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14.12.2016 • Quantitative Easing

Quand la BCE fait tourner sa planche à billets pour les multinationales et les énergies fossiles

La liste des bénéficiaires du programme de rachat d’obligations d’entreprises initié en juin 2016 par la Banque centrale européenne est largement dominée par l’industrie pétrolière, suivie de près par les industries de l’automobile et des autoroutes, mais aussi du luxe, de l’armement et des casinos.

Publié le 14 décembre 2016 , par Olivier Petitjean

C’est une nouvelle illustration de la manière dont les réponses apportées depuis 2008 par les pouvoirs publics à la crise économique et financière ont profité en priorité aux grands acteurs économiques et à la finance, plutôt qu’aux citoyens et à l’environnement. Selon les analyses de l’ONG bruxelloise Corporate Europe Observatory (CEO), la Banque centrale européenne a investi des dizaines de milliards d’euros dans le rachat d’obligations d’entreprises en privilégiant systématiquement les secteurs économiques - pétrole, gaz, autoroutes et automobile - les plus néfastes pour le climat.

Le programme de quantitative easing (« littéralement, « assouplissement quantitatif ») de la Banque centrale européenne a été lancé début 2015, après des mois de tergiversations, pour contrer la spéculation sur les dettes souveraines et conjurer le spectre d’une déflation. Jusqu’à présent, il s’agissait principalement de racheter des obligations souveraines et de prêter de l’argent à bas prix aux grandes banques du continent. Depuis juin dernier, la BCE s’est également lancée – via six banques centrales nationales dont la Banque de France - dans le rachat d’obligations d’entreprises. Pour CEO, il s’agit « fondamentalement d’une forme de subvention accordée aux plus grands acteurs du marché européen ». Au 25 novembre dernier, pas moins 46 milliards d’euros avaient déjà été injectés dans ce programme, et la somme pourrait atteindre 125 milliards d’ici septembre 2017.

« Il est impossible de justifier ces investissements »

Un peu à la manière du plan d’investissement lancé par la Commission européenne sous l’égide de Jean-Claude Juncker (avec sa focalisation sur les grandes infrastructures énergétiques et gazières en particulier, lire notre article), cet investissement de liquidités dans l’économie européenne ne servira pas à améliorer la qualité de vie des citoyens du continent, ni à amorcer une transition vers un modèle de développement moins polluant. On est frappé au contraire par l’absence totale de discrimination de la BCE. Le manque de transparence de cette dernière ne permet pas de connaître les montants en jeu, mais CEO a été en mesure d’identifier les principaux bénéficiaires du programme (voir la liste détaillée ici). On y retrouve en toute première ligne les grands groupes pétroliers et énergétiques européens : 11 opérations d’achats d’obligations de Shell, 16 pour la compagnie pétrolière italienne Eni, 6 pour l’espagnole Repsol, 7 pour Total. Pas moins de 53% des bénéficiaires espagnols du programme d’achat d’obligations et 68% des bénéficiaires italiens représentent le secteur gazier !

Bref, souligne CEO, la Banque centrale européenne démontre « un intérêt privilégié pour les entreprises qui contribuent le plus au changement climatique », en contradiction avec les objectifs climatiques affichés par l’Union et ses États membres. Même constat en ce qui concerne le secteur des autoroutes et l’industrie automobile, elle aussi favorisée avec 15 opérations pour Daimler et BMW respectivement, 7 pour Volkswagen, 3 pour Renault. Sans parler des opérations encore plus troublantes, comme les rachats d’obligations de Ryanair – une compagnie aérienne régulièrement dénoncée pour ses pratiques fiscales et ses atteintes aux droits des travailleurs -, du secteur du luxe avec LVMH, d’une entreprise d’armement comme Thales, ou encore de Novomatic, spécialisés dans les jeux d’argent et les casinos. Explications de la BCE [1] : ses rachats d’obligations ne visent que des « objectifs monétaires ». Pour Kenneth Haar, qui a réalisé l’étude de CEO, il serait temps d’introduire d’autres critères. « De quelque manière que l’on considère les choses, il est impossible de justifier ces investissements. Cela aurait été tellement plus sensé d’utiliser plutôt ces milliards d’euros pour créer des emplois dans des secteurs favorables à l’environnement. »

Olivier Petitjean

— 
Photo : Kiefer CC

Notes

[1En réponse au quotidien britannique The Guardian.

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