L’appel lancé par 170 organisations de la société civile n’y aura rien fait : le Conseil du Fonds vert pour le climat a décidé, lors de sa récente réunion en Corée du sud, d’accréditer HSBC et le Crédit agricole. Il avait déjà accrédité la Deutsche Bank en 2015. Concrètement, cela signifie que ces banques auront la charge de gérer l’argent collecté par le Fonds vert auprès des pays riches, et d’affecter cet argent au financement de projets de lutte contre le réchauffement climatique ou d’adaptation à ses conséquences dans les pays les plus vulnérables. Le tout en se prévalant de la légitimité des Nations unies. Pièce maîtresse de l’action internationale en matière de climat, le Fonds vert gère actuellement autour de 10 milliards de dollars. Des pays comme les États-Unis et la France ont promis de verser plusieurs milliards supplémentaires.
Pour les Amis de la terre, qui ont relayé l’appel de la société civile en France, « c’est la légitimité même du Fonds qui est en jeu ». Aussi bien Deutsche Bank que le Crédit agricole et HSBC sont impliquées dans de multiples scandales financiers, comme celui de la manipulation du Libor, ainsi que dans des affaires d’évasion fiscale. Elles se caractérisent aussi par « des milliards de financements aux énergies fossiles et notamment au charbon », explique Lucie Pinson, chargée de campagne au sein de l’association écologiste. « C’est demander à un pyromane d’éteindre un feu. » Plusieurs pays européens - mais non la France - auraient relevé publiquement ces contradictions lors de la séance du conseil du Fonds vert. En vain [1].
Outre les banques commerciales privées dénoncées par les ONG, le Fonds vert a également accrédité de grandes institutions financières internationales impliquées dans de nombreux projets controversés (Banque mondiale, Banque européenne d’investissement...). À toutes, il est reproché de continuer à financer le secteur des énergies fossiles, mais aussi de soutenir des projets censément « verts » dont les bénéfices réels pour le climat sont douteux, et qui portent atteinte aux droits des populations locales. Il s’agit par exemple de projets de reforestation ou de prévention de la déforestation qui entraînent l’expulsion des habitants traditionnels sans titre des territoires concernés. Ou encore de grands barrages hydroélectriques, comme ceux que les firmes françaises Engie et EDF construisent en Amazonie, y compris (dans le cas d’Engie) en utilisant un outil financier « vert » (lire notre enquête : Quand la finance verte détruit l’Amazonie).
Annonces opportunistes
Certes, à l’approche de la COP21, le Crédit agricole avait voulu montrer patte blanche en matière climatique en annonçant son désengagement partiel du secteur du charbon (lire notre article). Mais pour les Amis de la terre, ces annonces sont opportunistes - elles permettent précisément aux banques concernées de se positionner sur le créneau de la finance « verte » - et, surtout, restent largement insuffisantes : « Le Crédit Agricole pourrait toujours financer de nouvelles centrales à charbon dans 94% du marché mondial et pourrait dès demain soutenir l’extension de la centrale à charbon de Tanjong Jati B (TBJ2) en Indonésie », explique Lucie Pinson [2].
Au-delà du financement de projets spécifiques (comme une nouvelle centrale), les Amis de la terre et leurs alliés appellent le Crédit agricole et les autres banques à cesser tout soutien également au niveau des entreprises elles-mêmes qui continueraient à être impliquées dans le charbon. Pour les encourager en ce sens, ils ont développé trois critères précis : seules pourraient être financées des entreprises qui 1) ne participent pas à de nouveaux projets dans le secteur du charbon ; 2) où le charbon compte pour moins de 30% de l’activité (en proportion du chiffre d’affaire ou du mix électrique) ; et 3) qui extraient, consomment, ou achètent et vendent sur le marché moins de 20 millions de tonnes de charbon par an.
Quand on sait que l’on dénombrait encore en décembre 2015 au moins 2440 projets de nouvelles centrales au charbon dans le monde, l’application de ces critères pourrait mettre beaucoup d’entreprises hors jeu. Mais c’est peut-être le prix à payer par le Crédit agricole et ses consœurs pour démontrer qu’elles en ont véritablement fini avec le « business as usual ».
Olivier Petitjean