La filiale de Volkswagen au Brésil a été accusée d’avoir fourni un soutien matériel aux actes de torture perpétrés par la dictature militaire pendant ses 21 années au pouvoir, de 1964 à 1985. Le rapport final de la Commission nationale de la vérité, publié fin 2014, fournit des détails sur le rôle du constructeur automobile allemand.
Avec un chiffre d’affaires global de 197 milliards d’euros et un bénéfice de 9 milliards d’euros en 2013, le groupe Volkswagen, basé à Wolfsburg en Allemagne, est le deuxième constructeur automobile dans le monde. Il emploie 570 000 salariés et commercialise environ 10 millions de voitures par an. Sa filiale Volkswagen do Brasil produit des voitures depuis 1953 et emploie aujourd’hui 24 000 personnes dans le pays.
Lucio Bellentani, ancien employé de Volkswagen de l’usine de São Bernardo do Campo, près de São Paulo, a raconté à la Commission ce qu’il a vécu en 1972 : « Ils m’ont bloqué les bras dans le dos et aussitôt mis des menottes. Les tortures ont commencé dès que nous sommes arrivés dans le centre de sécurité de Volkswagen. J’ai été frappé, cogné et giflé ».
Complicité des multinationales
La Commission de la vérité a été mise en place par la présidente brésilienne Dilma Rousseff afin d’enquêter sur le sort réservé à ceux qui résistaient au régime militaire. Cette démarche représentait un intérêt particulier pour elle, ayant elle-même été torturée durant la dictature.
Le rapport final de 1000 pages, publié en décembre 2014, rend compte de l’assassinat et de la disparition de 434 personnes. La Commission a précisé qu’« il ne s’agit que des cas qu’il nous a été possible de vérifier... malgré les difficultés de l’enquête, notamment l’impossiblité d’accéder aux documents des forces armées, qui, selon la version officielle, auraient été détruits ». D’après certaines estimations, plusieurs milliers de personnes ont été arrêtées pour des motifs politiques et 6000 personnes ont été torturées durant la dictature.
Le rapport établit aussi que plus de 80 sociétés nationales et internationales ont largement collaboré avec le gouvernement militaire. Elles fournissaient des informations sur leurs salariés, remettaient des individus au département de l’Ordre politique et social (l’ancien centre administratif de la police, centre carcéral et salle de tortures) voire finançaient les forces paramilitaires pro-gouvernementales, telles que l’Operação Bandeirante.
En février 2014, la Commission a décidé de s’intéresser de plus près aux relations entre le régime militaire et Volkswagen.
Selon les découvertes des enquêteurs, des membres officiels de l’armée et de la police et les représentants de 25 grandes entreprises se retrouvaient dans le cadre du Centro Comunitário de Segurança (CECOSE), un organisme spécial mis en place en 1983. Le rapport précise que « le représentant de Volkswagen a joué un rôle très important au cours de ces réunions. Il engageait des discussions sur des sujets d’importance majeure et préparait des compte-rendus pour le CECOSE ».
Répression syndicale
Sebastião Neto, un membre de la Commission de la vérité, a expliqué à Reuters que les « documents montrent très clairement que les entreprises attendaient du gouvernement qu’ils les aident à résoudre les problèmes que leur posaient leurs salariés. Les bas salaires des ouvriers étaient considérés comme un élément clé de la croissance économique au Brésil ».
Le célèbre leader syndical Luiz Inacio Lula da Silva faisait partie des gens que Volkswagen surveillait, bien qu’il ne fut pas employé par la société. À cette époque, Lula, devenu plus tard président du Brésil entre 2003 et 2010, avait informé les salariés de Volkswagen que leurs dirigeants les espionnaient.
La Commission de la vérité a conseillé à l’armée brésilienne d’admettre le rôle qu’elle a joué pendant la dictature.
Contre l’impunité
En Allemagne, « Nunca Mais - Nie Wieder », une coalition militante de vingt ONG, a été créée dans le but de recueillir des informations sur le rôle des firmes, individus et institutions allemands qui ont soutenu la dictature. Des universitaires tels que Nina Schneider, historienne de l’Amérique latine de l’université de Constance, cherchent notamment à savoir dans quelle mesure les sociétés mères allemandes étaient au courant de ce qui se passait au Brésil. « La lumière doit être faite et Volkswagen doit expliquer sa position », a-t-elle déclaré à la radio Deutsche Welle.
Les controverses sur les activités de Volkswagen au Brésil ne sont pas une nouveauté. Franz Paul Stangl, l’ancien commandant nazi des camps de la mort de Sobibor et Treblinka, s’est échappé d’Allemagne pour rejoindre le Brésil où il a travaillé pour Volkswagen à São Bernardo do Campo pendant 15 ans. Stangl fut extradé en 1967 et déclaré coupable du massacre de 900 000 personnes.
Suite à la publication du rapport de la Commission de la vérité, Volkswagen a accepté de rechercher « des informations sur l’implication éventuelle des employés de Volkswagen do Brasil dans des violations des droits humains pendant la période de la dictature militaire », a expliqué un des porte-parole de la société à la Deutsche Welle. Manfred Grieger, directeur du département Histoire de l’entreprise, a précisé que Volkswagen a fait un effort de transparence sur son passé en faisant état de son rôle pendant les Première et Deuxième Guerres mondiales.
D’hier à aujourd’hui
Mais à ce jour, Volkswagen reste un employeur controversé au Brésil, accusé récemment de pratiques anti-syndicales. À la fin de l’année dernière, Volkswagen a décidé de licencier 800 salariés de son usine d’Anchieta à São Bernardo do Campo, invoquant la crise économique au Brésil.
Le syndicat a avancé que les licenciements constituaient une violation de l’accord signé par la société garantissant l’emploi des ouvriers jusqu’en 2017. « Nous ne pouvons pas accepter ces licenciements massifs », a déclaré à la presse Wagner Santana, secrétaire général du syndicat des métallurgistes, Sindicato do Metalúrgicos do ABC.
Les ouvriers de Volkswagen ont répliqué en organisant l’occupation de l’usine d’Anchieta et en fermant la chaîne de production, a rapporté Junge Welt. La semaine suivante quelque 10 000 salariés du secteur automobile, y compris de Ford et Mercedes Benz, ont organisé une importante marche de protestation contre les licenciements.
Ils exigeaient que la firme garantisse la sécurité de l’emploi pendant les périodes d’instabilité économique. « Cette protection existe déjà dans certains pays confrontés à des situations de crise, c’est d’ailleurs le cas en Allemagne, où se trouve la maison mère de Volkswagen », a déclaré Wagner Santana.
Volkswagen a cédé et accepté de réintégrer les 800 salariés et de reprendre les négociations en vue de la révision de l’accord collectif.
Nicolas Krotz
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Photo : Circuito Fora do Eixo CC