L’alerte a été envoyée ce 30 mai à Jacques Vernier, président du conseil supérieur de la prévention des risques technologiques (CSPRT), rattaché au ministère de l’Environnement [1]. Cette alerte signale un risque d’accident majeur, type AZF, sur plusieurs sites pétroliers du Havre et de sa périphérie, en Normandie : la plateforme d’ExxonMobil à Notre-Dame de Gravenchon, celle de Total à Gonfreville et sur le terminal pétrolier du Havre géré par la compagnie industrielle maritime (CIM). Signé par Pascal Servain, président de la Fédération nationale des industries chimiques CGT (Fnic-CGT) et membre du CSPRT, le texte précise que « la CGT a constaté un non-respect de la réglementation du travail et de la réglementation qui concerne les installations classées pour outrepasser le droit de grève et tenter de produire dans des conditions périlleuses ».
« Dans le port du Havre, certains cadres s’occupent de manœuvrer les bateaux, ce n’est pas leur travail !, s’inquiète Pascal Servain. Ce sont des techniciens spécialisés qui doivent le faire. Il y a des risques d’explosion, des risques d’incendies, des risques de pollution. » Il signale par ailleurs des durées de travail illégales et irraisonnables, « jusqu’à 72 heures d’ affilée nuit et jour à la CIM pour certains non-grévistes » ! Jean-Paul Lecoq, maire communiste de Gonfreville, et vice-président de la communauté de l’agglomération havraise, délégué aux risques majeurs et à l’environnement industriel, est en contact permanent avec les salariés des sites classés. « À la CIM, les salariés grévistes nous expliquent qu’il y a 17 cadres dans l’entreprise depuis une semaine. Ils mangent et dorment là. Normalement, pour garantir la sécurité de ce site, il faut être trente ! De plus, les cadres ne connaissent pas l’entreprise comme les salariés. »
« On ne fabrique pas de la limonade dans ces sites ! »
Pascal Servain mentionne par ailleurs l’allongement des durées de travail des salariés qui effectuent les « trois-huit » (trois fois huit heures) sur les plate-formes d’ExxonMobil à Notre-dame de Gravenchon ou de Total à Gonfreville. « Au lieu de travailler 8 heures d’affilée, les gars bossent parfois plus de 12 heures. On peut facilement imaginer que quelqu’un qui a travaillé de 22h à 10h du matin est dans un état de fatigue qui altère ses capacités de réaction en cas de pépin. On ne fabrique pas de la limonade dans ces sites ! » À Notre-Dame-de-Gravenchon, la plate-forme comprend une raffinerie, qui produit du gaz, de l’essence, du kérosène, des gazoles, des fiouls lourds et fiouls domestiques. Elle fabrique également des huiles de base pour la chimie. Le site comprend par ailleurs plusieurs unités pétrochimiques, où l’on conçoit des caoutchoucs synthétiques ou des résines de pétrole. « On est occupés en permanence à gérer des conflits de risques avec les produits que l’on traite », rappelle Pascal Servain.
Jean-Paul Lecoq a transmis l’alerte à la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal), service du ministère de l’Écologie chargé de s’assurer que les conditions de travail et de production dans les usines des sites classés respectent bien la règlementation. « J’aimerais que l’État me fasse un retour sur les risques évoqués, explique l’élu communiste. En tant que maire, je suis chargé d’assurer la sécurité de mes concitoyens. La semaine dernière, une alerte m’a été transmise par les salariés grévistes d’une usine d’engrais de l’entreprise Yara, située sur ma commune. C’est le même genre d’usine qu’AZF ! J’ai prévenu la Dreal qui a aussitôt été sur place. Depuis l’usine a été sécurisée, la production a été mise en veille. » L’élu doit rencontrer les services de l’État ce mardi après-midi.
« Tout cela, c’est une question de fric, assure Pascal Servain. Ils veulent produire à tout prix, pour ne pas perdre d’argent. Normalement, dans les raffineries, à chaque grève, il y a un protocole. Les grévistes discutent avec la direction pour savoir quelles unités on arrête. Arrêter une raffinerie, c’est un gros chantier. Là, à Gonfreville et Granvenchon, les directions ont fait traîner les choses et bafoué l’arrêté préfectoral qui décrit la façon dont les usines Seveso doivent être exploitées. » L’arrêté précise notamment le nombre de personnes minimales qui doivent être présentes pour faire fonctionner une raffinerie. « Normalement, s’il n’y a pas assez de monde, on arrête », rappelle Pascal Servain. « Il vaut mieux garantir la sécurité, quitte à limiter les stocks produits », suggère de son côté Jean-Paul Lecoq. Les directions de Total et ExxonMobil, que nous avons sollicitées au sujet de ces risques d’accidents graves, n’ont pas répondu. La direction de la CIM déclare de son côté qu’elle ne communique pas avec la presse. Silence également au sein du ministère de l’Environnement.
Nolwenn Weiler
—
Photo : Luc Poupard CC