20.10.2022 • Vous avez dit inflation ?

Les patrons du CAC40 ne connaissent pas la crise

Les patrons du CAC40 ont vu leur rémunération augmenter en moyenne de 52% entre 2020 et 2021, les mettant largement à l’abri des effets de l’inflation. Les salaires de leurs employés, en revanche, tendent à stagner voire à baisser en termes réels. C’est que les dirigeants du CAC40 ne sont plus depuis longtemps « des salariés comme les autres » - leur rémunération et leurs intérêts sont largement alignés sur ceux des actionnaires. Extrait de l’édition 2022 à paraître de « CAC40 : le véritable bilan annuel ».

Publié le 20 octobre 2022

L’inflation annuelle pour 2021 en France a été évaluée par l’INSEE à +1,6%. Depuis, sur fond de guerre en Ukraine, cet indicateur a poursuivi son augmentation rapide, pour s’établir en août 2022 à à +5,8% sur un an. La hausse des prix – à commencer par celle des prix de l’énergie et des denrées alimentaires – affecte profondément les ménages, et notamment les plus modestes.

Les patrons du CAC40, eux, sont bien mieux préparés à faire face à l’inflation, puisque leur rémunération annuelle a augmenté en 2021 de... 52%. Le cas du PDG de TotalEnergies Patrick Pouyanné, qui a défrayé la chronique ces derniers jours sur fond de mouvement social dans les raffineries du groupe, se situe exactement dans la moyenne des grandes entreprises françaises.

La rémunération moyenne des dirigeants du CAC40 s’établit ainsi à 6,6 millions d’euros pour 2021, contre 4,4 millions l’année précédente. Il est vrai que les rémunérations patronales, en cette première année de pandémie, avaient été volontairement réduites, dans des proportions variables, en guise de geste de solidarité avec le reste de la population. Pour 2019, la rémunération annuelle moyenne d’un patron du CAC40 était de 5,2 millions d’euros. La hausse entre 2019 et 2021 est donc tout de même de 26,4%.

Un nombre croissant de patrons affichent des rémunérations dépassant allègrement les 10 millions d’euros

Comme chaque année, cette estimation moyenne cache des situations très disparates. Un nombre petit mais croissant de patrons du CAC affichent désormais des rémunérations dépassant allègrement les 10 millions d’euros, tandis que les dirigeants d’entreprises dont l’État est actionnaire (Orange, Thales, Safran) figurent en bas de classement – mais à des niveaux encore très confortables d’entre 2 et 3 millions d’euros. Il n’y a plus qu’un patron du CAC40 qui affiche une rémunération annuelle inférieure à 2 millions d’euros, celui de Gilles Martin (Eurofins).

Les patrons les mieux payés du CAC40 sont sensiblement les mêmes d’une année sur l’autre. Bernard Charlès, le DG de Dassault Systèmes, figure en tête du classement avec 44 millions d’euros, grâce à son importante rémunération en actions. Daniel Julien de Teleperformance et Carlos Tavares de Stellantis – nouveau venu à ces hauteurs stratosphériques – émergent à plus de 19 millions d’euros. Ils sont suivis au classement par les patrons de Sanofi et L’Oréal – tous deux entre 10 et 11 millions d’euros -, puis de LVMH (8 millions d’euros).

La rémunération médiane des patrons du CAC40, du fait du petit nombre de rémunérations très élevées, est sensiblement plus basse que la rémunération moyenne, mais suit la même évolution : 4,9 millions d’euros en 2021, contre 4,2 millions d’euros en 2019 et 3,3 en 2020.

Une rémunération alignée sur les intérêts des marchés financiers

Il n’y a aucun hasard à ce que les rémunérations patronales suivent une courbe similaire à celle de l’augmentation des dividendes – largement déconnectée de l’inflation tout comme de l’évolution des salaires des employés lambda au sein des entreprises.

Le salaire fixe ne représente plus que moins d’un cinquième (19,3%) de leur rémunération totale. C’est sensiblement moins que la part variable (28,2%) et surtout que la rémunération en actions qui constitue près de la moitié de l’ensemble (48%). Le reste est composé de rémunérations exceptionnelles et de divers avantages monétaires ou en nature.

Si l’on considère que la part variable reste elle-même largement indexée sur des critères de performance financière, ce sont donc les trois quarts des rémunérations patronales qui sont directement liés à des critères financiers et à la satisfaction des investisseurs. Comment s’étonner, dans ces conditions, que les dirigeants du CAC40 priorisent les intérêts des actionnaires ? Leur rémunération est précisément conçue pour s’en assurer.

Dividendes : les petits (ou gros) à-côtés des patrons du CAC40

L’alignement sur les intérêts des marchés financiers est d’autant plus insidieux qu’à force de recevoir une rémunération en actions, les patrons finissent eux-mêmes par devenir des actionnaires importants de leurs propres entreprises, et donc... de toucher eux-mêmes des dividendes. En décidant d’augmenter leurs versements aux actionnaires d’année en année, ou de consacrer des centaines de millions d’euros de la trésorerie de leur entreprise à racheter leurs propres actions pour les annuler, les patrons du CAC40 se servent aussi un peu eux-mêmes. La boucle est bouclée.

Les dividendes touchés par les patrons du CAC40 sur leur propre entreprise varient très fortement, de quelques dizaines de milliers d’euros à quelques millions – et ce, même en laissant de côté le cas particulier quoique fréquent des PDG qui sont aussi les actionnaires majoritaires de leur groupe via leur holding familiale (Bernard Arnault et LVMH, les Bouygues, les Pinault et ainsi de suite). Le tableau suivant présente les plus importants dividendes touchés, au titre de l’année 2021, par les dirigeants du CAC40.

On voit que certains présidents de conseil d’administration touchent, en dividendes, l’équivalent de rémunérations annuelles qui les mettraient dans le peloton de tête des dirigeants du CAC40. Certains DG ou PDG s’octroient aussi en dividendes un complément appréciable par rapport à leur rémunération « officielle ». Bernard Charlès touche ainsi 48 millions d’euros au titre de l’année 2021, au lieu des 44,1 millions officiels. Daniel Julien passe de 19,6 à 23,4 millions, et Jean-Pascal Tricoire de 6,9 à 9,2 millions.

Le CAC40 est de plus en plus inégalitaire

Si les patrons du CAC40 apparaissent ainsi extrêmement bien lotis et munis de suffisamment de millions d’euros pour faire face à la crise et l’inflation, qu’en est-il de leurs salariés ? Les entreprises publient certains chiffres sur les salaires moyens en leur sein, mais ils sont souvent partiels et incomplets, ne prenant en compte que certaines catégories de salariés. Il est cependant un indicateur standard qu’il est possible de calculer de manière systématique : les dépenses par salarié, autrement dit les dépenses de personnel divisées par le nombre d’employés. Les dépenses moyennes par salarié ont augmenté de 5,4% entre 2020 et 2021, après avoir chuté entre 2019 et 2021. D’où une augmentation modeste de 1,7% sur deux ans, en-dessous de l’inflation, qui indiquent une perte de pouvoir d’achat pour les salariés.

Conséquence directe : les groupes du CAC40 sont de plus en plus inégalitaires. Depuis la première édition de ce « véritable bilan annuel » du CAC40, nous calculons le ratio entre la rémunération patronale moyenne et les dépenses moyennes par salarié. Pour le CAC40 dans sa composition actuelle, ce ratio était de 108 en 2018, de 117 en 2019, de 115 en 2020. En 2021, il est de 139. Cela signifie qu’un patron du CAC40 gagne en moyenne 139 fois ce que gagne un salarié moyen de son entreprise, ou encore qu’un salarié moyen du CAC40 doit travailler 139 jours pour gagner ce que son patron gagne en une seule journée.

L’entreprise la plus inégalitaire du CAC40 est cette année encore, et de loin, le spécialiste des centres d’appels Teleperformance. Le groupe combine en effet une rémunération patronale parmi les plus élevées de l’indice boursier avec un niveau de dépense par salarié très bas – reflet de sa main d’oeuvre très internationalisée, précaire et mal payée. Teleperformance affiche un ratio de 1706. Cela signifie qu’il faut presque 5 ans pour un employé moyen de Teleperformance – on ne parle même pas des employés les plus mal rémunérés du groupe – pour gagner autant d’argent que Daniel Julien en une seule journée.

Teleperformance est suivi de Dassault Systèmes et Stellantis, deux groupes qui se caractérisent aussi par des rémunérations patronales très élevées. Il faut grosso mode une année entière pour qu’un salarié moyen de ces groupes gagne autant que son patron en un jour. Autre entreprise figurant régulièrement en bonne place de ce classement : Carrefour, du fait du faible niveau de rémunération de ses employés.

Boîte Noire

Cet article est un extrait abrégé du chapitre consacré aux rémunérations de « CAC40 : le véritable bilan annuel 2022 », à paraître début novembre. Infographies : Guillaume Seyral.

Précisions sur les chiffres : Contrairement à ce qui était le cas il y a quelques années, les entreprises sont désormais tenues de divulguer les rémunérations de leurs dirigeants selon un référentiel standard. Ce sont ces chiffres que nous utilisons ici. Cependant, des méthodologies différentes peuvent s’appliquer selon que l’on cible les rémunérations attribuées au titre d’une année (comme nous le faisons ici) ou celles effectivement touchées, la monétarisation des actions attribuées les années précédentes, les rémunérations sous condition de performance, et ainsi de suite. Le printemps 2022 en a donné un bon exemple avec la polémique sur la rémunération de Carlos Tavares (Stellantis), officiellement de 19 millions d’euros, mais qui pourrait s’élever jusqu’à 66 millions si l’on tient compte de certains éléments conditionnés à la performance future du constructeur. Certains chiffres abondamment diffusés dans la presse additionnaient les rémunérations des présidents de conseil d’administration et de DG d’une même entreprise en cas de séparation de ces fonctions. Ceci explique que des évaluations différentes de la rémunération moyenne des patrons du CAC40 puissent circuler.

Photo : Scott Smith cc by-nc-nd

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