers le privé d’anciens ministres et dirigeants politiques ne cessent de se multiplier.

Le mercredi 9 novembre 2022, en effet, Jean-Noël Barrot a noté dans son agenda un « entretien avec Julien Denormandie, ancien ministre », sans plus de précision. L’heure ? 21 heures – ce qui donne à penser que ledit entretien s’est fait autour d’un dîner.

L’ancien ministre de l’Agriculture fait partie de ces ex ministres de la Macronie qui ont fait le choix de partir vers le privé. C’est même un multi-pantoufler. Il a rejoint la start-up Sweep, dédiée à l’accompagnement des entreprises sur leur « gestion carbone », en tant que « chief impact officer ». Il a annoncé dans le même temps à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) son projet de créer sa propre société de « conseil », autrement dit de lobbying. Il a également rejoint le conseil d’administration d’une société en conseil immobilier en cours de création, Flexipro, ainsi que la conseil de surveillance d’Agence France Locale, établissement de crédit détenu par les collectivités territoriales.

Enfin, il a rejoint en octobre le fonds d’investissement Raise en tant que « senior advisor ». Raise est un fonds d’investissement co-fondé par Clara Gaymard, patronne de General Electric France jusqu’à la reprise des activités d’Alstom, administratrice de plusieurs groupes du CAC40, et épouse de l’ancien ministre Hervé Gaymard – celui-là même qui a dû démissionner en 2005 après que la presse ait révélé que l’il occupait avec sa famille un appartement parisien de 600 mètres carré dont le loyer mensuel de 14 400 euros était entièrement payé par l’État.

Pour la petite histoire, Raise a notamment pris une participation en 2019 dans le cabinet de lobbying Avisa Partners, qui a récemment défrayé la chronique pour sa pratique de faire rédiger des fausses tribunes dans la presse pour le compte de ses clients, et qui a un temps employé une autre ministre de la Macronie, Oliva Grégoire.

Curieusement, contrairement à ce qui a été le cas pour Sweep, Flexipro et Agence France Locale, la Haute autorité pour la transparence de la vie publique ne semble pas avoir été saisie de l’embauche de Julien Denormandie par Raise. Sollicitée, la HATVP nous a précisé que cette prise de poste était « en réalité une prestation de conseil assurée par la société de M. Denormandie », et donc couverte par la délibération de l’autorité relative à la création de cette société.

L’agenda de Jean-Noël Barrot ne précise pas à quel titre il a rencontré l’ancien ministre. Les services de Bercy, que nous avons sollicités, nous ont précisé que c’était au titre des nouvelles fonctions de Julien Denormandie au sein de Sweep, entreprise numérique qui relève du portefeuille du ministre délégué.

L’ex ministre de l’Agriculture avait saisi la HATVP à propos de son embauche par Sweep, et l’Autorité avait émis en août dernier un avis favorable avec réserves, stipulant notamment qu’il devait s’abstenir « de toute démarche, y compris de représentation d’intérêts, auprès des membres du Gouvernement en exercice et qui l’étaient également lorsqu’il était ministre ». Ce sont les conditions types imposées aux responsables politiques débauchés par le privé. Julien Denormandie n’a visiblement pas pris cet avis très au sérieux, ou bien a estimé pouvoir passer à travers les mailles du filet du fait qu’ils n’étaient pas au gouvernement aux mêmes dates.

La HATVP nous a confirmé depuis que ses réserves ne visaient que les ministres ayant occupé des postes ministériels au même moment. Cette distinction ignore le fond du problème, et paraît bien ténue s’agissant de deux ministres de la même majorité parlementaire, en poste sous le même président dans deux gouvernements dont les membres sont largement les mêmes.

Au-delà du cas personnel de l’ex ministre de l’Agriculture, l’affaire confirme surtout ce qu’a de problématique la pratique des « portes tournantes » entre secteurs public et privé, particulièrement lorsqu’elle concerne d’anciens ministres qui peuvent se prévaloir de leur statut pour défendre des intérêts privés au plus haut niveau. Le mélange des genres ouvre une vaste zone grise d’opacité et de conflits d’intérêts latents.

OP

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Photo : Jacques Paquier cc by via Wikimedia Commons

Boîte Noire

Article complété le mardi 17 janvier à 16h après avoir reçu les précisions de la HATVP, sollicitées en amont de l’article.

Suite à la publication de cet article, Avisa Partners nous a demandé de faire publier le droit de réponse suivant :

« Contrairement à ce que vous indiquez, Avisa Partners n’a pas pour pratique de rédiger ou de faire rédiger des « fausses tribunes » dans la presse pour le compte de ses clients, et a d’ailleurs engagé des actions judiciaires contre ceux qui ont affirmé, puis relayé cette accusation. Les tribunes évoquées ont toujours été signées par de réels experts, n’ont jamais colporté de fausses informations, et, au regard du fait qu’elles respectaient tant le droit de la presse que les conditions générales des médias, ont toujours été validées par ces derniers, qui furent libres de les publier ou non, comme de les maintenir en ligne. Par ailleurs, Olivia Grégoire, jeune consultante il y a plus de 10 ans chez Avisa Partners, n’a jamais eu des fonctions de mandataire social ou de direction au sein de l’entreprise. »

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