Bienvenue dans la lettre (quasi) hebdomadaire de l’Observatoire des multinationales.
Au menu : des gros pollueurs invités à négocier avec les gouvernements, de nouvelles aides publiques, du greenwashing et des plaintes contre des multinationales (qui pour une fois ne sont pas TotalEnergies).
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Bonne lecture
50 sites industriels, 3 milliards d’euros de quotas de CO2 gratuits
Ce mardi 8 novembre, Emmanuel Macron a reçu à l’Élysée les dirigeants des 50 sites industriels les plus polluants de France – ou plus précisément 50 des 120 sites les plus émetteurs de CO2, les installations énergétiques ayant été exclues de la liste. Parmi les principales entreprises concernées : le sidérurgiste ArcelorMittal, les cimentiers LafargeHolcim et Calcia, ou encore les chimistes et pétrochimistes Solvay et TotalEnergies. Au menu des discussions : un échange avec ces industriels autour de « solutions décarbonées », et l’annonce de nouvelles aides publiques pour les aider à adopter lesdites « solutions ».
Le problème, c’est que cela fait des années que ces gros pollueurs reçoivent des aides publiques pour devenir plus verts. Les dernières en date sont celles annoncées dans le cadre du plan France Relance et du plan France 2030 (voir notre analyse France 2030 : 34 milliards d’euros pour qui et pour quoi ?).
La plus (tristement) ironique de ces aides publiques est sans doute la distribution de quotas gratuits dans le cadre du marché européen du carbone. Celui-ci, mis en place en 2005, était précisément censé inciter les industriels à se décarboner grâce à la magie du marché, à travers le négoce de quotas d’émissions. Sauf que pour minimiser les risques de délocalisation, la plupart des grands sites industriels d’Europe obtiennent chaque année des millions de quotas de CO2 gratuits.
Les 120 sites industriels français les plus émetteurs de gaz à effet de serre ont reçu l’équivalent de près de 300 millions de quotas gratuits sur la période 2015-2020, couvrant près de 68% de leurs émissions de CO2. Si l’on ne tient pas compte des centrales thermiques, ce taux grimpe à 85, 90 ou même 95% pour de nombreux sites industriels. Et même à plus de 100 % pour les sites ArcelorMittal de Dunkerque et de Florange, les usines Vicat de Montalieu, St Egrève ou Grave de Peille, les cimenteries Calcia d’Airvault et de Bussac-Forêt, l’usine de Saint-Gobain de Pont-à-Mousson. Vous avez bien lu : ces sites industriels ont reçu plus de quotas gratuits qu’il n’émettaient effectivement de CO2, de sorte qu’ils ont pu les revendre sur le marché en bénéficiant de la hausse progressive du prix du carbone.
Le montant des quotas carbone alloués gratuitement aux 50 sites industriels les plus polluants entre 2015 et 2020 représente au total un peu plus de 3 milliards d’euros. Et un peu plus de 4 milliards d’euros pour les 120 sites les plus polluants. Les montants sont conséquents. C’est environ 730 et 530 millions d’euros pour les sites de Dunkerque et de Fos-sur-Mer d’ArcelorMittal. Ou encore 140 millions d’euros pour la raffinerie TotalEnergies de Normandie, ou 112 millions d’euros pour celle d’Esso.
Lire notre article complet : Les 50 sites industriels les plus polluants de France ont reçu pour 3 milliards d’euros de quotas d’émissions gratuits entre 2015 et 2020
Coca-Cola, mais pas que. Les douteux sponsors de la COP27
La 27e édition de la Conférence internationale sur le climat (COP27) s’est ouverte ce lundi à Charm El-Cheikh, en Égypte. Comme la plupart des COP précédentes, cette conférence intergouvernementale qui doit décider de l’avenir de notre planète est « sponsorisée » par des grandes entreprises. En plus d’offrir une respectabilité internationale au régime répressif du président al-Sissi, la COP27 fournit ainsi également une tribune à des multinationales pour le moins controversées.
En 2015, pour la COP21 à Paris, le gouvernement français avait choisi de recourir à une vingtaine de champions français dont Engie et EDF, très impliqués dans le charbon (lire nos enquêtes d’alors). Idem pour les COP suivantes. L’année dernière, la COP26 à Édimbourg était sponsorisée par des multinationales comme Microsoft, Unilever, GSK ou encore le groupe Jaguar Land Rover. Bis repetita cette année.
On a beaucoup parlé du cas d’un sponsor de la COP27 en particulier : Coca-Cola. Le groupe basé à Atlanta arrive pour la quatrième fois consécutive en tête du classement du plus gros pollueurs de l’ONG Break Free From Plastic. Plastique qui est, rappelons-le produit à partir de pétrole et de gaz.
Ce n’est pourtant pas le seul sponsor de la COP27 à avoir des liens étroits avec le secteur des énergies fossiles. Numérique (Microsoft), infrastructures (Orascom), énergie (Siemens), transport aérien (EgyptAir), automobile (General Motors)... Les autres sponsors de la COP27 sont loin d’être des modèles de vertu écologique. Plus de détails dans notre article : Coca-Cola, EgyptAir, Orascom, Microsoft... Les douteux sponsors de la COP27
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Perenco : la fin de l’impunité ? Il est rare que Perenco, discrète entreprise pétrolière française propriété de la famille Perrodo, fasse la une des médias. Cela pourtant été le cas cette semaine avec les révélations des médias d’investigation Disclose et InvestigateEurope. La ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher n’est en effet autre que la fille d’un des dirigeants de Perenco, lequel a donné à ses petits-enfants une partie de sa fortune sous la forme d’une société elle-même liée à des fonds basés dans des paradis fiscaux. Une double tache pétrolière et fiscale pour la ministre, qui n’a pas jugé bon de déclarer l’existence de cette société à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique. Les deux médias se sont également penchés sur les pollutions occasionnées par Perenco en RDC, dénoncées depuis des années par la société civile. Les Amis de la Terre et Sherpa, qui travaillent sur ce dossier depuis des années, en ont profité pour déposer plainte contre l’entreprise, pour l’enjoindre de réparer les préjudices écologiques causés dans ce pays. Une première juridique, qui ouvre un nouveau front pour mettre fin à l’impunité des multinationales. On peut retrouver tout ce que nous avons écrit sur Perenco au fil des années ici.
Qatar : une filiale de Vinci mise en examen. À quelques jours de l’ouverte de la Coupe du monde de football au Qatar, la société Vinci Grands Projets, filiale du groupe de BTP, a enfin été mise en examen. C’est l’aboutissement des efforts de l’association Sherpa et de ses partenaires, qui avaient déposé plainte contre plusieurs filiales de Vinci en 2019 avec constitution de partie civile pour « réduction en servitude, traite des êtres humains, travail incompatible avec la dignité humaine, mise en danger délibérée, blessures involontaires et recel ». Une première plainte avait déposée dès 2015, suite aux premières alertes sur les conditions de travail et de vie des ouvriers - généralement des migrants asiatiques - des chantiers de la Coupe du monde et des infrastructures associées (lire notre enquête de 2014 : Conditions de travail sur les chantiers du Qatar : quel est le rôle de Bouygues et Vinci ?). Vinci avait alors rétorqué par un tir de barrage de procès bâillons pour intimider Sherpa et ses salariées, sans succès.
L’envers du décor du greenwashing de TotalEnergies. Si vous l’avez raté, nous vous conseillons de regarder le film de Jean-Robert Viallet et Catherine Le Gall, Le système Total, anatomie d’une multinationale de l’énergie, sur Arte. Librement inspiré du livre d’Alain Deneault De quoi Total est-il la somme ? (lire notre entretien avec Alain Denault lors de sa parution), le film se rend sur les « lieux du crime » en Ouganda et en Tanzanie et au Texas. Il contient aussi quelques séquences fascinantes en caméra cachée où l’on voit des cadres de TotalEnergies mettre littéralement en scène devant les caméras l’image verte et policée conçue par la direction de leur entreprise, en comptant sur la complicité des réalisateurs.