Alors que nous sommes confrontés à des catastrophes climatiques d’une fréquence effrayante, la Commission européenne a déclaré vouloir éviter que les plans de relance post-Covid ne servent à renflouer l’industrie des énergies fossiles à coups de milliards d’euros. Une nouvelle enquête de Fossil Free Politics et du Réseau européen des observatoires de multinationales (ENCO) montre que c’est pourtant exactement ce qu’elle fait : en Italie, en France, au Portugal et en Espagne, 8,3 milliards d’euros des fonds de relance de l’UE seront consacrés à l’hydrogène et aux gaz renouvelables.
Cette place centrale de l’hydrogène et des gaz renouvelables est le résultat d’un effort concerté de lobbying de la part de l’industrie des énergies fossiles, aussi bien au niveau national qu’à Bruxelles. Les multinationales pétrolières et gazières voient dans l’hydrogène une bouée de sauvetage pour leur activité et pour leur principal produit : le gaz fossile. En France, les activités de lobbying relatives à l’hydrogène ont explosé en quelques années. France Hydrogène, qui regroupe des grands groupes comme Total, Engie ou Air Liquide, a déclaré que « les grandes lignes de [sa] feuille de route ont été reprises » par le gouvernement dans son plan de relance.
Lala Dadci, coordinatrice de la campagne, Fossil Free Politics : « Non seulement l’UE donne de l’argent public à une industrie connue pour bloquer ou retarder toute action climatique, mais l’importance excessive accordée à l’hydrogène pourrait enfermer l’Europe dans des décennies supplémentaires de consommation de gaz fossile. Pour une reprise sans énergies fossiles, nous avons besoin d’une politique sans énergies fossiles. »
Ce rapport est la première grande publication du projet « Recovery Watch », lancé par le réseau européen des observatoires de multinationales ENCO. Il révèle que l’Italie prévoit de consacrer une plus grande partie des fonds européens de relance à l’hydrogène et aux gaz renouvelables qu’aux unités de soins intensifs dont elle a tant besoin. Le plan de relance espagnol prévoit lui aussi de consacrer 50% de dépenses en plus pour l’hydrogène et les gaz renouvelables que pour le système national de santé.
Olivier Petitjean, Observatoire des multinationales (France) et réseau ENCO : « En France, en Italie, en Espagne et au Portugal, les plans de relance ont été élaborées en collaboration étroite avec les grandes entreprises, en tenant les citoyens et la société civile à l’écart. Les industriels ont réussi en grande partie à imposer leurs priorités et leurs intérêts. Le choix de financer massivement l’hydrogène se fait au détriment du véritable changement de modèle qui serait nécessaire pour faire face à l’urgence climatique. »
Comme le montre le rapport, l’industrie considère l’hydrogène renouvelable « vert » comme un cheval de Troie pour l’hydrogène « bleu » d’origine fossile. Si l’inclusion de l’hydrogène « bleu » dans les plans de relance est encore contestée, y compris au sein de la Commission elle-même, il reste de toute façon éligible à d’autres financements européens et nationaux, notamment ceux qui pourraient être débloqués dans le cadre du « Projet important d’intérêt européen commun » Hydrogène.
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Les responsables européens ont déclaré, à propos des fonds de relance de l’UE, ils souhaitaient éviter de répéter les erreurs commises après la crise financière de 2008, lorsque des milliards d’euros d’argent public avaient servi à renflouer l’industrie des énergies fossiles. https://www.euractiv.com/section/energy-environment/news/eu-does-not-exclude-funding-gas-highways-under-green-recovery-plan/
Ce rapport, première publication majeure dans le cadre de l’initiative « Recovery Watch » du réseau ENCO, révèle que l’industrie des énergies fossiles :
- a eu plus d’une centaine de réunions avec des ministres et des hauts fonctionnaires italiens sur le plan de relance, dont les dépenses affectées à l’hydrogène ont quadruplé entre deux versions.
- a obtenu 1,6 milliard d’euros pour des projets relevant de la Feuille de route espagnole sur l’hydrogène, par l’entremise du lobby des grandes entreprises CEOE, tandis que les projets relatifs à l’hydrogène pourront également bénéficier de financements provenant d’autres sources allant jusqu’à 17,8 milliards d’euros.
- A vu « les grandes lignes » de sa feuille de route « reprises » par le gouvernement français dans son plan de relance, grâce au lobbying de plus en plus actif de France Hydrogène.
- a été invitée à rédiger - et désormais à mettre en œuvre - le plan de relance portugais.
- - Les entreprises d’énergies fossiles bénéficient directement des fonds alloués à l’hydrogène, qu’il soit produit à partir de sources fossiles ou d’électricité. Le groupe de pression Hydrogen Europe déclare : « En termes de [mégawatts], les entreprises dites ’d’énergies fossiles’ sont impliquées dans 81% de tous les projets d’électrolyse dans l’UE, l’AELE et au Royaume-Uni ». https://fuelcellsworks.com/news/hydrogen-europe-reacts-to-false-accusations/
Les entreprises d’énergies fossiles entretiennent un battage médiatique délibéré sur l’hydrogène, afin que la demande dépasse l’offre limitée d’hydrogène « vert » et nous rende dépendants de l’hydrogène fossile avec capture et stockage du carbone (hydrogène « bleu »). Shell a déclaré publiquement que de grands volumes d’hydrogène « bleu » seront nécessaires à l’avenir, car il n’y aura pas assez d’électricité renouvelable pour décarboner le secteur de l’électricité et produire de l’hydrogène « vert ». https://www.rechargenews.com/energy-transition/large-scale-blue-hydrogen-may-still-be-needed-even-if-green-h2-is-cheaper-says-shell-vp/2-1-997772
Aujourd’hui, moins de 0,1 % de l’hydrogène produit en Europe est « vert », c’est-à-dire fabriqué à l’aide d’électrolyseurs à partir d’électricité renouvelable, la grande majorité provenant de gaz fossile. https://www.fchobservatory.eu/sites/default/files/reports/Chapter_2_Hydrogen_Molecule_Market_070920.pdf
Le rapport marque le lancement de l’initiative Recovery Watch du réseau ENCO, dédiée au suivi des plans de relance au niveau national et européen, et notamment au rôle des grandes entreprises dans leur conception et leur mise en oeuvre. Pour plus d’informations, voir https://corpwatchers.eu/fr/enquetes/recoverywatch/?lang=fr
Dans son plan de relance, l’Italie a quadruplé les dépenses consacrées à l’hydrogène entre deux versions, suite au lobbying de l’industrie des énergies fossiles en faveur de l’hydrogène bleu, avant que la Commission ne refuse tout financement pour des projets liés aux énergies fossiles sur les fonds de relance. Le gouvernement italien devrait néanmoins trouver d’autres sources de financement pour ces projets.
En Espagne, outre les 1,6 milliard d’euros prévus par la Feuille de route pour l’hydrogène, les projets relatifs à l’hydrogène peuvent également bénéficier de financements au titre des autres composants suivants du plan de relance : Mobilité durable, sûre et connectée (6,7 milliards d’euros) ; Plan choc pour une mobilité durable, sûre et connectée dans les environnements urbains et métropolitains (6,5 milliards d’euros) ; Réformes institutionnelles et renforcement des capacités des systèmes nationaux de science, de technologie et d’innovation (3,4 milliards d’euros) ; Déploiement et intégration des énergies renouvelables (3,2 milliards d’euros) ; Infrastructures électriques, promotion des réseaux intelligents et déploiement de la flexibilité et du stockage (1,4 milliard d’euros). https://objetivotransformacion.camara.es/documentacion-de-interes/componentes-del-plan-recuperacion-transformacion-y-resiliencia
Le dirigeant du secteur pétrolier António Costa Silva, qui a rédigé le plan de relance du Portugal, a depuis été nommé à la présidence de la commission portugaise qui supervisera la mise en œuvre de ce plan. La première réunion a été présidée par M. Silva en présence du Premier ministre portugais. https://www.portugal.gov.pt/pt/gc22/comunicacao/noticia?i=primeiro-ministro-na-reuniao-da-comissao-nacional-de-acompanhamento-do-plano-de-recuperacao-e-resiliencia