Lundi 8 avril, l’Assemblée nationale a voté l’instauration d’une taxe sur les multinationales du numérique, appelée taxe « Gafa », pour « Google-Apple-Facebook-Amazon ». Le texte crée une imposition sur les produits tirés de certains services numériques, comme le ciblage publicitaire ou la revente de données personnelles, fournis par les grands groupes du secteur. Cette taxe s’appliquera aux entreprises dont le chiffre d’affaires lié aux activités numériques est supérieur à 750 millions d’euros au niveau mondial et 25 millions d’euros en France. Au-delà des quatre géants du secteur, d’autres entreprises comme Uber ou Airbnb seraient aussi concernées. Leurs revenus issues des activités spécifiquement numériques seront imposés au taux unique de 3 %. Le projet initial prévoyait une taxation à 5 %. Le gouvernement estime à environ 400 millions d’euros la recette annuelle de cette nouvelle taxe, qui s’appliquera à une trentaine d’entreprises. Permettra-t-elle d’avancer vers une imposition un peu plus juste des géants du numérique qui pratiquent aujourd’hui largement l’évasion fiscale ? Pas du tout, répond l’association altermondialiste Attac.
Attac a évalué ce que paieraient Google, Amazon, Facebook et Apple, ainsi que Microsoft, si leurs bénéfices réalisés en France étaient véritablement taxés par l’impôt sur les sociétés. « Pour les cinq entreprises étudiées ici, nous estimons à 9,4 milliards d’euros le chiffre d’affaires réalisé grâce à des ventes en France qui ne sont pas déclarées dans l’Hexagone », évalue l’association. Mais, selon Attac, ces entreprises « dissimulent » une grande partie de leur chiffre d’affaires réalisé en France grâce à des systèmes de facturations via des paradis fiscaux européens comme le Luxembourg ou l’Irlande. 58 % du chiffre d’affaires d’Amazon ou 85 % de celui de Google en France seraient ainsi fiscalement masqués.
Si ces cinq entreprises s’étaient normalement acquittées de l’impôt sur les sociétés en 2017 (au taux théorique de 33 %) et « si la totalité de leur activité sur le territoire avait été déclarée », les finances publiques auraient dû récolter 623 millions d’euros de recettes. Or, avec cette taxe, les services fiscaux ne percevront que 162 millions d’impôts de la part de ces cinq sociétés selon les calculs de l’association, soit quatre fois moins. Appliquée à la trentaine d’entreprises concernées par la taxe Gafa, une véritable imposition aurait donc rapporté bien plus que les 400 millions d’euros envisagés par le gouvernement.
Attac pointe d’autres problèmes. La taxe ne concerne que les activités numériques des entreprises, pas celles de vente. « Elle est sans doute efficace face aux activités de Facebook et de Google, dont les revenus sont essentiellement basés sur la publicité en ligne, mais beaucoup moins pour Apple, Amazon, et Microsoft, qui ont des activités majoritairement “hors numérique”. » Cette taxe ne viserait pas les revenus des ventes de smartphones, de tablettes et d’ordinateurs d’Apple. Or, « l’optimisation fiscale concerne l’ensemble des activités des multinationales, et non leurs seules activités numériques. » Par ailleurs, cette taxe a pour assiette le chiffre d’affaires réalisé en France, et non le bénéfice, comme c’est le cas pour l’impôt sur les sociétés. « En taxant des entreprises sur leur activité et non sur leur résultat, le gouvernement français crée une forme d’inégalité de traitement entre différentes entreprises », écrit l’association. Ce qui pourrait être finalement considéré comme illégal par la Commission européenne.
Face à ces lacunes, Attac propose une solution alternative pour faire payer leurs impôts aux géants du numérique : la taxation unitaire des multinationales. Elle consiste à taxer dans chaque pays le bénéfice réalisé dans chaque pays. Pour le faire, il faudrait d’abord « déterminer le bénéfice global réalisé à l’échelle mondiale par chaque groupe » et ensuite, « répartir ce bénéfice mondial entre les pays où le groupe réalise son activité », pour que la multinationale contribue bien à l’impôt en fonction de son activité réelle. Mais est-ce bien la volonté du gouvernement, alors que le budget 2019 prévoit la suppression de 2500 emplois aux ministères du Budget et de l’Économie et des Finances ? Ceux-là même qui, entre autres, doivent lutter contre l’évasion fiscale.
À lire : Attac, « La “taxe GAFA”, une fausse solution à l’évasion fiscale »
Sophie Chapelle
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Photo : Lors du procès Apple contre Attac, le 12 février 2018 (source)