C’est une des conséquences du nouveau plan d’aide accordé à la Grèce par la Commission européenne et la troïka cet été : la relance de la machine à privatiser, et en particulier de la privatisation de l’eau. Un « protocole d’accord » fuité par un eurodéputé allemand dans le courant du mois d’août permet de connaître le détail des privatisations envisagées. Les biens immobiliers, les ports et infrastructures de transport, les secteurs de l’énergie et de l’eau, et les services postaux, sont les principales cibles de cette grande braderie. La section consacrée à l’eau est copiée ci-dessous (cliquer pour agrandir).
L’Observatoire des multinationales a consacré deux enquêtes aux privatisations imposées à la Grèce en général et en particulier à la tentative de privatisation des services de l’eau d’Athènes et de Thessalonique. L’entreprise Suez environnement était considérée comme favorite pour racheter ces deux entreprises, mais la tentative avait fini par avorter, en raison de la combinaison d’une forte résistance locale (un référendum local non contraignant organisé à Thessalonique avait donné un résultat sans appel de 98% des votants contre la privatisation) et d’une décision du Conseil d’État grec qui avait déclaré la privatisation de l’eau inconstitutionnelle, car le service touche aux besoins vitaux des citoyens.
Certes, cette décision du Conseil d’État ne peut pas être contournée si facilement. Il n’est donc plus question de vendre la totalité des entreprises de l’eau d’Athènes et de Thessalonique au secteur privé. Seulement 49,9% au maximum. Mais si cette limitation permet de sauver les apparences légales, l’histoire prouve qu’il y a peu de différence entre une privatisation à 49,9 et à 100% dès lors que le contrôle opérationnel du service est confié au secteur privé. George Archontopoulos, président du syndicat des employés de l’eau de Thessalonique et l’un des animateurs de la campagne contre la privatisation, est sans ambiguïté : « Que ce soit 49 ou 51%, nous nous opposons à toute nouvelle privatisation de l’entreprise », car il est probable que les investisseurs privés « se verront confier le contrôle de la gestion en cadeau ». Contactée, Suez n’a pas confirmé si elle était toujours candidate au rachat des parts à vendre des deux principaux services de l’eau grecs.
Hypocrisie
Officiellement, les institutions européennes ne cessent d’affirmer leur neutralité dans le débat sur les mérites respectifs de la gestion publique et de la gestion privée de l’eau. En coulisses, toutefois, il en va tout autrement, comme vient l’illustrer à nouveau le cours des événements en Grèce [1].
Certains observateurs ont aussi souligné « l’hypocrisie » de l’Allemagne, qui est apparue aux yeux de l’opinion publique comme le défenseur le plus intransigeant de la poursuite des politiques d’austérité en Grèce, y compris les privatisations, alors même que le pays connaît actuellement une vague de dé-privatisation non seulement dans le secteur de l’eau, mais aussi dans celui de l’énergie [2]. « Ils demandent que la Grèce fasse exactement ce qu’ils ont en train de défaire en Allemagne même », a dénoncé Maude Barlow, présidente de l’ONG Food & Water Watch et ancienne conseillère de l’ONU sur les questions liées à l’eau.
Quant au gouvernement français, il ne s’est pas exprimé publiquement sur le sujet, mais au vu de ses déclarations passées sur « l’aide » que pouvait apporter les firmes françaises à la Grèce et sa sympathie habituelle pour les intérêts économiques de Veolia, Suez et co., on peut lui faire le même reproche. Le programme de privatisation grec représente aussi une opportunité alléchante pour les banques : BNP Paribas est déjà citée comme conseillère pour la cession des propriétés immobilières de l’État grec.
En 2013, près deux millions de citoyens européens avaient signé la première Initiative citoyenne européenne (ICE) sur le droit à l’eau et le refus de la privatisation (Right2Water), coordonnée par une coalition de syndicats et d’associations européens. La Commission européenne s’était contentée d’une réponse minimale, estimant qu’il n’était pas nécessaire d’introduire de nouvelles législations. Le 8 septembre 2015, le Parlement européen vient toutefois d’approuver une motion exigeant que la Commission consacre législativement le droit à l’eau, et exclut expressément le secteur de l’eau de la directive sur les concessions et de ses négociations commerciales internationales, notamment celles du projet de traité de libre-échange avec les États-Unis (Tafta). Sera-ce déjà trop tard pour la Grèce ?
Olivier Petitjean
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