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Bonne lecture
Une bonne manière de relocaliser : la remunicipalisation
On parle beaucoup de relocalisation ces jours ci, et aussi de retour de l’État, mais cela peut vouloir dire des choses très différentes. Heureusement, il y a de bonnes sources d’inspiration, notamment au niveau local.
Cette semaine, nous publions la version abrégée en français d’un ouvrage collectif international intitulé « L’avenir est public », issu de la collaboration d’élu.e.s, de militant.e.s, de syndicalistes, de chercheuse.r.s et d’organisations de la société civile. Cette publication présente plus de 1400 exemples de remunicipalisation de services publics dans 58 pays, de la gestion des déchets en Égypte au déploiement de l’internet haut débit aux États-Unis dans des villes pauvres négligées par les opérateurs commerciaux, de la création de pharmacies municipales au Chili à l’essor des fournisseurs et producteurs d’énergie citoyens, en passant par les collaborations de collectivités françaises avec le secteur agricole local pour s’assurer une alimentation saine et de qualité.
Deux points sont à souligner en lien avec les débats actuels.
D’abord, il n’y a pas de modèle unique monolithique de service public. Notre enquête met en lumière une diversité de modèles, avec des exemples intéressants d’entités publiques démocratisées dans leur fonctionnement ou de collaborations entre secteur public classique, structures de l’économie sociale et solidaire et groupes citoyens.
Ensuite, beaucoup d’exemples abordés dans cette publication montrent que la remunicipalisation est aussi (et surtout) un moyen de relocaliser la richesse. Au centre de ces initiatives, on retrouve souvent l’aspiration d’élu.e.s et de citoyen.ne.s à « reprendre le contrôle » et à assurer la résilience écologique, sociale et économique de leurs territoires. Ce qu’ils font en réinvestissant les revenus générés par le service pour assurer sa durabilité de long terme et son accessibilité à tous plutôt que de les reverser à de lointains actionnaires, ou encore en faisant appel à des fournisseurs locaux ou des structures de l’économie sociale et solidaire plutôt qu’aux grands groupes et à leurs filiales.
Cette nouvelle publication fait suite à un précédent ouvrage sur le même sujet que nous avions co-publié il y a deux ans. Lire Remunicipalisation : comment villes et citoyens tentent, malgré l’austérité, d’inventer les services publics de l’avenir.
NB. À l’occasion de cette parution, nous publions deux nouveaux extraits de notre recueil « Villes contre multinationales », notamment un article très inspirant sur le vigoureux mouvement pour la remunicipalisation du logement à Berlin. (Eh oui, on peut aussi remunicipaliser le logement !)
Une manière moins convaincante de relocaliser : donner toujours plus d’argent aux grandes entreprises
Les annonces de cette semaine d’Emmanuel Macron et de Sanofi représentent un modèle presque opposé de « relocalisation ». Le gouvernement français a mis 200 millions d’euros sur la table afin de convaincre le géant pharmaceutique de réaliser un investissement chiffré à 610 millions pour augmenter ses capacités de production et de recherche de vaccins en France. Un soutien qui pourrait être complété par des précommandes de vaccin contre le Covid-19 auprès de Sanofi (s’il voit le jour), comme la France et trois autres pays l’ont fait récemment auprès d’un autre laboratoire, AstraZeneca, ainsi que par d’autres formes de soutien au secteur pharmaceutique au niveau européen.
Comme nous l’avions montré dans nos « Pharma Papers », les grands laboratoires se sont reconstruits ces dernières décennies comme des machines à siphonner l’argent public (sous formes d’aides à la recherche, de marchés, de remboursement d’assurance maladie) en profitant de la situation de dépendance des gouvernements et des autorités de santé, qui doivent passer par eux pour répondre aux besoins essentiels de leur population. Ces grands labos (dont Sanofi) ont pour actionnaires des fonds comme BlackRock qui exigent un retour sur investissement élevé et les poussent à pressurer les pouvoirs publics au maximum. D’où les chiffres que nous avançons dans les Pharma Papers : en 2017, les plus gros laboratoires mondiaux ont directement redistribué aux actionnaires 140% de leur résultat. C’est-à-dire tous leurs profits de l’année, plus 20 milliards d’euros en bonus. Sanofi a évidemment maintenu le versement de ses dividendes cette année : 3,95 milliards d’euros.
Depuis les débuts de la crise du Covid-19, ces mêmes laboratoires pharmaceutiques n’ont pas manqué une occasion de rappeler aux pouvoirs publics le vrai rapport de forces, voire de monter les gouvernements les uns contre les autres. C’est en ce sens qu’on peut interpréter les déclarations controversées du DG de Sanofi Paul Hudson, qui a donc obtenu au final ce qu’il demandait. Le même jour que les annonces d’Emmanuel Macron et de Sanofi, Berlin signalait prendre une participation de 300 millions dans la start-up CureVac, qui avait défrayé la chronique en mars en clamant publiquement que Donald Trump lui avait offert de l’acheter pour un milliard.
Les mesures annoncées par la France et l’Europe suite à la crise du Covid-19 résoudront peut-être une partie du problème : celui de chaînes d’approvisionnement pharmaceutiques très dépendantes d’usines situées en Chine ou en Inde. Mais elles ne règlent en aucun cas (voire aggravent) l’autre aspect du problème, encore plus important : celui de notre dépendance structurelle envers des mastodontes privés hyperfinanciarisés.
Pourtant, il y aurait moyen de faire autrement. Une première voie d’action serait de reconstruire une capacité de recherche et de production publique pour certains produits essentiels, une idée régulièrement évoquée, mais qui semble demeurer de l’ordre de l’inimaginable pour nos gouvernants. Une seconde serait d’introduire de véritables mécanismes de transparence sur l’utilisation des fonds d’aide publique à la recherche en santé et sur le prix des médicaments.
Suez menace le Chili
Alors que le Chili est frappé de plein fouet par l’épidémie du Covid-19, Suez a officiellement menacé le pays d’une procédure en arbitrage international – ce mécanisme inclus dans de nombre traités de libre-échange qui permet à des « investisseurs » étrangers de poursuivre des gouvernements.
En l’occurrence, Suez dénonce la procédure d’annulation de son contrat dans la ville d’Osorno (environ 150 000 habitants), suite à une coupure d’eau l’année dernière. Lors d’un référendum populaire organisé dans la ville à la fin de l’année, sur fond de manifestations populaires dans tout le pays contre le coût de la vie, 90% des votants se sont prononcés pour la remunicipalisation du service.
Pourquoi un tel acharnement du groupe français ? Probablement parce que ce serait la première remunicipalisation de l’eau au Chili, qui commencerait ainsi à suivre le chemin de l’Argentine et de la Bolivie il y a quelques années. Et aussi parce que le pays apparaît comme une vache à lait, financièrement parlant, pour Suez. Selon les données financières publiées dans le document d’enregistrement universel de l’entreprise, Aguas Andinas a reversé ces dernières années autour de 180 millions d’euros par an à ses actionnaires (parmi lesquels Suez), soit presque 150% de ses profits.
Un peu plus de détails dans notre article : Remunicipalisation de l’eau : Suez menace le Chili
En bref
* Une loi Évin pour le climat. C’était l’une des principales conclusions du récent rapport collectif #BigCorpo sur l’industrie de la pub et de la communication, auquel l’Observatoire des multinationales a contribué aux côtés de 21 partenaires : la publicité est massivement utilisée pour vendre des produits nocifs pour le climat, l’environnement et la santé, repeints en vert pour tromper les consommateurs et les décideurs. En 2019, les investissements de publicité et de communication des secteurs automobile, aérien et énergies fossiles en France sont estimés à plus de 5,1 milliards d’euros (dont 4,3 milliards d’euros rien que pour l’automobile). Greenpeace, Résistance à l’agression publicitaire et le Réseau Action Climat ont uni leurs forces pour pousser une solution simple : l’interdiction de toute publicité pour les énergies fossiles et pour tout véhicule utilisant des énergies fossiles (voitures, avion, etc.). Autrement dit, une « loi Évin pour le climat », alors que la loi Évin originale a démontré son efficacité en ce qui concerne la consommation d’alcool, et ne cesse d’ailleurs pour cette raison d’être attaquée depuis par les lobbys.
* L’argent sale de la France au Mozambique. S’il est une région du monde où la contradiction entre les beaux discours climatiques et humanitaires de la France et de ses entreprises et la réalité de leurs pratiques est manifeste, c’est bien le Mozambique. D’importantes réserves de gaz ont été découvertes au large du pays. De nombreuses firmes françaises – Total, Technip et les banques tricolores notamment – sont impliquées, sur fond de violences civiles et, désormais, d’épidémie de Covid-19. Entre ventes d’armes, corruption internationale, soutien financier de l’État français, militarisation de la région et grand jeu diplomatique dans le canal du Mozambique (entre le continent et Madagascar) et l’océan Indien, un nouveau rapport des Amis de la Terre fait le point sur le rôle très trouble de la France. Nous en avions aussi parlé dans cet article.
* L’industrie laitière réchauffe la planète. Les grandes multinationales du lait émettent collectivement autant de gaz à effet de serre qu’un géant du pétrole ou du charbon comme BHP ou ConocoPhillips, mais contrairement à ces derniers, elles ne sont pas identifiées par l’opinion publique et les décideurs comme de gros pollueurs. Comme on les laisse tranquille, elles continuent à augmenter d’année en année leurs émissions de gaz à effet de serre. C’est le cas aussi des champions français Lactalis (+30% d’émissions entre 2015 et 2017) et Danone (+15% sur la même période). Chiffres extraits d’un nouveau rapport de l’ONG IATP.
* Quand la bourse devient littéralement un jeu d’argent. Beaucoup commençaient à se demander pourquoi les bourses, et en particulier Wall Street, affichaient des cours aussi élevés alors que l’économie réelle est durement et durablement frappée par l’épidémie du Covid-19. Le New York Times croit avoir la réponse. C’est que les habitués des paris sportifs, forcés à l’oisiveté par l’annulation de toutes les compétitions, se sont massivement retournés vers les plateformes de spéculation boursière, y apportant des pratiques et des stratégies agressives et peu orthodoxes qui font monter la valeur de certaines actions. CQFD.
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