12.01.2016 • Arbitrage commercial

Traités de libre-échange : TransCanada réclame 15 milliards de dollars à l’administration américaine pour le rejet de l’oléoduc KeyStone XL

Il y a deux mois, le président Obama avait finalement décidé de rejeter le projet d’oléoduc géant Keystone XL, symbole des projets pétroliers hyper-polluants auxquels il est nécessaire de renoncer pour sauver le climat. La firme TransCanada a annoncé qu’elle réclamerait 15 milliards de dollars de compensation à l’administration américaine pour cet abandon, en utilisant les mécanismes de protection des investisseurs et d’arbitrage commercial de l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena, ou Nafta). Ces mêmes mécanismes sont au coeur des controverses sur le projet de grand accord de libre-échange transatlantique.

Publié le 12 janvier 2016 , par Sophie Chapelle

Le 6 novembre dernier, Barack Obama a privilégié l’environnement plutôt que l’industrie pétrolière en déclarant l’abandon de la construction de l’oléoduc Keystone XL. Porté par le consortium TransCanada, cet oléoduc de 1 900 kilomètres devait transporter le pétrole issu des champs de sables bitumineux de l’Alberta jusque dans le Golfe du Mexique. Deux mois après cette décision, dans un communiqué daté du 6 janvier, l’entreprise canadienne TransCanada annonce son intention de poursuivre l’État fédéral américain devant un tribunal arbitral. TransCanada réclame 15 milliards de dollars US de compensation, pour ce qu’elle considère être une violation des obligations prévues par l’accord de libre-échange nord-américain (Alena).

L’entreprise soutient que le rejet du projet est « arbitraire et injustifié », et que la décision ultime de refuser le permis a été motivée par des considérations politiques et non par l’évaluation du projet lui-même. Elle prétend aussi que des permis ont été octroyés à des projets similaires dans le passé. TransCanada affiche son intention de déposer une requête devant un tribunal arbitral en vertu du chapitre 11 de l’Alena. Ce chapitre établit un dispositif permettant aux entreprises étrangères de porter plainte contre un État ou une collectivité territoriale, dès lors qu’une décision publique menace ses intérêts [1]. Cette même procédure permet à l’entreprise canadienne Lone Pine resources d’utiliser une de ses filiales américaines pour attaquer le moratoire existant au Québec contre l’utilisation de la fracturation hydraulique.

Inquiétudes confirmées

TransCanada a par ailleurs initié un recours juridique parallèle contre le gouvernement Obama auprès d’une cour fédérale au Texas, affirmant que le refus du Président d’accorder le permis de construire excédait ses pouvoirs définis par la Constitution américaine. « La compagnie aura ainsi le privilège de choisir la décision qui lui sera la plus avantageuse, droit dont nul autre citoyen ou entreprise nationale ne peut jouir », relève le Collectif Stop Tafta dans un communiqué. Sur 514 différends connus fin 2012 entre investisseurs et États, les entreprises ont été victorieuses, en tout ou partie de leurs poursuites, dans 58 % des cas.

Les plaintes déposées par TransCanada confirment les inquiétudes des mouvements sociaux et citoyens qui alertent les responsables politiques sur les dispositions similaires prévues dans l’accord entre l’Union européenne et le Canada (Ceta) et celui entre l’UE et les États-Unis (Tafta) (voir notre dossier sur les Accords de commerce). « Alena, Tafta ou Ceta sont incompatibles avec les objectifs affichés lors de la COP21, car ils permettront à n’importe quelle entreprise du secteur des énergies fossiles d’attaquer toute politique ambitieuse visant à la transition énergétique », prévient Amélie Canonne, de la campagne Stop Tafta en France. Le coût de la procédure et les potentielles indemnités, facturés aux contribuables américains, pourraient paralyser toute action publique en matière de lutte contre le changement climatique.

« L’idée que certains accords commerciaux devraient nous forcer à surchauffer l’atmosphère de la planète est tout simplement ahurissante », appuie Bill Mc Kibben de l’ONG 350.org. Qui appelle l’administration Obama à étendre ce refus à tous les projets d’infrastructure « climaticides ». « Ce serait un signal clair envoyé à l’industrie et aux investisseurs que le statu quo n’est plus acceptable ». Un statu quo qui n’a pas été levé par la COP21 puisque l’Accord de Paris n’a posé aucune limite à la primauté du commerce international et du droit des investisseurs sur l’urgence climatique.

Sophie Chapelle

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Photo : shannonpatrick17 @ flickr CC

Notes

[1L’accord de libre-échange parle de « mécanisme de règlement des différends investisseurs - États » (« ISDS » pour l’acronyme anglais).

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