01.07.2013 • Droits sans devoirs

Un déclin historique de la responsabilité des entreprises ?

Et si l’émergence de la notion de « responsabilité sociale des entreprises » correspondait en réalité à un recul de la responsabilité effective des firmes - que ce soit vis-à-vis de leurs travailleurs, des sociétés où elles sont basées et implantées, ou encore vis-à-vis de leurs obligations fiscales ?

Publié le 1er juillet 2013 , par Olivier Petitjean

Les entreprises et leur statut sont décidément au centre du débat politique américain. D’un côté, les décisions successives de la Cour suprême [1] et les politiques d’inspiration néolibérales ou libertariennes adoptées dans certains États tendent à les doter de toujours plus de droits, tout en limitant les possibilités d’engager leur responsabilité juridique. D’un autre côté, le scandale suscité par les pratiques d’optimisation fiscale des grands groupes américains comme Apple ou Google a mis en lumière le peu de cas que ces firmes faisaient de leurs obligations fiscales - quand bien même elles touchent par ailleurs de coquettes subventions publiques.

C’est dans ce contexte que la revue en ligne américaine Remapping Debate publie une riche enquête (en anglais) sur la « responsabilité des entreprises » et son déclin effectif au cours des dernières décennies.

Les journalistes de Remapping Debate ont interrogé plusieurs dizaines d’entreprises grandes et petites pour leur demander en quoi elles se sentaient américaines et comment elles percevaient leurs obligations vis-à-vis de leur pays.

Les réponses des firmes illustrent le déclin de la notion traditionnelle de responsabilité des entreprises - une notion faite de devoirs moraux vis-à-vis de leurs travailleurs et de leur pays et d’obligations fiscales. Lorsqu’il s’agit de caractériser la « nationalité » de leur firme, les dirigeants interrogés se contentent de mettre en avant la localisation du siège ou le nombre de salariés. Quant à d’éventuelles « obligations », il reste encore très rare que soient mis en avant d’autres devoirs que l’obligation fiduciaire de la firme vis-à-vis de ses actionnaires.

La même démonstration pourrait certainement être faite à propos d’autres pays, dont la France. Certes, il peut paraître un peu court d’envisager la responsabilité des entreprises sous un angle exclusivement national, comme le fait Remapping Debate. D’un autre côté, si la notion d’une responsabilité « patriotique » des entreprises semble bien insuffisante dans le monde d’aujourd’hui, force est de constater que son effacement n’a pas encore été compensé par d’autres formes effectives de responsabilité.

L’enquête de Remapping Debate a donc aussi le mérite de mettre en lumière le véritable contexte dans lequel a émergé le modèle actuel de « responsabilité sociale des entreprises », fondée sur une logique managériale standardisée et, trop souvent, plus formelle que réelle. Cette émergence est parallèle à un déclin - qu’elle vise dans le meilleur des cas à corriger, mais souvent aussi à cacher - de la responsabilité réelle et de la citoyenneté des entreprises.

Olivier Petitjean

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Image : ’Big people, small people’, Jared Rodriguez / TruthOut, cc

Notes

[1Par exemple, la fameuse décision Citizens United de 2010 reconnaissait aux entreprises le statut de personnes à part entière, et donc le droit de financer les partis politiques autant qu’elles le souhaitent au nom de leur « liberté d’expression ».

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