14.10.2022 • Actus, revue de presse et liens

Projet EACOP : TotalEnergies plus que jamais sous le feu des critiques

Au bout de plusieurs années de procédure judiciaire, une audience devait enfin se tenir au sujet des atteintes aux droits occasionnés par les projets pétroliers de TotalEnergies en Ouganda et en Tanzanie. Elle a finalement été repoussée, le groupe ayant attendu la dernière minute pour partager ses conclusions. À cette occasion, les Amis de la Terre et Survie publient un nouveau rapport, documentant les impacts du projet d’oléoduc EACOP, qui doit acheminer le pétrole extrait en Ouganda.

Publié le 14 octobre 2022 , par Chiara Pignatelli

Entre les débats sur les superprofits, le mouvement de grève massif dans les raffineries, sa présence en Russie et ses projets pétroliers en Afrique de l’Est, TotalEnergies occupe décidément une bonne partie l’actualité. Sur ce dernier dossier, les associations les Amis de la Terre et Survie publient une nouvelle enquête alarmante démontrant les atteintes graves aux populations locales et à l’environnement occasionnées par l’oléoduc géant EACOP en Tanzanie. Ce rapport complète ceux publiés par les deux associations sur les atteintes aux droits et à l’environnement occasionnés en Ouganda par l’extraction du pétrole destiné à être acheminé par EACOP, sur 1443 kilomètres, jusqu’à la côte de l’océan Indien.

Avec quatre associations ougandaises, les Amis de la Terre ont attaqué TotalEnergies devant les tribunaux pour manquement à son devoir de vigilance. L’audience prévue ce 12 octobre a finalement été reportée à début décembre, après que Total ait envoyé sa réplique composée d’un argumentaire de 95 pages et de 50 nouveaux documents aux associations plaignantes moins de 36 heures avant l’audience.

Un rapport inédit sur un terrain inaccessible

Le rapport EACOP : La voie du désastre est le fruit d’une enquête de terrain inédite réalisée entre janvier et février 2022 dans les huit régions concernées par le projet en Tanzanie,. S’ajoutant à celle réalisée par Oxfam en 2020, cette enquête de terrain a dû surmonter de nombreux obstacles. Il est extrêmement difficile pour les journalistes et les organisations de la société civile d’accéder aux terres et aux populations concernées par le projet. L’enquête des Amis de la Terre a été largement entravée par les autorités et les représentants du parti au pouvoir. Pour les mêmes raisons de risque d’arrestation par la police, un journaliste de Blast a même dû annuler son enquête une fois arrivé en Tanzanie. Ces difficultés d’accès qui font évidemment les affaires de TotalEnergies.

Lire aussi Comment l’État français fait le jeu de Total en Ouganda

En tout, 73 entretiens ont été menés avec des personnes affectées par le projet. Sur une quarantaine de pages, le rapport décrit l’ampleur du désastre social et écologique occasionné par EACOP. Manque d’information et de consultation, multiples violations du droit de propriété, manipulations et pressions pour contraindre les familles à céder leurs terres à des prix dérisoires... Les accusations fusent contre le géant pétrolier français. Les populations touchées subissent de multiples restrictions et pénuries dont la compensation se fait toujours attendre.

Le rapport décrit également une véritable bombe climatique risquant de provoquer des dommages écologiques irréversibles, aussi bien globalement de par sa contribution à la crise climatique que localement, pour la biodiversité et les écosystèmes des régions touchées. Les fuites de pétroles seront quasi inévitables et les mesures prises pour les prévenir et y remédier sont selon les Amis de la Terre largement insuffisantes. Le projet nécessitera des quantités massives d’eau qui seront autant d’eau perdue pour la population d’une région qui subit déjà de graves périodes de sécheresse.

Soutenez l’Observatoire

Parce que le débat démocratique mérite mieux que la com’ du CAC 40.

Faites un don

Mobilisations sur tous les fronts, Total fait la sourde oreille

Quasi unanimement contestés, les projets de TotalEnergies font face à une large mobilisation de la société civile. La coalition #StopEACOP rassemble des centaines d’organisations à travers le monde et a déjà obtenu d’une vingtaine de banques et d’une douzaine de compagnies d’assurances mondiales qu’ils ne financent pas le projet. Le Parlement européen a lui aussi condamné ce désastre dans une résolution du 15 septembre 2022. Les eurodéputés dénoncent les persécutions subies par les opposants au projet, appellent les autorités à prendre des mesures concrètes de protection de droits humains et à « mettre fin aux activités extractives dans des écosystèmes protégés et fragiles, y compris sur les rives du Lac Albert ». Des personnalités politiques, scientifiques, et responsables d’ONG ont fait paraître une tribune dans les colonnes du Le Monde le 10 octobre 2022, sous le titre Non au pipeline géant de Total en Afrique de l’Est !, pour demander purement et simplement l’abandon du projet.

Lire aussi Devoir de vigilance

Pourtant, Total continue d’ignorer ces alertes et de refuser le débat. La Commission des Droits humains du Parlement européen avait convoqué une audition ce lundi 10 octobre, à laquelle son PDG Patrick Pouyanné a refusé de se présenter. Et le mercredi 12, c’est l’audience pour laquelle les associations bataillaient depuis deux ans qui a été reportée, Total ayant envoyé ses pièces de défense dans des délais impossibles. La procédure judiciaire a commencé en juin 2019 quand les Amis de la Terre et Survie et quatre associations ougandaises ont mis en demeure TotalEnergies de réviser son plan de vigilance insuffisant au regard de ses obligations légales de prévenir les violations des droits humains et les dommages environnementaux causés par les activités de ses filiales et sous-traitants en Ouganda et Tanzanie. Après que Total ait réfuté ces accusations, les associations ont assigné la société devant les tribunaux français en octobre 2019. Après deux ans de bataille procédurale pendant lesquelles Total a contesté la compétence du Tribunal judiciaire, demandant que l’affaire soit jugée devant un Tribunal de commerce, la Cour de cassation a tranché en faveur des associations. L’audience du 12 octobre devait être la première à juger sur le fond un litige dans le cadre de la loi sur le devoir de vigilance des multinationales, promulguée en mars 2017. Il faudra encore attendre.

Chiara Pignatelli

(Photo : Amis de la Terre)

Les enquêtes de l’Observatoire

L’Observatoire est à votre écoute

  • Besoin d’éclaircissements ?
  • Une question ?
  • Une information à partager ?
Contactez-nous