08.04.2015 • Climat

Sous pression, les banques françaises renoncent au charbon australien

Une victoire pour le climat et la Grande barrière de corail. De manière inédite, les trois plus grandes banques françaises viennent de s’engager sans ambiguité à ne pas investir dans le développement des vastes réserves de charbon du Bassin de Galilée, au Nord-ouest de l’Australie. Une démarche qui n’aurait pas été possible sans la campagne acharnée menée par les militants écologistes et altermondialistes, lesquels avaient déjà obtenu l’année dernière le retrait de la Société générale du projet emblématique Alpha Coal.

Publié le 8 avril 2015 , par Olivier Petitjean

En décembre dernier, après plusieurs mois de pressions, la Société générale annonçait, à travers un communiqué de presse succinct, son retrait d’« Alpha Coal », un immense projet d’extraction et d’exportation de charbon au Nord-ouest de l’Australie. La campagne orchestrée par les Amis de la terre, Attac et le mouvement altermondialiste basque Bizi ! avait vu les agences de la « SocGen » bloquées par des amas de charbon ou occupées par des jeûneurs du climat, ses dirigeants interpellés par des pétitions et d’autres interventions publiques, et la banque elle-même faire l’objet d’appels à boycott.

Le succès obtenu contre la Société générale en France s’inscrit dans le cadre de ce qui est devenu l’une des plus emblématiques batailles mondiales pour le climat, au même titre que celles qui se jouent autour des projets d’oléoducs géants en Amérique du Nord (comme le Keystone XL) ou encore de la prospection pétrolière en Arctique. Avec pour enjeu la question de savoir si le charbon du Bassin de Galilée, dans l’État du Queensland, l’une des plus importantes réserves de carbone encore non exploitées au monde, restera ou non dans le sol.

Loin de d’arrêter en si bon chemin, les animateurs de la campagne contre Alpha Coal en France annoncent aujourd’hui un nouveau succès, puisqu’ils ont obtenu l’engagement clair et sans ambiguïté des trois plus grandes banques françaises – BNP Paribas, la Société générale et le Crédit agricole – de rester à l’écart de tous les projets de développement du charbon dans le Bassin de Galilée, y compris les infrastructures ferroviaires ou portuaires associées [1]. Initialement, la SocGen s’était contentée d’évoquer les « retards » du projet pour « suspendre » son engagement [2]. « C’est la première fois que les banques s’engagent à ne pas financer les projets de toute une région en raison de leurs impacts environnementaux et climatiques, se félicite Lucie Pinson des Amis de la terre. Cependant, la bataille pour le climat ne s’arrête pas là et leurs engagements sont loin de suffire à inverser la hausse de 218 % des financements des banques françaises au secteur du charbon entre 2005 et 2013. »

Action citoyenne

Neuf mines au total sont envisagées dans la région, dont cinq seraient plus grandes que n’importe quelle mine de charbon actuellement en opération en Australie (pourtant déjà le premier exportateur mondial de charbon). Si elles voyaient le jour, elles permettraient, selon les calculs de Greenpeace, de produire et exporter annuellement 330 millions de tonnes de charbon pendant 30 ans, soit plus de 700 millions de tonnes de CO2 supplémentaires émises dans l’atmosphère tous les ans [3]. Cela représente quasiment le double des émissions annuelles de CO2 de la France et hisserait d’un seul coup le Bassin de Galilée, considéré comme un pays, au septième rang mondial des plus gros émetteurs de gaz à effet de serre.

Une perspective que de plus en plus de monde considère comme inacceptable. Même l’Agence international de l’énergie concluait, dès 2012, que les deux tiers des réserves connues de pétrole, gaz et charbon devaient rester dans le sol si l’on voulait maintenir le réchauffement global en dessous des 2ºC [4]. Pour le charbon australien comme pour les oléoducs nord-américains, la bataille se déroule simultanément sur plusieurs terrains - politique, administratif, juridique et économique -, et elle surtout marquée par l’essor de l’action directe citoyenne. Dénonçant l’impuissance ou la résignation de nos dirigeants face aux puissants intérêts qui continuent à pousser au développement des énergies fossiles, de plus en plus de groupes militants, de citoyens et même d’institutions (universitaires, religieuses, médiatiques…) cherchent désormais à bloquer eux-mêmes directement ces développements. Ils le font soit sur le terrain en occupant des sites miniers ou des chantiers d’oléoducs, soit en ciblant les sources d’argent qui rendent ces projets possibles, comme c’est le cas du mouvement global pour le désinvestissement des énergies fossiles [5]. Non sans résultats.

Maillon faible financier

L’une des particularités de la controverse autour du Bassin de Galilée est d’avoir mis en lumière le rôle décisif joué par les banques internationales dans le financement des grands projets d’extraction d’énergies fossiles, qui se chiffre généralement en milliards d’euros. Pour les deux projets de mines considérés comme les plus avancés – Alpha Coal, porté par le conglomérat indien GVK en association avec la milliardaire australienne Gina Rinehart, et Carmichael, porté par Adani, une autre firme indienne -, le besoin de financement total, y compris les lignes de chemin de fer et les terminaux d’exportation, a été estimé à 25 milliards de dollars australiens (17,5 milliards d’euros) [6]. Lorsqu’en plus de leur rôle de pourvoyeuses de fonds, les banques concernées ont aussi une activité commerciale de détail – c’est le cas des banques françaises -, cela peut devenir une source de vulnérabilité, comme l’a démontré de manière éclatante la campagne victorieuse contre l’implication de la Société générale dans Alpha Coal, mais aussi celles menées en parallèle contre d’autres banques aux États-Unis, en Europe et même en Inde.

Il faut dire qu’en plus de son impact sur le climat, la perspective d’une exploitation à grande échelle du charbon du Bassin de Galilée comporte également d’autres risques environnementaux majeurs, eux aussi de résonance mondiale, puisqu’ils concernent la Grande barrière de corail. Pour rendre possible l’exportation de ces millions de tonnes de charbon le terminal portuaire d’Abbot Point, sur la côte du Queensland et dans la zone classée au patrimoine mondial de la Grande barrière de corail, doit être réaménagé et considérablement étendu, pour atteindre une capacité de 250 millions de tonnes de charbon exportés par an. Le sol sous-marin doit être dragué afin de permettre le passage quotidien de bateaux plus gros et en plus grand nombre. Initialement, les 5 millions de tonnes de déchets issus de ce dragage devaient être rejetées un peu plus loin dans la mer. Une menace directe pour les récifs coralliens et les espèces animales et végétales qu’ils abritent, à un moment où ils ont déjà été considérablement fragilisés par le réchauffement climatique et la pollution. Celle-ci a été jugée suffisamment sérieuse par l’Unesco pour qu’elle menace d’inscrire la Grande barrière de corail sur la liste du patrimoine de l’humanité « en danger » [7]. Même le président américain Barack Obama s’est permis une entorse diplomatique en marge du Sommet du G20 tenu à Brisbane en novembre 2014, en dénonçant le danger que représentait le charbon pour ce patrimoine universel [8].

Le double argument de la lutte contre le changement climatique et de la protection de la Grande barrière de corail s’est révélé suffisamment persuasif pour qu’un grand nombre de banques et d’établissements financiers s’engagent à se tenir à l’écart du projet d’extension d’Abbot Point, malgré les pressions contraires de la diplomatie australienne [9]. Outre les trois banques françaises, la liste inclut Citigroup, Goldman Sachs, JPMorgan Chase, Deutsche Bank [10], Royal Bank of Scotland, HSBC, Barclays, et Blackrock.

Comme le notaient il y a quelques mois trois des coordonnateurs de la campagne internationale contre les banques, « cela en dit long sur l’inacceptabilité des projets de construction de nouveaux terminaux géants d’exportation de charbon dans la zone de la Grande barrière de corail classée au patrimoine mondial que les banques les plus impliquées dans le financement du secteur charbonnier aient choisies de s’en tenir à l’écart. De fait, six des dix banques les plus impliquées dans le charbon [sept aujourd’hui avec BNP Paribas] ont déclaré qu’elles ne financeraient pas l’extension d’Abbot Point [11]. »

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Des banques françaises encore massivement investies dans le charbon et le gaz australiens

Market Forces, une ONG australienne, compile chaque année les soutiens accordés par des banques et autres institutions financières au secteur des énergies fossiles en Australie. Une liste dans laquelle les banques françaises occupent une place de choix. BNP Paribas a ainsi investi 1,642 milliard de dollars australiens (1,15 milliard d’euros) dans 22 projets de gaz et de charbon depuis 2008, la première banque non australienne et non asiatique du classement. La Société générale a insufflé 426 millions de dollars australiens rien que dans les mines de charbon ; son rôle dans Alpha Coal était tout sauf anodin, puisqu’elle était en charge de conseiller les porteurs du projet et de les aider à trouver des financeurs. Quant au Crédit agricole, il est lui aussi impliqué dans plus d’une vingtaine de projets charbonniers et gaziers. Et d’autres banques françaises comme Natixis, CIC-Crédit mutuel ou encore Dexia sont elles aussi concernées.

Alpha Coal n’est-il donc que l’arbre qui cache la forêt ? Pour les militants de la justice climatique, cibler des grands projets emblématiques permet de gagner en efficacité, mais cela n’est pas suffisant si cela conduit à négliger tout le reste. D’autant que les banques françaises restent impliquées dans des projets quasiment aussi controversés qu’Alpha Coal ou l’extension d’Abbot Point. Dans l’État de Victoria, elles sont en première ligne pour renflouer des centrales à charbon extrêmement polluantes et controversées, appartenant à GDF Suez. BNP Paribas et la SocGen figurent aussi parmi les financeurs de la mine de charbon de Maules Creek, dans l’État de Nouvelle-Galles-Du-Sud. Ce projet, qui vise lui aussi a exporter des millions de tonnes de charbon et qui entraînerait le défrichement d’une forêt primaire (un habitat critique pour les koalas), fait lui aussi l’objet d’une importante campagne citoyenne en Australie. Le site de la mine a été occupé par des militants et des célébrités pendant plus de 500 jours, et continue à faire l’objet de manifestations et d’actions de blocage quasi quotidiennes.

Si elles ont cédé à la pression en ce qui concerne Abbot Point, les banques françaises ne rechignent pas non plus à financer des terminaux d’exportation de charbon et de gaz, y compris dans la zone de la Grande barrière de corail classée au patrimoine mondial de l’humanité. C’est le cas de celui de Dalrymple Bay, à 200 kilomètres au Sud d’Abbot Point, dans l’extension duquel Natixis a injecté 122 millions de dollars australiens. C’est le cas de celui de Wiggins Island, en cours de constuction, dont l’un des partenaires financiers est BNP Paribas. C’est le cas enfin des terminaux géants d’exportation de gaz naturel liquéfié de Curtis Island : si les banques françaises ne paraissent pas directement impliquées dans Gladstone LNG, le terminal dont Total est partie prenante et qui permettra l’exportation de 10 millions de tonnes par an de gaz issu de la fracturation hydraulique, elles le sont dans Australia Pacific LNG, un projet voisin et très similaire. La construction de ces terminaux a entrainé d’importantes pollutions en 2011, considérées par beaucoup comme une préfiguration des menaces qui pèsent désormais sur la Grande barrière de corail en raison des développements portuaires géants (lire notre article). Plus au Sud, le Crédit agricole, qui a insufflé plus de 400 millions de dollars australiens dans les ports charbonniers en Australie ces dernières années, figure parmi les plus importants financeurs du terminal d’exportation de Brisbane et de celui de Newcastle, le plus important port charbonnier au monde.

Les Amis de la terre, qui ont fait du rôle des banques dans le dérèglement climatique l’un de leurs principaux chevaux de bataille depuis des années, veulent aller au-delà de la focalisation sur des projets particuliers, en obtenant des trois grands banques françaises des engagements globaux de retrait progressif des énergies fossiles, à commencer par un abandon définitif du charbon dès cette année. Le contexte de l’organisation de la Conférence climat à Paris fin 2015 est favorable. « Avec l’approche de la COP, explique Lucie Pinson, les principales banques à l’international se sentent poussées à faire des annonces en matière climatique. L’enjeu est d’éviter des mesures cosmétiques qui n’inverseront pas la hausse de leurs financements dans le secteur du charbon. Et, plus nous ferons pression, plus loin elles seront forcées à aller loin dans leurs engagements. » Les Amis de la terre lancent d’ailleurs à cette occasion un nouveau site web pour permettre aux citoyens d’interpeller les banques dont ils sont clients : jechangedebanque.eu.

Qui veut encore financer le charbon du Bassin de Galilée ?

« Si nous nous retirons, d’autres pires que nous viendront prendre la place », ont coutume de faire valoir les banques et multinationales françaises en réponse aux critiques des militants. Face aux réticences des banques européennes et nord-américaines, les firmes qui sont derrière les projets de Carmichael et Alpha Coal ont tenté de se replier sur des banques indiennes et d’autres banques asiatiques, avec un succès mitigé. Adani a par exemple annoncé en fanfare en novembre 2014 un prêt d’un milliard de dollars US de la State Bank of India (SBI), mais il s’est rapidement avéré que c’était du bluff [12]. Entre-temps, une pétition en ligne contre l’investissement de la SBI dans Abbot Point avait recueilli un million de signatures.

Pour les militants locaux, la question critique reste celle de la position que prendront les grandes banques australiennes, les « Big 4 » : ANZ, Commonwealth Bank, National Australia Bank et Westpac, lesquelles sont, de loin, les plus gros financeurs des énergies fossiles dans le pays. Aucune de ces banques n’a encore déclaré officiellement ses intentions quant au financement d’Abbot Point et des autres projets charbonniers de la région. Elles sont aujourd’hui l’objet d’une forte pression dans les deux sens : de la part des environnementalistes d’un côté et de la part des milieux économiques et politiques liés aux intérêts miniers et énergétiques de l’autre. Pour Julien Vincent, de Market Forces, « ces banques se suivent de très près les unes les autres, et bougent rarement séparément. Si l’une d’elles décide de ne pas investir dans le Bassin de Galilée, il y a de fortes chances que les autres suivront. »

Idéologie

En dernière instance, la principale source de soutien aux grands projets charbonniers du Bassin de Galilée restent les pouvoirs publics australiens. En désespoir de cause, confrontées aux difficultés de financement de ces projets, les autorités du Queensland ont fini par annoncer – laissant soudain de côté leurs grandes déclarations contre l’interventionnisme de l’État dans l’économie – le déblocage d’aides financières directes pour s’assurer qu’ils verraient bien le jour. Elles ont indiqué qu’elles prendraient une participation financière minoritaire et « provisoire » dans les infrastructures nécessaires aux projets charbonniers (ligne de chemin de fer et port). Elles devaient aussi prendre en charge elles-mêmes la construction des équipements destinés à accueillir les déchets du dragage [13]. Comme l’État du Queensland croule sous les dettes, cet argent devait venir de la vente d’actifs publics... Le tout au bénéfice d’Adani, une entreprise dont la presse australienne révélait au même moment les manipulations financières douteuses et l’usage intensif des paradis fiscaux [14].

L’engouement pour le charbon des dirigeants conservateurs du Queensland et de l’Australie en général tient à des raisons économiques et sociales, mais pas seulement [15]. À un moment où le cours du charbon est à un niveau historiquement bas et où de nombreux analystes, y compris dans les cercles financiers les plus orthodoxes, estiment que cette source d’énergie a amorcé un déclin sans doute définitif, le choix de persister dans les projets d’exploitation du charbon du Bassin de Galilée a un caractère presque idéologique pour des milieux d’affaires et des dirigeants politiques proches du climato-scepticisme [16].

Certes, l’État australien est financièrement dépendant des royalties de l’industrie extractive, et le pays a connu ces dernières années un boom minier – alimenté par la demande chinoise - qui lui a permis de résister à la crise économique globale. Alors que ce boom paraît clairement sur la pente descendante, les gouvernants semblent s’accrocher à l’illusion qu’il serait possible de le faire repartir artificiellement, à travers une augmentation massive de l’offre de charbon, à destination, cette fois, du marché indien [17]

Tout est bon pour le charbon ?

Surtout que les concessions faites à Adani et GVK sont loin de se réduire aux seules aides financières : elles incluent aussi toute une série d’exemptions administratives et de mesures de dérégulation environnementale. L’État du Queensland a établi une autorité de développement spéciale chargée de prioriser les infrastructures liées au charbon sur tous les autres formes d’utilisation des terres sur des zones définies. Il a fait adopter de nouvelles régulations donnant droit aux entreprises minières d’extraire autant d’eau qu’elles le souhaitent des aquifères, sans permis spécifique et sans plus avoir à prouver le caractère soutenable de ces extractions [18]. Or, selon un rapport commandé par les opposants au charbon, les neuf mines proposées dans le Bassin de Galilée représenteraient une consommation d’eau totale d’entre 1500 et 2000 milliards de litres, dans une zone semi-aride [19]. Alpha Coal, à elle seule, nécessiterait pour fonctionner l’extraction de 176 milliards de litres d’eau sur trente ans, prélevés soit dans les aquifères, soit dans les rivières locales ; dans les deux cas, au détriment des autres utilisateurs de l’eau et de l’environnement.

Une autre décision significative des pouvoirs publics a été d’abandonner le rejet en mer des déchets du dragage d’Abbot Point, au profit d’un autre projet – jusque là présenté comme trop coûteux pour être envisageable – de mise en décharge sur la côte. Une annonce hautement stratégique puisqu’il s’agissait pour les autorités australiennes de dénouer l’alliance de fait qui s’était créée entre d’un côté les environnementalistes et de l’autres côté les représentants de secteurs économiques – tourisme, pêche – potentiellement affectés par l’impact environnemental des grands projets charbonniers. Si ce n’est que pour de nombreux experts, le choix de déposer les déchets à proximité de zones humides côtières est sans doute pire d’un point de vue environnemental que celui de les rejeter en mer. Ces zones humides jouent en effet un rôle critique pour empêcher les sédiments et certains polluants contenu dans l’eau d’atteindre la Grande barrière de corail. Elles servent aussi de zone de reproduction pour certaines espèces marines et d’abri pour des milliers d’oiseaux. Ce qui n’a pas empêché le ministère de l’Environnement de mettre en œuvre une procédure d’approbation accélérée, avec consultation minimale du public [20].

Batailles judiciaires

Le gouvernement conservateur du Queensland vient toutefois de connaître une défaite électorale inattendue lors des élections provinciales de janvier 2015. Il paraît clair que la question du charbon aura joué un rôle décisif dans la victoire au couteau obtenue par les travaillistes. Ces derniers ont rapidement annoncé un nouvel accord avec Adani et GVK, décevant beaucoup d’environnementalistes : l’État continuera à soutenir politiquement les projets charbonniers, y compris l’extension du port d’Abbot Point, mais sans y investir de fonds publics, et les déchets de dragage devront être entreposés dans un nouveau site, ni dans la mer ni à proximité de zones humides [21].

La bataille se poursuit désormais devant les tribunaux. Les militants anti-charbon ont déposé plusieurs recours pour faire annuler les autorisations accordées à Adani et GVK en arguant notamment des risques climatiques qu’ils font peser sur la Grande barrière de corail et au-delà, ainsi que des incertitudes quant à l’impact de ces projets sur les eaux souterraines. Un premier procès, visant les permis accordés à Adani, vient de s’ouvrir devant le tribunal foncier du Queensland, et devrait durer plusieurs semaines [22]. Un procédure similaire a été lancée, cette fois devant la Cour fédérale australienne, par une autre association [23]. D’autres encore sont en cours.

Les Wangan et les Jagalingou, ethnies aborigènes du Bassin de Galilée ont elles aussi décidé de s’opposer formellement aux projets charbonniers sur leurs terres ancestrales. Selon un avocat cité par le Guardian [24], c’est l’une des premières fois en Australie que des aborigènes s’opposent aussi catégoriquement à un projet minier sur leurs terres, plutôt que de chercher à négocier une compensation. Certes, l’expérience passée en Australie suggère que les pouvoirs publics et les intérêts miniers hésitent rarement à piétiner les droits des aborigènes. Adani a saisi la Cour des titres indigènes pour passer outre l’objection des Wangan et des Jagalingou, qui ne disposent pas encore d’un réel droit de veto. Là aussi, l’affaire se décidera donc devant les tribunaux.

Pour l’instant du moins, les opposants locaux et les militants de la justice climatique du monde entier ont réussi – profitant certes du contexte mondial de déclin du charbon – à monter une ligne de défense suffisamment efficace pour qu’il ne paraisse plus évident que les projets charbonniers « climaticides » de GVK, Adani et autres dans le Bassin de Galilée voient jamais le jour. Le retrait des banques françaises contribue, à son échelle, à mettre davantage la victoire à portée de main. Il vient aussi prouver que l’action citoyenne peut peser sur le cours des événements, et que la lutte contre le changement climatique ne doit pas fatalement se réduire à des petits arrangements au sommet sur les meilleurs moyens d’ajuster l’ordre établi sans le changer. Un message utile à quelques mois de la Conférence climat de Paris.

Olivier Petitjean

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Photos (dans l’ordre) : Jeunes plongeurs dans la Grande barrière de corail, CC 350.org ; Manifestation contre l’extension d’Abbot Point à Melbourne, CC Takver ; Tanker transportant du charbon au large de Russell Island, Grande barrière de corail, CC Spelio ; site d’une mine de charbon à proximité de celle de Maules Creek, Leard State Forest CC ; zone humide Caley, a proximité d’Abbot Point, où il a été proposé pendant un temps de déposer les déchets issus du dragage du port, CC Ian Sutton.

Notes

[1Les lettres des trois banques françaises sont accessibles ici.

[2La réponse habituelle des banques et des multinationales confrontées à la contestation de leurs projets est de se retrancher derrière les divers critères, engagements et politiques sociales et environnementales qu’elles ont mises en place. La Société générale n’avait pas manqué de le faire, initialement, dans le cas d’Alpha Coal (lire notre article). Mais d’innombrables expériences ont montré qu’en l’absence de transparence et de procédures ouvertes et contradictoires, ces politiques ne suffisent pas à empêcher effectivement que des projets extrêmement problématiques voient le jour. La campagne contre le charbon du Bassin de Galilée a permis d’aller au-delà, en obtenant une exclusion claire et a priori de ces projets par les banques.

[3Greenpeace (2012), Cooking the Climate, Wrecking the Reef : The global impact of coal exports from Australia’s Galilee Basin. À lire ici.

[4Source.

[6Selon une étude de l’Institute of Energy Economics and Financial Analysis (IEEFA) datée d’octobre 2014.

[7Voir ici.

[8Voir ici.

[9Voir par exemple ici.

[10En réponse à une pétition signée par 180 000 Allemands.

[11Source.

[12Lire ici et .

[13Voir ici et .

[14Voir ici.

[15Le soutien massif apporté au secteur du charbon dans le Queensland paraît sans réelle mesure avec ses bénéfices économiques réels, selon les chiffres rassemblés par le think-tank environnementaliste The Australian Institute dans une étude intitulée « La souris qui rugissait » (ici en anglais). Le secteur du charbon représente 1,2% de la population active du Queensland , 7% de son produit intérieur brut et 4% des recettes fiscales, mais il reçoit en retour plus de 8 milliards de dollars australiens par an en aides publiques diverses.

[16Le gouvernement fédéral de Tony Abbott a été élu en 2013 sur un programme régressif en matière environnementale : abolition de la taxe carbone instituée en 2012, suppression de divers organismes publics en charge du climat, de l’environnement ou des sciences, soutien politique acharné au secteur des énergies fossiles mêmes les plus polluantes… Une démarche qui rappelle un peu celle mise en œuvre, à l’autre bout du monde et de l’« Anglosphère » climato-sceptique, par le gouvernement Harper au Canada, au profit cette fois des sables bitumineux.

[17L’argument est, comme d’habitude, que le développement du charbon australien permettra à des millions d’Indiens d’accéder à une électricité bon marché. Les opposants ont su mobiliser plusieurs études pour battre en brèche ces prétentions « humanitaires ». Voir par exemple ici et .

[18Voir ici et .

[19Hydrocology Environmental Consulting (2013), Draining the Life-blood : Groundwater Impacts of Coal Mining in the Galilee Basin. À lire ici.

[20Voir ici et .

[21Voir ici, et les commentaires critiques d’une universitaire et environnementaliste locale].

[22Voir ici.

[23Voir ici.

[24Source.

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