26.09.2017 • Pesticides

Sous pression des lobbys, le gouvernement renonce à interdire le glyphosate

Cédant à la grogne de la profession agricole, le gouvernement a renoncé à interdire unilatéralement le glyphosate sur le territoire français, comme il l’avait initialement annoncé. Dans quelques jours, l’Union européenne doit se prononcer sur un renouvellement de la licence du glyphosate pour 10 ans, sur la base d’un rapport d’experts très controversé. La France a déclaré qu’elle s’opposerait à un renouvellement aussi long.

Publié le 26 septembre 2017 , par Sophie Chapelle

Cacophonies et nouvelles reculades gouvernementales, à propos des pesticides. Le 25 septembre, le porte-parole du gouvernement Christophe Castaner a initialement annoncé l’interdiction du glyphosate d’ici la fin du quinquennat [1]. Le glyphosate est un désherbant jugé cancérogène par plusieurs études indépendantes, mais toujours utilisé par Monsanto dans son Roundup. Quelques heures plus tard, Christophe Castaner n’évoquait plus que « des progrès significatifs » d’ici 2022 pour encadrer les pesticides, dont le glyphosate. Le gouvernement renonce donc à des objectifs clairs, « il n’y a pas d’autre date arrêtée par le Premier ministre », a précisé son porte-parole.

Que s’est-il passé entre ces deux annonces ? Il y a d’abord eu la montée au créneau de la FNSEA, syndicat agricole majoritaire. Dans un communiqué, les représentants du syndicat relatent avoir été reçu le matin même par Nicolas Hulot, le ministre de la Transition écologique et solidaire. Ce dernier avait confié deux jours plus tôt au journal Ouest France que « la justice et l’Histoire nous rattraperont » si rien n’est fait pour remédier au problème des pesticides [2]. La FNSEA estime de son côté « qu’il n’y a pas, à ce jour, de raisons scientifiques incontestables qui justifieraient son interdiction », malgré son classement comme cancérogène probable par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en mars 2015 et de nombreuses évaluations scientifiques qui démontrent le contraire. Une manifestation a même été organisée par la FNSEA le 22 septembre, sur les Champs-Élysées, contre l’interdiction du glyphosate !

Pour le syndicat agricole, « il est hors de question que si l’Europe dit oui à l’autorisation du glyphosate, la France prenne une position unilatérale visant à dire non ». « On ne peut sérieusement interdire le glyphosate sans alternatives crédibles aux plans technique et économique. » Au même moment, le Premier ministre se fend d’un communiqué qui tempère les déclarations de son porte-parole. Édouard Philippe rappelle que l’utilisation du glyphosate par les collectivités dans les espaces ouverts au public est déjà interdite en France depuis le 1er janvier 2017, et que l’utilisation par les particuliers sera interdite à partir du 1er janvier 2019 (voir ici et ). Ces usages non agricoles des pesticides représentent environ 10 000 tonnes chaque année, soit 5 à 10 % des épandages de glyphosates. Quid des dizaines de milliers de tonnes de pesticides non concernées ?

Plus aucune date d’interdiction annoncée par le Premier ministre

Edouard Philippe a demandé à Nicolas Hulot et au ministre de l’Agriculture Stéphane Travert « de lui présenter les conditions d’un plan de sortie du glyphosate, compte tenu de l’état de la recherche et des alternatives disponibles pour les agriculteurs ». Le gouvernement décidera ensuite d’une éventuelle « transition raisonnable vers la sortie du glyphosate », en fonction également des positions de la Commission européenne. Traduisez : il est urgent d’attendre.

Plus aucune date n’est donc avancée. La substance classée cancérogène probable par le Centre international de recherche sur le cancer pourra continuer à être tranquillement épandu. Une position saluée par Christiane Lambert, la présidente de la FNSEA [3], mais fortement critiquée par des organisations environnementales. « Si la France maintient cette position absurde et non protectrice, on risque fort de se retrouver dans 5 ans dans la même situation qu’aujourd’hui. Nous exhortons la France à ne pas céder aux pressions du lobby agro-chimique qui a tout intérêt à maintenir sur le marché cette molécule dangereuse », s’insurge Générations Futures

Quand la Commission européenne base ses décisions sur un copié-collé de… Monsanto

Les 5 et 6 octobre prochains, la Commission européenne doit proposer le renouvellement pour dix ans de la licence du glyphosate en Europe, licence qui se termine d’ici la fin de l’année. Le gouvernement français estime cependant que dix ans est trop long « compte tenu des incertitudes qui subsistent sur ce produit », et s’opposera au renouvellement de la licence. Le ministre de l’Agriculture Stéphane Travert proposé une durée de « cinq à sept ans ».

« Encore une fois, les dernières annonces du gouvernement sont du pipeau, estime Corinne Lepage, ancienne ministre de l’Environnement. Plus grave même, c’est de l’incompétence. On ne peut pas dire qu’on cherche à interdire le glyphosate en France à un horizon de cinq ans, puisque c’est un dossier qui se gère au niveau européen et que la licence est accordée pour une période de dix ans. »

En juillet dernier, la Commission européenne s’est dite favorable à ce renouvellement, en s’appuyant sur un rapport de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) de 2015 concluant qu’il n’y avait pas de raison de classer le glyphosate comme cancérogène. Or, des passages importants de ce rapport – une trentaine de pages – sont de simples copier/coller d’un document réalisé en 2012 par... Monsanto, au nom de la « Glyphosate Task Force », un consortium d’une vingtaine d’entreprises commercialisant des produits à base de glyphosate en Europe [4]. Ce plagiat jette le discrédit sur l’indépendance des instances sanitaires européennes vis à vis des lobbys agrochimiques. Affaire à suivre à Bruxelles début octobre.

Sophie Chapelle

Notes

[1Voir cet entretien accordé à BFM TV

[2Voir l’entretien de Nicolas Hulot à Ouest France

[3Voir ici

[4Voir cet article du Monde

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