28.10.2016 • Responsabilité sociale des entreprises

Pourquoi l’industrie de l’audit et de la certification ne doit pas remplacer la régulation publique

Dans le domaine de la « responsabilité sociale des entreprises » comme dans d’autres, les sociétés privées d’audit et de certification prennent une place de plus en plus importante. C’est à elles par exemple qu’une multinationale fera appel pour certifier que ses fournisseurs et sous-traitants respectent les droits humains, ou qu’elle ne s’approvisionne pas en matières premières douteuses. Une approche qui a montré ses failles à de nombreuses reprises, comme lors la catastrophe du Rana Plaza. Et l’expansion de ces organismes de certification à but lucratif se fait aux dépens du contrôle des pouvoirs publics. N’est-il pas temps de repenser tout ce système, s’interroge le chercheur Guillaume Delalieux dans la Revue Projet ?

Publié le 28 octobre 2016

Quel est le point commun entre l’effondrement du Rana Plaza, la crise des subprimes, le scandale des prothèses mammaires de la société Pip (Poly implant prothèses) ? À chaque fois, c’est la société allemande d’audit et de certification TÜV Rheinland qui a certifié les pratiques des entreprises concernées. Si corrélation n’est pas causalité, tant il est complexe de démêler les responsabilités de chacun, ces exemples interrogent le rôle des processus d’audit et de certification, qu’ils concernent des usines textiles situées au Bangladesh, des produits financiers ou des produits sanitaires commercialisés à l’échelle de la planète, voire des pièces fabriquées pour des centrales nucléaires… Il est temps de questionner le système dans sa globalité plutôt que d’incriminer les pratiques frauduleuses d’individus isolés.

Lire l’intégralité de l’article, publié dans cadre d’un dossier « À l’heure des multinationales, le retard du droit ? », sur le site de la Revue Projet.

Le secteur de la certification est dominé par quatre grands groupes internationaux (TÜV, SGS, Veritas, Intertek), avec des chiffres d’affaires en milliards d’euros.

Guillaume Delalieux détaille les failles structurelles du système de la certification : « dans sa version commerciale, l’audit minimise les chances de détection de fraudes », et les sociétés de certification « n’ont aucun intérêt à refuser la certification à leurs clients (qui pourraient se tourner vers la concurrence) ». Il rappelle la distinction entre la certification privée d’un côté, et de l’autre l’inspection effectuée par l’administration ou les autorités judiciaires. Par exemple, la production de la cuve de l’EPR de Flamanville avait été « certifiée » par Bureau Veritas, mais ce sont les inspections de l’Autorité de sûreté nucléaire puis de la justice qui ont révélé des anomalies de production.

Pourtant, dans un contexte néolibéral de retrait de l’État, la certification semble s’étendre aux dépens du contrôle des pouvoirs publics :

Les récentes saignées infligées au corps des douanes, à l’inspection du travail ou à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) en France (comme dans de nombreux pays en Europe) illustrent cette tendance : progressivement, pour garantir la sécurité, la conformité des produits ou le respect des conditions de travail, la certification privée se substitue aux contrôles effectués par des fonctionnaires.

Les pays positionnés sur des secteurs low cost n’ont aucun intérêt à développer une inspection du travail performante : non seulement il faut la financer sur les deniers publics mais, surtout, il pourrait en résulter une inflation salariale si les travailleurs parvenaient à défendre leurs intérêts. Le cas du Bangladesh est instructif : les coûts de mise en conformité des usines du textile (à la suite de l’application de l’« Accord on Fire and Building Safety ») menacent la compétitivité sur laquelle le pays a bâti sa stratégie de développement. La certification décernée à moindre coût, avec des référentiels moins exigeants que les normes de l’OIT, par exemple, est bien plus intéressante : elle permet d’entretenir une hypocrisie organisationnelle, en conciliant faible prix de revient et apparence de qualité, de sécurité et de conformité aux yeux des consommateurs. Le mythe du jeans à 5 euros, bio et équitable peut se perpétuer !

OP

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Photo : NYU Stern BHR CC

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