Bienvenue dans cette nouvelle lettre de l’Observatoire des multinationales, la première depuis que nous avons lancé notre nouveau site.
Au menu : les rémunérations des patrons du CAC40, les superprofits, et beaucoup, beaucoup, beaucoup de TotalEnergies.
N’hésitez pas à faire circuler cette lettre, à nous envoyer des réactions, commentaires et informations. Et un rappel : notre Observatoire dépend du soutien financier de ses lecteurs, donc merci à tous ceux qui peuvent apporter une contribution.
Vous avez dit inflation ?
Sur fond de mouvements sociaux chez TotalEnergies et ailleurs, il a beaucoup été question de salaires et de rémunérations ces derniers temps.
Patrick Pouyanné, PDG du groupe pétrolier, a été critiqué pour avoir augmenté sa propre rémunération de 52%. Se disant « fatigué » de la polémique, il s’est défendu en précisant que cette hausse était due au fait que sa rémunération avait été anormalement basse en 2020 (pour cause de Covid). En 2021, il n’avait fait que revenir à son niveau « normal » de rémunération, environ 6 millions d’euros bon an mal an. Soit l’équivalent de 2545 SMIC.
C’est dans ce contexte que l’Observatoire des multinationales a publié une analyse inédite des rémunérations des patrons des grandes entreprises françaises, extraite de la prochaine édition de « CAC40 : le véritable bilan annuel », à paraître dans quelques semaines.
Principales conclusions à retenir :
- La rémunération de l’ensemble des patrons du CAC40 a augmenté en moyenne de 52% entre 2020 et 2021. Le PDG de TotalEnergies est pile dans la moyenne.
- Certes, l’année 2020 était anormale pour cause de Covid. Entre 2019 et 2021, l’augmentation de la rémunération des patrons du CAC40 a tout de même été de plus de 26%.
- En revanche, les dépenses moyennes par salarié du CAC40 n’ont augmenté que de 1,7% entre 2019 et 2021. C’est-à-dire moins que l’inflation. Les données pour 2022 ne sont pas encore disponibles.
Si les rémunérations des patrons du CAC40 sont tellement déconnectées de celle de leurs employés et employées, c’est qu’elles sont désormais alignées sur des critères actionnariaux. Elle augmente donc sur le même rythme que les dividendes. Le salaire fixe ne représente en moyenne plus que 19% des rémunérations patronales, contre 27% pour la part variable (largement indexée sur des critères financiers) et 48% pour les paiments en actions.
En conséquence de ces paiements en actions, les patrons du CAC40 touchent d’ailleurs - en plus de leur rémunération - de plus en plus de dividendes. Les PDG, DG et présidents de conseil d’administration ont touché à titre personnel (sans compter les dividendes touchés par les holdings familiales comme celle de Bernard Arnault) la bagatelle de 66 millions d’euros de dividendes au titre de l’exercice 2021.
Les premières places sont tenues par des présidents de conseil d’administration. Il s’agit dans beaucoup de cas d’anciens PDG ou DG de leur entreprise, qui s’assurent ainsi une retraite supplémentaire via le versement de dividendes.
Lire l’article complet : Les patrons du CAC40 ne connaissent pas la crise
(Et c’est à lire aussi dans L’Humanité)
« Superprofits » contre « ristourne »
Pour le lancement du nouveau site web de l’Observatoire des multinationales, nous avions publié un autre extrait du « Vrai bilan du CAC40 2022 » (mais rassurez-vous, il reste beaucoup à dire) pour contribuer cette fois au débat sur les « super-profits ».
Cette analyse, là encore pleine de données et de graphiques, est à retrouver ici : Superprofits du CAC40 : que disent les chiffres ?
Nous y démontrons plusieurs choses. Entre autres :
- Qu’il y a bien des superprofits (puisque certains ministres et PDG semblaient en douter)
- Que TotalEnergies est loin d’être la seule entreprise du CAC40 concernée
- Que les entreprises du CAC qui font les plus gros superprofits tendant à avoir leur siège en Suisse, aux Pays-Bas ou au Luxembourg. Ou bien elles ne paient pas d’impôts en France.
Concrètement, nous avons comparé les profits déclarés par le CAC40 au premier semestre 2022 avec la moyenne de ceux des années 2015 à 2019, avant la pandémie. Conclusion : les « superprofits » du CAC40 en 2022 résultent à la fois d’une augmentation du chiffre d’affaires (+38%) et d’une augmentation du taux de profitabilité (+20%). Autrement dit, les grandes entreprises françaises augmentent les revenus de leurs ventes mais surtout réussissent à garder une plus grosse partie de ces revenus sous forme de profits.
Le discours officiel des milieux patronaux est que les bénéfices engrangés par le CAC40 sont une bonne chose, car ils leur permettront d’investir, notamment dans la décarbonation de leur production. En réalité, ils continuent à prioriser leurs actionnaires. Sur le seul premier semestre 2022, le CAC40 a déjà racheté ses propres actions à hauteur de 12,4 milliards d’euros. Et TotalEnergies a annoncé le versement d’un dividende exceptionnel de 2,6 milliards d’euros en plus de son dividende « normal ».
Au moment même où nous publions ces données, l’Assemblée nationale se penchait elle aussi sur la question des superprofits à travers une « mission flash ». Il a beaucoup été question lors des auditions de la « ristourne » de TotalEnergies - mise en place par le groupe pétrolier avec la bénédiction du gouvernement précisément pour esquiver les demandes de taxation de ses superprofits.
Comme ladite ristourne a provoqué un afflux dans ses stations-services, le groupe l’a au moins en partie compensée en prenant sur les parts de marché de ses concurrents (pas très contents comme on s’en doute). En outre, l’opération est financée en utilisant les marges de l’activité de raffinage, de sorte que TotalEnergies pourra aussi continuer à rogner sur sa charge d’impôts. Il est vrai que cela fait des années que le groupe ne paie pas d’impôts sur les sociétés en France.
Nos explications sont à lire ici : « Ristourne » : le coup double de TotalEnergies pour enfoncer ses concurrents et éviter une taxation des superprofits
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Décidément, TotalEnergies est dans le feu de l’actualité, et c’est parti pour continuer ces prochaines semaines. Il faut dire que le groupe pétrolier français est dans tous les mauvais coups.
Le 12 octobre dernier devait enfin se tenir à Paris une audience sur le fond au sujet des projets pétroliers de TotalEnergies en Ouganda et en Tanzanie, suite à une plainte des Amis de la Terre, de Survie et d’associations ougandaises. Cette plainte a été déposée il y a plus de deux ans, mais le groupe pétrolier s’était lancé dans une bataille procédurale - finalement perdue - pour échapper à un procès au civil. Mais comme les avocats de TotalEnergies n’ont communiqué leurs conclusions qu’un peu plus de 24h avant l’audience, les associations ont été obligées de demander un report. Il faudra donc attendre encore jusque décembre.
Les Amis de la Terre et Survie ont publié pour l’occasion une nouvelle enquête démontrant les atteintes graves aux droits des populations locales et à l’environnement occasionnées par l’oléoduc géant EACOP en Tanzanie. Présentation à lire ici.
Nouvelle semaine, nouvelle dénonciation : lundi 17 octobre, l’ONG française Bloom tirait la sonnette d’alarme au sujet d’un autre mégaprojet de TotalEnergies, au large de l’Afrique du Sud cette fois. Selon l’association, il est encore temps pour l’association de bloquer ce projet avant même qu’il n’occasionne de dommages, les autorités devant encore rendre leur décision sur la demande de permis. Lire notre article ici.
En Bref
Le Conseil d’État entérine la vie privée des personnes morales. Il n’y a pas qu’aux Etats-Unis que les autorités judiciaires inventent des concepts juridiques farfelus pour renforcer les droits des entreprises et de leurs prorpriétaires. Vous aviez aimé le « corporations are people » de la Cour suprême américaine, justifiant les dépenses politiques des multinationales au nom de leur liberté d’expression ? La vénérable institution française qu’est le Conseil d’État a fait presque aussi bien en entérinant la doctrine selon laquelle la fondation Louis Vuitton, fondation d’entreprise de LVMH n’avait pas à publier ses comptes, pour protéger sa « vie privée ». Cette décision fait suite à une requête de l’association Anticor qui soupçonne, suite à un rapport de la Cour des comptes, que Bernard Arnault a largement abusé du crédit impôt mécénat pour faire construire la fondation Louis Vuitton aux frais des contributables. Nous avions parlé de cette affaire ici.
Poursuites bâillons, le retour. La rentrée a vu une nouvelle vague de procédures bâillons visant des journalistes. C’est tout d’abord la firme de lobbying et d’influence Avisa Partners, dont plusieurs médias avaient révélé ces derniers mois les agissements douteux (en particulier le fait de faire pubier de fausses tribunes dans la presse) qui s’est retournée contre les médias concernés. C’est ensuite Altice qui a attaqué avec succès le site Reflets qui avait publié des articles sur les affaires internes du groupe de Patrick Drahi suite à des fuites de données. Au nom du secret des affaires, le tribunal a imposé aux journalistes de ne plus écrire sur le sujet. Côté bonnes nouvelles, cependant, la Cour de Cassation a rejeté un dernier référé du groupe Bolloré contre la journaliste Fanny Pigeaud et Mediapart, poursuivis en diffamation. La fin de six ans de procédures et une nouvelle défaite pour Bolloré.
Le lobby du CAC40 et des grands patrons. L’AFEP (Association française des entreprises privées), discret lobby des grandes entreprises, fête ses 40 ans. À cette occasion, Le Monde dresse le portrait de cette organisation patronale peu connue du grand public, à la fois club de grands patrons et lobby hyper-technique, qui sait étendre son influence à tous les échelons du pouvoir. L’AFEP est omniprésent sur les questions de climat et de devoir de vigilance, mais a surtout une obsession principale : faire baisser les impôts pour les entreprises et les super-riches. Du coup, nous en avons déjà beaucoup parlé. Notre enquêtrice bruxelloise Lora Verheecke a d’ailleurs contribué à l’article du Monde.
Les folles dépenses du gouvernement en « conseil stratégique ». Suite au scandale McKinsey, l’État a rendu public pour la première fois le détail de ses dépenses en « conseil stratégique ». Le document montre que les pouvoirs publics ont dépensé 271 millions d’euros en missions de conseil au cours de l’année 2021. Les principaux bénéficiaires sont McKinsey, mais aussi - aux deux premières places - deux cabinets français spécialisés dans l’accompagnement de la « transformation numérique » : Capgemini et Sopra Steria. Tous deux ont en même temps des activités de prestation de services classique dans le domaine numérique. Ils ont obtenu à ce titre un nombre conséquent de marchés publics de l’État et de collectivités locales - une confirmation que les missions de « conseil » restent une source inépuisable de conflits d’intérêts. Tout ceci alors que le Sénat commence à examiner la proposition de loi sur le recours aux cabinets de conseil, dite « proposition de loi McKinsey », faisant suite à la mission d’enquête sur le sujet organisée en début d’année.