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« It’s the inflation, stupid »
Ce mercredi 4 décembre 2024, l’Assemblée nationale a voté la censure du gouvernement de Michel Barnier, inaugurant une nouvelle période d’incertitude institutionnelle.
Si l’attention des médias se concentrera immanquablement sur le petit théâtre politique, les différentes personnalités annoncées à Matignon et les jeux d’alliance et de trahison que pourrait occasionner la formation d’un nouveau gouvernement, le fond du problème est aussi ailleurs.
Si Emmanuel Macron a choisi de nommer Michel Barnier à la tête d’un gouvernement minoritaire à la merci du Rassemblement national, c’est parce qu’il voulait avant tout éviter que soit remis en cause une trajectoire politique faite de baisse d’impôts pour les entreprises et les plus aisés, de recul des droits sociaux et de privilèges pour les entreprises.
Si Michel Barnier a échoué à faire adopter un budget, c’est parce que sa tentative – très imparfaite – de retrouver un semblant d’équilibre financier en mettant à contribution très modestement les gagnants de l’ère Macron, en remettant en cause très partiellement certaines aides publiques, mais surtout en rognant encore plus sur le pouvoir d’achat des ménages de diverses manières (lire notre lettre d’il y a quelques semaines) était vouée à l’échec.
Pour comprendre pourquoi cette politique n’est plus acceptable, mais aussi pour les racines de la colère qui a mené, entre autres raisons, à l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis il y a quelques semaines (et peut-être un jour à la victoire de l’extrême-droite en France), un sujet est incontournable : celui de l’inflation.
À en croire les discours gouvernementaux et les grands médias, l’inflation serait derrière nous, le problème réglé, et il serait temps de passer à autre chose.
En réalité, non seulement l’inflation n’est pas vraiment finie, mais sa brutalité au cours des trois dernières années, encore aggravée par les politiques mises en œuvre pour y répondre, a renforcé les inégalités et laissé des traces très profondes. Nous sommes encore en plein dedans.
Dans un entretien avec deux des auteurs du livre Inflation. Qui perd ? Qui gagne ? Pourquoi ? Que faire ? (Seuil, 2024), nous revenons sur les causes profondes de l’inflation – symptôme selon eux d’un « capitalisme malade qui ne sait plus dégager des profits qu’en rognant sur les salaires réels », ses perdants, ses gagnants et ses « profiteurs » (les grands groupe du transport maritime, de l’agroalimentaire et du raffinage).
Et nous abordons avec eux à quoi pourrait ressembler une autre politique économique – au-delà de la seule taxation – pour rebattre les cartes.
Lire l’entretien : « L’inflation récente est au fond le symptôme d’un capitalisme malade ».
Le sous-sol de la Méditerranée, poubelle à CO2
Capturer le CO2 émis par les industries polluantes de Fos, la deuxième zone la plus polluante de France, et celles de la vallée du Rhône, le transporter par « carboduc » puis par bateau, et le séquestrer sous la mer Adriatique, dans les eaux territoriales de l’Italie. C’est le but du projet Callisto, encore inconnu du grand public, sur lequel nous levons le voile dans le cadre d’une enquête de Nina Hubinet et Pierre Isnard-Dupuy publiée conjointement avec Reporterre.
Cela peut sembler un rêve d’apprenti sorcier, mais les préparatifs vont bon train en Italie pour la première phase, et les exportations de CO2 français pourraient commencer dès 2030. La Commission européenne a apporté son soutien officiel. Aux manettes : le pétrolier italien ENI et l’entreprise française Air Liquide.
Présentée comme une « solution de dernier recours » pour les émissions impossibles à réduire autrement, la capture-séquestration du carbone (CSC) intéresse les industriels présents à Fos comme ArcelorMittal (sidérurgie), Ineos (pétrochimie) ou encore Lafarge (ciment).
Les écologistes sont beaucoup plus sceptiques. Ils craignent que le CSC ne serve d’excuse pour ne pas procéder à un véritable changement de modèle. Ils pointent aussi les risques de cette technologie – notamment de dégagement de gaz toxique, comme c’est arrivé aux États-Unis –, les doutes sur sa fiabilité à long terme, et surtout son coût massif.
Le soutien public massif qui devra être mobilisé pour rendre ces projets possibles est autant d’argent qui n’ira pas à des projets contribuant à la véritable transformation de notre appareil productif dont nous avons besoin.
Lire l’enquête Stocker le CO2 sous la mer en Italie, une « fausse solution » pour décarboner les industries polluantes du Sud-est de la France.
En même temps, nous publions la version française d’une note de notre partenaire italien ReCommon sur le versant italien du projet : Capture-séquestration du carbone en Méditerranée : enquête sur le projet Callisto.
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Plastique pas fantastique. Il n’y a pas que les conférences climat à être envahies par les lobbyistes de l’industrie. La COP29 de Bakou était à peine finie, avec ses 1773 représentants du secteur des énergies fossiles, que s’ouvrait à Pusan en Corée du Sud une semaine de négociations en vue d’un traité international sur le plastique. 220 délégués de l’industrie y étaient accrédités, soit davantage que pour l’Union européenne et tous ses États membres. Pour partie, ce sont d’ailleurs les mêmes multinationales (ExxonMobil, TotalEnergies) qui étaient présentes à Bakou et à Pusan. Les discussions se sont soldées par un échec. Les pays qui souhaitaient un accord ambitieux se sont heurtés à l’opposition de l’Arabie saoudite et d’autres États pétrogaziers, alliés aux multinationales, qui refusent toute perspective de réduction du plastique. Lire notre article Déjà vu : après la conférence climat, une alliance de multinationales et de pays pétrogaziers bloque les négociations internationales sur le plastique.
Guerre culturelle. Après les médias, l’édition. Aux États-Unis, deux jours après l’élection de Donald Trump, Hachette – aujourd’hui propriété de Vincent Bolloré – a lancé une nouvelle maison d’édition, Basic Liberty, destinée à publier des auteurs « conservateurs ». Le profil de son directeur, conseiller de la Heritage Foundation, et auparavant responsable d’une collection de livres climato-sceptiques, masculinistes et anti-LGBT, a suscité de l’effroi jusqu’au sein même du groupe. En France, Bolloré a déjà mis la maison Fayard au service de son projet politique avec la publication, entre autres, du livre de Jordan Bardella. Lire notre article : Hachette/Vivendi : le secteur de l’édition gagné par la « guerre culturelle » conservatrice.
Plus dure sera la chute. Il y encore a un an à peine, Carlos Tavares était le roi de la bourse de Paris. Tout le monde se pâmait devant les superprofits de Stellantis, et ces performances semblaient justifier pour certains les rémunérations astronomiques que s’octroyait désormais le patron : 19 millions d’euros officiellement et jusqu’à 66 millions en 2021, 23 millions en 2022, et 36,5 millions en 2023. Reflet du peu de crédit que l’on peut accorder aux engouements boursiers : la stratégie court-termiste poursuivie par Carlos Tavares s’est soldée par un échec. De plus en plus critiqué depuis un an, il proposait d’aller encore plus loin dans les réductions de coûts et les fermetures d’usines, mais le conseil d’administration du groupe en a décidé autrement. Lire notre article.
Rachida Dati, une députée européenne au service de Renault, d’Orange et de l’Azerbaïdjan. Le Parquet national financier a requis un procès contre la ministre de la Culture Rachida Dati, ainsi que pour l’ex-patron de Renault Carlos Ghosn. En cause, le contrat qu’elle aurait passé avec une filiale du groupe alors qu’elle était députée européenne. Selon le dossier de l’instruction, Rachida Dati aurait touché 900 000 euros entre 2009 et 2019, officiellement pour des prestations d’avocate. Les enquêteurs ont retrouvé de nombreux exemples d’interventions en faveur des intérêts du constructeur au Parlement européen. Le dossier évoque aussi une prestation de 100 000 euros pour Orange, et 900 000 euros d’honoraires touchés de la part d’un financier franco-libanais pour défendre les intérêts de l’Azerbaïdjan (nous revenons sur cette affaire dans notre récent briefing à l’occasion de la COP29). Plus de détails dans les compte-rendu de Mediapart et de L’Obs.
Mozambique : TotalEnergies savait. Il y a quelques semaines, une enquête de Politico a documenté des atrocités commises par « Joint Task Force » (JTF), une unité de l’armée mozambicaine, dans un site gazier abandonné par TotalEnergies en raison d’une insurrection djihadiste. Le groupe a assuré n’avoir aucune connaissance des faits et n’avoir plus aucun employé sur place à ce moment là. Aujourd’hui, des documents révélés par Le Monde et nos partenaires italiens de ReCommon battent en brèche ces dénégations. Ils montrent en effet que les responsables de la filiale de TotalEnergies sur place ont régulièrement fait remonter des informations sur les abus dont les forces de sécurité étaient accusées. La multinationale n’a rompu son accord avec la Joint Task Force qu’en 2023, deux ans après les faits, suite à un rapport sur les droits humains commandé par TotalEnergies au diplomate Jean-Christophe Rufin.
Cette lettre a été écrite par Olivier Petitjean.