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Bonne lecture
Une épidémie de lobbying
Tout le monde n’a pas vécu le confinement de la même manière. Parmi les secteurs qui ont connu un surcroît d’activité à l’arrivée de l’épidémie, il n’y a pas que les soignants. Il y a aussi les lobbyistes, comme nous le montrons dans notre rapport Lobbying : l’épidémie cachée, publié avec les Amis de la Terre la semaine dernière. Pourtant, personne ne qualifierait leur activité d’« essentielle » au bon fonctionnement de la société.
Dès les premiers jours de la crise, les décideurs ont été assaillis de demandes de suspension, d’assouplissement ou de retrait pur et simple de règles sociales, environnementales et fiscales, généralement sans rapport avec le virus, mais dont le secteur privé voyait une occasion de se débarrasser. Cependant, ce n’est sans doute pas là le plus important. Le lobbying visant à capter les aides publiques et à influencer la teneur des plans de relance est beaucoup plus décisif pour « le monde d’après ».
Tout ceci met en lumière les profondes limites des dispositifs actuels de transparence du lobbying en France, mis en place dans le cadre de la loi Sapin 2. Contrairement à ce qu’il en est au niveau européen, il n’y a aucune transparence sur les contacts entre décideurs et représentants d’intérêts. Contrairement à ce qu’il en est aux États-Unis (où l’on sait déjà que le premier trimestre 2020 a vu un record de dépenses de lobbying), les déclarations de dépenses et d’activités d’influence ne sont requises qu’un an après les faits. Enfin et surtout, ces dispositifs ne fournissent que des informations rudimentaires, ciblant les activités purement formelles de lobbying, alors que dans le contexte actuel celles-ci sont devenues encore moins importantes par rapport à l’influence informelle, celle qui s’exerce à travers les relations personnelles des élites, les conflits d’intérêt, les pantouflages et les portes tournantes.
Lire notre rapport Lobbying : l’épidémie cachée.
De quoi McKinsey est-il le nom ?
En préparant notre rapport, nous avons découvert des acteurs méconnus de la gestion de l’épidémie du Covid-19. On les retrouve partout : auprès des hôpitaux et des autorités de santé pour les conseiller sur leur organisation, auprès du pouvoir exécutif pour aider à mettre en place le confinement et le déconfinement et à faire face aux pénuries, auprès de Bercy pour flécher les aides aux entreprises et contribuer à l’élaboration des plans de relance.
« Ils », ce sont le grands cabinets de conseil en gestion. Ils s’appellent McKinsey, Bain, Boston Consulting Group (BCG), Accenture, Roland Berger, Capgemini, ou encore Strategy& (ex Booz, appartenant aujourd’hui à PwC) et Parthenon (filiale d’Ernst & Young). Après avoir accompagné et encouragé la réduction du nombre de fonctionnaires et la soumission de l’hôpital public aux contraintes gestionnaires, ils se sont assuré aujourd’hui un rôle clé auprès du pouvoir exécutif et de l’administration pour façonner la réponse à la crise sanitaire – pas toujours de manière très probante.
Une grande opacité règne sur ces missions et leur rémunération, et les « portes tournantes » entre cabinets de conseil, haute administration et politiques tournent à plein régime. Voilà qui en dit long sur la réalité de l’État aujourd’hui.
Lire notre article : Covid-19 : ces consultants au cœur de la « défaillance organisée » de l’État
Les conditions fantômes du gouvernement
Le soutien de 5 milliards d’euros de l’État à Renault, dont nous parlions dans notre précédente lettre, a enfin été formellement approuvé, sur fond d’annonce d’un plan de suppression de 4600 emplois en France. Comme pour Air France (qui avait bénéficié d’un chèque de 7 milliards, et également annoncé dans la foulée des réductions d’effectifs), beaucoup avaient demandé que cette aide publique soit conditionnée à des objectifs environnementaux.
En ce qui concerne Air France, des « engagements » de l’entreprise ont été annoncés par voie de presse en contrepartie de l’aide de l’État, mais on ne sait pas très bien leur statut juridique. L’un d’entre eux, la suppressions de certaines lignes intérieures, a été dénoncé comme insuffisant par les associations écologistes pour réduire véritablement les émissions de gaz à effet de serre du trafic aérien français, et il se pourrait bien que ces lignes soient simplement transférées à des filiales. Le recours aux agrocarburants et à la compensation carbone est tout aussi contesté.
En ce qui concerne Renault, le président du constructeur a déjà déclaré que les engagements demandés par le gouvernement n’étaient « pas très compliqués », puisqu’il ne s’agit apparemment que de respect des délais de paiement aux fournisseurs et de mise en conformité avec les objectifs climat en vigueur - bref, ce que le groupe était déjà censé faire.
Précision importante : Nous avons été pour l’instant incapables de nous procurer une version officielle des fameux « engagements » pris par Renault, ni auprès du constructeur (dont le communiqué officiel ne porte que sur les aspects financiers), ni auprès du ministère de l’Économie. Non seulement donc ces engagements n’apportent rien de neuf, mais on ne sait pas quelle valeur juridique ils ont ni même s’ils ont été couchés par écrit.
Ce feuilleton des contreparties environnementales aux aides publiques avait connu un autre épisode bizarre avec une lettre de la ministre de la Transition écologique Elisabeth Borne aux patrons du CAC40 leur demandant à nouveau... des « engagements ». Un rendez-vous avait alors été annoncé pour « début juin » pour les officialiser. On attend.
En bref
* #BlackLivesMatter et "blackwashing". Le meurtre de George Floyd par un policier blanc à Minneapolis a entraîné un mouvement global de protestation contre le racisme et les violences policières aux États-Unis et partout dans le monde. Plusieurs grandes marques ont publiquement marqué leur soutien en reprenant le signe de l’écran noir sur les réseaux sociaux, dont Microsoft, Amazon, Nike, Netflix et beaucoup d’autres. Mais aussi des groupes français présents aux États-Unis comme L’Oréal, LVMH ou Kering. Inévitablement, beaucoup de ces firmes ont été accusées de surfer sur le mouvement d’indignation pour soigner leur image, et d’avoir des pratiques en contradiction avec leurs discours. Amazon, par exemple, a de nombreux contrats avec les services de police et l’agence chargée de cibler les migrants, l’ICE. Quant à L’Oréal, le groupe s’est fait rappeler la manière dont il avait coupé ses liens en 2017 avec le mannequin transgenre britannique Munroe Bergdorf, attaquée par l’extrême-droite pour « racisme anti-blanc » après avoir souligné le caractère structurel de la violence raciale dans nos sociétés. Aucune prise de position d’entreprises sur les violences policières en France n’est à signaler.
Excuse my language but I am SO angry. FUCK YOU @lorealparis. You dropped me from a campaign in 2017 and threw me to the wolves for speaking out about racism and white supremacy. With no duty of care, without a second thought. pic.twitter.com/nnBfiP5Oqg
— Black Lives Matter ✊🏾 (@MunroeBergdorf) June 1, 2020
Le tweet a été supprimé depuis.
* BCE : un assouplissement encore plus quantitatif pour les gros pollueurs. Il y a deux semaines, nous expliquions comment la Banque centrale européenne avait considérablement étendu son programme d’achat d’obligations d’entreprises face à la crise du coronavirus, et comment ce soutien financier a bénéficié à des multinationales impliquées dans les énergies fossiles (comme Total) ou qui prétendaient ne pas bénéficier d’aides publiques et donc ne pas avoir à suspendre leurs dividendes (comme Total). Greenpeace estime que depuis le début de la crise, la BCE a déjà fléché 4,4 milliards d’euros vers le secteur énergétique (E.On, Engie) et 3,2 vers le secteur pétrolier (Total, Shell, Eni). Eh bien, malgré un appel signé par 45 ONG européennes, la BCE vient de décider d’accroître son programme de 600 milliards d’euros supplémentaires, sans conditions climatiques.
* Soutien financier : la Banque d’Angleterre ne connaît pas le Brexit. Toujours sur le sujet des facilités de trésorerie consenties par les Banques centrales aux multinationales, la Banque d’Angleterre elle aussi a lancé un programme d’urgence à l’occasion de l’épidémie du coronavirus. La liste des entreprises soutenues réserve quelques surprises, puisqu’elle inclut parmi ses principaux bénéficiaires des poids lourds du continent, comme les géants allemands de la chimie BASF et Bayer-Monsanto. Le premier a reçu un soutien d’un milliard de livres, et le second de 700 millions. Également dans la liste, des firmes automobiles japonaises, des firmes parapétrolières et... le groupe de luxe Chanel, qui a reçu 600 millions de livres sterling. Les frères Wertheimer, ses principaux actionnaires habitués à se verser de très généreux dividendes, n’ont pas encore annoncé si ce serait le cas cette année.
* Corona-profiteurs, épisode 2073 : le lait infantile. Dès les années 1970, des multinationales comme Nestlé s’étaient trouvées sous le feu des critiques pour leur dénigrement de l’allaitement maternel dans les pays du Sud et leur publicité pour les substituts qu’ils commercialisaient. Si elles se sont fait plus subtiles, ces pratiques n’ont pas cessé selon l’ONG Baby Milk Action, et l’épidémie du coronavirus leur fournit de nouveaux arguments, notamment en Inde. L’ONG pointe du doigt Nestlé, qui distribue gratuitement du lait en poudre dans les hôpitaux indiens, mais aussi le groupe français Danone, qui a créé une chaîne YouTube où des « experts » conseillent par exemple aux mères de maintenir leurs nouveaux-nés à une distance de deux mètres minimum.
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