10.05.2017 • Irresponsabilité

Travail des enfants en Ouganda : Lafarge s’en lave les mains

Il y a un an, la presse dénonçait le recours au travail des enfants dans une carrière artisanale alimentant une cimenterie de Lafarge en Ouganda. Suite à ces révélations, la firme française a simplement cessé de s’alimenter dans cette carrière, laissant sur le carreau ceux dont elle avait exploité le travail pendant dix ans. Une tendance malheureusement généralisée chez les multinationales confrontées à des scandales éthiques.

Publié le 10 mai 2017 , par Olivier Petitjean

Après les controverses sur son rôle dans la guerre civile syrienne et ses relations avec Daech, puis celles sur sa participation à la construction du mur anti-migrants de Donald Trump (lire notre article), c’est une troisième affaire qui met en lumière la conception assez particulière de l’éthique qui semble prévaloir au sein de la direction du groupe cimentier Lafarge (désormais LafargeHolcim).

Il y a un peu plus d’un an, Le Monde révélait qu’une cimenterie du groupe en Ouganda s’approvisionnait dans des carrières de pouzzolane où travaillaient des enfants (lire notre article à l’époque). Suite à la mise en lumière de ces faits, le groupe a décidé de cesser toute relation avec les carrières en question, exploitées artisanalement, pour ne s’approvisionner qu’auprès de carrières industrielles.

Pour les ONG suisses Pain pour le prochain et Action de carême, qui ont mené l’enquête sur place, cela illustre une conception particulièrement limitée - sinon franchement hypocrite - de sa responsabilité par LafargeHolcim. « Pendant des années, le groupe cimentier a tiré un bénéfice du travail des enfants. Avec pour conséquence que des jeunes n’ont pas été scolarisés ou n’ont pas reçu de formation, explique explique Yvan Maillard Ardenti, expert en entreprises et droits de l’homme à Pain pour le Prochain. Le groupe ne devrait pas seulement prendre des mesures pour réduire son propre risque de réputation, mais tenir compte des conséquences sur l’avenir de ces enfants qui se retrouvent sans revenu ni formation. »

Selon les deux ONG suisses (lire leur rapport d’enquête complet en anglais, ou le résumé en français), le recours au travail des enfants dans les carrières fournissant Lafarge est établi depuis le début des années 2000. Environ 150 enfants seraient concernés, dont la plupart ont subi des blessures ou d’autres impacts sanitaires du fait de la pénibilité du travail dans les carrières. La direction de LafargeHolcim conteste ces conclusions et déclare avoir diligenté sa propre enquête, selon laquelle l n’y a « aucune preuve du travail des enfants dans sa chaîne d’approvisionnement ».

Quelle responsabilité pour les multinationales ?

Les multinationales touchées par des scandales éthiques ont souvent le réflexe de cesser unilatéralement toutes relations commerciales avec leurs fournisseurs mis en cause, en se présentant comme « trompées » par ces derniers, sans mettre en question leurs propres pratiques de délocalisations et de recherche du coût le plus bas, qui ont rendu ces abus possibles. Le groupe Auchan, par exemple, lorsqu’il a été accusé d’avoir fait travailler des ateliers textiles de l’immeuble Rana Plaza, qui s’est effondré en 2013 au Bangladesh, a prétendu qu’il s’agissait d’un cas de sous-traitance « sauvage » en cascade et a rompu ses liens avec les fournisseurs concernés.

Selon Pain pour le prochain, l’affaire illustre aussi la nécessité de règles juridiques contraignantes pour obliger les multinationales comme LafargeHolcim à prendre leurs responsabilités vis-à-vis des abus dans leurs chaînes d’approvisionnement, présents ou passés. Une initiative citoyenne sur la responsabilité juridiques des multinationales suisses, dont le contenu est assez similaire à la récente loi française sur le devoir de vigilance, devrait être soumise à référendum populaire en 2018.

Le directeur général de LafargeHolcim Eric Olsen a été contraint à la démission suite au scandale suscité par les activités du groupe en Syrie, sous la pression des principaux actionnaires (à savoir quatre milliardaires : le Suisse Thomas Schmidheiny, le Belge Albert Frère, le Canadien Paul Desmarais et l’Egyptien Nassef Sawiris). Le directeur de la sûreté de LafargeHolcim, Jean-Claude Veillard, dont Mediapart a rappelé qu’il était par ailleurs militant et candidat du Front national, pourrait le suivre. Rien n’indique que les pratiques changent pour autant sur le terrain.

Olivier Petitjean

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Photo : Pain pour le prochain (voir ici)

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