4 décembre 2012 : la décision de céder l’entreprise savoyarde Smart Equipment Technology (SET) au groupe K&S, basé à Singapour, qu’avait prise le Tribunal de commerce d’Annecy, est cassée par la Cour d’appel. La SET, société basée à Saint-Jeoire (Haute-Savoie) peut devenir une Société coopérative (Scop), détenue par ses salariés. Étonnant rebondissement pour une entreprise de haute technologie dans un secteur plutôt financé par des sociétés de capital-risque. Il faut dire que cette société dispose d’un savoir-faire unique : fournir des machines capables de souder des composants électroniques de type flip-chip (« puce retournée », une des techniques utilisée pour effectuer les connexions électriques), au demi-micromètre près [1]. Ces machines valent entre 150 000 et 1,5 million d’euros. Des concurrents existent, bien sûr, mais ceux-ci ne savent que s’ajuster à deux-trois microns près. Un des intérêts de cette technologie est la capacité de réaliser des solutions en 3D grâce à la précision obtenue sur la base qui permet de monter d’autres étages.
Avec ses 39 ans d’existence, la SET fait figure de pionnier dans ce domaine de la technologie. Initialement fondée en 1975 à Cluses sous le nom de Sulzer Electro-Technique, elle déménage dans la souriante commune de Saint-Jeoire plus proche d’Annemasse et du lac Léman. Rachetée en 1993 par le groupe allemand d’électronique Karl Suss, elle passe en 2008 dans les mains de Replisaurus Technologies, une start-up suédoise qui voyait dans la technologie de SET un complément à ses développements et un facteur économique de stabilisation de l’ensemble. La greffe ne prendra pas et la SET gardera une certaine autonomie dans le cadre de cette entreprise. Mais le projet central de la start-up va prendre un tel retard que cette société sera mise en liquidation en 2012. Sa filiale française SET, joyau du groupe, est alors mise en vente.
Multinationale contre coopérative
Dès juin 2012, Pascal Metzger, ancien responsable de la Recherche et Développement, aujourd’hui président de la Scop, travaille avec les salariés sur une solution de reprise en société coopérative. Ceux-ci apportent ensemble 160 000 euros. L’Union régionale des Scop mobilise divers partenaires, des émanations du mouvement coopératif (Socoden, Scop Invest, Transméa) ainsi que France Active, pour émettre des titres participatifs à 5 ans et 7 ans, afin de former des quasi-fonds propres qui permettront ensuite d’emprunter auprès de deux banques, le Crédit coopératif et le CIC. Au total, pas loin de deux millions d’euros ont ainsi été mobilisés. Comme dans bien d’autres cas, plutôt que de se focaliser sur l’engagement financier des actionnaires dans des fonds propres, le mouvement Scop mise sur les hommes en s’autorisant des montages plus tendus.
C’est alors qu’un autre candidat se présente pour la reprise : Kulicke & Soffa, groupe américano-singapourien, coté au Nasdaq, employant plus de 2000 personnes dans le monde. K&S travaille dans le même secteur que SET mais ne dispose pas de la même technologie. Ce groupe n’est pas capable d’assembler avec une telle précision et met plutôt l’accent sur la cadence de production : ce ne sont donc pas les mêmes segments de clientèle que la SET. Néanmoins, ce groupe serait heureux de mettre la main sur cette technologie complémentaire. Il présente son offre de reprise au Tribunal de commerce d’Annecy pour 500 000 euros.
Bataille juridique
Les salariés ne l’entendent pas ainsi. D’autant que quelques mois auparavant, ce groupe a acquis une petite société suisse dont elle a licencié tout le personnel technique pour ne garder que la structure administrative, sans doute dans l’intérêt de conserver une coquille juridique de l’autre côté du Lac Léman. Nous sommes dans une entreprise où aucune section syndicale n’a jamais existé, mais ses 37 salariés disposent tous d’une solide formation universitaire et ont partagé une histoire commune. Ils savent se parler et mesurer le danger qui guette. Ils rejettent l’offre de K&S en le faisant largement savoir aux médias.
Contre toute attente, le 6 novembre, le Tribunal de commerce d’Annecy choisit la vente de la SET à K&S [2]. Deux jours plus tard, le parquet d’Annecy fait appel de la décision du Tribunal de commerce, « parce qu’il craint que l’entreprise K&S ne s’intéresse qu’à la reprise de la technologie et au carnet de commandes ». Il estime que le projet de Scop garantit mieux la conservation du savoir-faire en France « et à terme la pérennité des emplois à Saint-Jeoire-de-Faucigny ». Le 4 décembre, la Cour d’appel confirme la reprise en coopérative pour 300 000 euros, somme proposée par les salariés [3].
Tout fonctionne comme avant
Près de deux ans après la reprise, la société n’a guère changé. Le logo, les brochures commerciales – toutes en anglais – sont restés identiques. Même l’adresse du site web n’a pas bougé (www.set-sas.fr), le « SAS » voulant désormais dire Société Anonyme Scop au lieu de Société par Actions Simplifiée ! Tous les clients sont restés et savent à peine que l’entreprise est devenue une Scop, terme inconnu pour la majeure partie d’une clientèle à 90 % internationale. La société reste sur sa lancée et 8,5 millions d’euros de chiffre d’affaires ont été réalisés en 2013. La recherche et développement se poursuit. L’entreprise a présenté le mois dernier son nouveau prototype lors d’un salon professionnel à Grenoble.
L’équipe de SET semble donc poursuivre sa route, une route qui a bien failli s’arrêter brutalement avec des licenciements à la clé. Tout semble fonctionner comme avant ou presque. Les bas salaires ont pu être relevés, dans la mesure où les cadres dirigeants nommés par les Suédois sont partis. Au démarrage, sur les 37 salariés, 31 décident d’être sociétaires. Lors de la première assemblée générale un an plus tard, la société recrute deux personnes supplémentaires et deux autres salariés décident de rejoindre le sociétariat. Les salariés se réunissent désormais tous les deux mois pour débattre de la stratégie.
Il s’agit d’une histoire de reprise en Scop assez atypique, née de la volonté des salariés de rester ensemble et de décider désormais de leur devenir. Ce sont les outils financiers du monde coopératif, souvent décriés par les libéraux, qui ont permis d’offrir une alternative qui a évité la délocalisation d’une technologie.
Benoît Borrits