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19.11.2024 • Institutions européennes

Banque publique, bénéfices privés : à qui profite la politique européenne d’investissement ?

Des multinationales qui réalisent des dizaines de milliards d’euros de profits ont-elles vraiment besoin de prêts préférentiels sur fonds publics ? Un nouveau rapport coordonné par l’ONG européenne Counter Balance alerte sur les relations privilégiées entre la Banque européenne d’investissement (BEI) et les très grandes entreprises, au détriment de son mandat de servir l’intérêt général. Résumé.

Publié le 19 novembre 2024

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« La roue de la fortune des entreprises : Comment la BEI se met au service du profit au nom de la compétitivité » (rapport en anglais)

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La Banque européenne d’investissement (BEI) finance depuis longtemps des grandes entreprises qui réalisent des profits substantiels. Cette tendance va encore s’accentuer, car la Banque est devenue une institution clé dans les efforts de l’Union européenne pour stimuler la compétitivité de son économie dans des secteurs stratégiques.

En offrant des prêts à des conditions très favorables - des taux d’intérêt plus bas, des périodes de remboursement plus longues et des mesures de réduction des risques non disponibles auprès de prêteurs privés -, la BEI permet aux grandes entreprises de rendre leurs projets encore plus profitables, en mettant ainsi des ressources publiques substantielles entre les mains d’entreprises déjà riches et rentables.

Ce rapport se base sur l’exemple de sept multinationales qui figurent parmi les principales bénéficiaires du soutien de la BEI – Iberdrola, Stellantis, Intesa Sanpaolo, Leonardo, Northvolt et l’Alliance du Vaccin Gavi – afin d’examiner l’approche de la Banque en matière de soutien aux grandes entreprises et ses lacunes sociales et environnementales. Il montre que six de ces entreprises sur sept disposent de ressources suffisantes pour autofinancer leurs projets, à l’exception d’une entreprise actuellement en crise, Northvolt, du fait de l’échec de son projet suédois.

Depuis 2020, ces grands clients de la BEI ont collectivement accumulé 100 milliards d’euros de bénéfices, une somme qui représente plus de la moitié des besoins annuels de toute l’UE en matière d’investissements dans les infrastructures sociales. La stratégie adoptée par la BEI n’a pas garanti de véritables retours à nos sociétés et à nos économies. Tout en bénéficiant de plus de 11 milliards d’euros de prêts de la banque européenne, les entreprises concernées ont versé 38,7 milliards d’euros de dividendes à leurs actionnaires, utilisé 11,9 milliards d’euros pour gonfler la valeur actionnariale à court terme par le biais de rachats d’actions, et versé 146,7 millions d’euros à leurs patrons. En outre, le rapport met en évidence un ensemble de pratiques préjudiciables de la part de ces gros clients de la BEI, notamment des dommages environnementaux, des injustices sociales et des ventes d’armes. Ces pratiques illustrent l’absence de priorisation des objectifs sociaux et environnementaux dans les investissements de la BEI. La BEI a elle-même réalisé 8,9 milliards d’euros de bénéfices entre 2020 et 2023, alors qu’elle est une institution à but non lucratif.

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  • Iberdrola a reçu 3,5 milliards d’euros de la BEI depuis 2020, tout en déclarant des bénéfices de 4,8 milliards d’euros en 2023. Dans le même temps, l’entreprise est liée à 13 conflits socio-environnementaux en Amérique centrale, au Brésil et en Europe, principalement en raison de projets à grande échelle ayant des impacts écologiques et sociaux importants. L’un d’entre eux est la plus grande centrale solaire européenne financée par la BEI en Espagne, qui n’a pas créé les emplois locaux promis, a exproprié illégalement le principal propriétaire foncier et fait l’objet d’une enquête pour fraude par le ministère public européen.
  • Stellantis a reçu 785 millions d’euros de la BEI tout en enregistrant une augmentation de 24 % de ses bénéfices (16,5 milliards d’euros par an). L’entreprise a versé 11,8 milliards d’euros de dividendes à ses actionnaires depuis 2021. Le constructeur automobile a payé une amende de 1,5 milliard d’euros pour éviter un procès pour tricherie sur les tests d’émissions des moteurs, et a reçu une autre amende pour avoir violé les normes de pollution de l’air aux États-Unis. Le salaire du PDG, qui s’élève à 36,5 millions d’euros en 2023, contraste fortement avec la rémunération moyenne des travailleurs de l’UE.
  • Intesa Sanpaolo, la plus grande banque italienne, a reçu 2,9 milliards d’euros de la BEI depuis 2020. Elle ne déclare que 5 % de ses émissions financées, ce qui revient à cacher une grande partie de son impact environnemental. Depuis l’Accord de Paris conclu en 2015, elle a investi 81 milliards de dollars dans les énergies fossiles, dont 8,6 milliards de dollars pour la seule année 2023, en exploitant des failles qui facilitent la poursuite de ses investissements dans les énergies sales.
  • Leonardo a reçu 460 millions d’euros de la BEI bien que l’entreprise soit spécialisée dans la production d’armes et d’équipements militaires, ce qui soulève des questions éthiques quant au rôle de la BEI dans le soutien indirect à la militarisation par le biais de ses financements. Leonardo a également fourni des hélicoptères financés par la BEI à Israël qui, selon la Cour internationale de justice, commet vraisemblablement un génocide à Gaza.
  • Orange a reçu 500 millions d’euros de la BEI depuis 2020. Le géant des télécommunications a déclaré 2,4 milliards d’euros de bénéfices en 2023 et a versé 1,9 milliard d’euros à ses actionnaires. La pression exercée par Orange sur les travailleurs est telle qu’elle a entraîné une vague de suicides. L’entreprise privilégie également les marchés les plus lucratifs au détriment de l’accès universel à l’internet, fournit un service médiocre dans les anciennes colonies françaises en Afrique et se conforme aux demandes des gouvernements autoritaires de couper l’accès à l’internet.
  • Northvolt a reçu 1,3 milliard d’euros de la BEI depuis 2020, dont un prêt de 942,6 millions d’euros en 2023, soit près de 20 % du financement de l’expansion de la première gigafactory de l’UE. Elle est aujourd’hui en crise et lutte pour sa survie, et a enregistré des pertes de 1,7 milliard d’euros depuis 2020. L’entreprise prévoit de supprimer 1 600 emplois, soit une réduction de 24,6 % de sa main-d’œuvre. L’échec de l’entreprise démontre que la stratégie de compétitivité de l’UE, qui consiste à accorder des milliards d’euros d’aides publiques à des grandes entreprises privées, a peu de chances d’apporter les avantages sociaux et environnementaux dont l’Europe a besoin.
  • Gavi, l’Alliance du vaccin, a reçu 1,9 milliard d’euros de la BEI depuis 2020. Pendant la pandémie de COVID-19, elle a passé un contrat d’achat de 210 millions de doses de vaccin Moderna destinées à des pays à faible revenu pour près de cinq fois le prix de fabrication, ce qui a considérablement augmenté les profits des grandes sociétés pharmaceutiques sans répondre de manière satisfaisante aux besoins sanitaires des pays du Sud.
Entreprise Profit en 2023Profit 2020-2023Dividendes 2020-2023Rachats d’actionsSalaire et bonus du directeur généralSoutien de la BEI depuis 2020
Iberdrola 4,8 milliards d’euros 16,6 milliards d’euros 4,7 milliards d’euros 1,5 milliard d’euros 25,2 millions d’euros 3,5 milliards d’euros
Stellantis 18,6 milliards d’euros 49,6 milliards d’euros 11,8 milliards d’euros 3,3 milliards d’euros 77,5 millions d’euros 785 millions d’euros
Intesa Sanpaolo 7,7 milliards d’euros 19,3 milliards d’euros 13,9 milliards d’euros 6,8 milliards d’euros 26,5 millions d’euros 2,9 milliards d’euros
Leonardo 0,7 milliard d’euros 2,4 milliards d’euros 0,2 milliard d’euros / 6,4 millions d’euros 460 millions d’euros
Orange 2,4 milliards d’euros 9,5 milliards d’euros 8,1 milliards d’euros 0,3 milliard d’euros 8,8 millions d’euros 500 millions d’euros
Northvolt 1,2 milliard d’euros 1,7 milliard d’euros / / N/A 1,3 milliard d’euros
Gavi, l’Alliance du vaccin 0,3 milliard d’euros 4,3 milliards d’euros / / 2,3 millions d’euros 1,9 milliard d’euros
Total 33,3 milliards d’euros 100 milliards d’euros 38,7 milliards d’euros 11,9 milliards d’euros 146,7 millions d’euros 11,3 milliards d’euros

Le financement des grandes entreprises est depuis longtemps une caractéristique du modèle d’activité de la Banque. Ce biais devrait encore s’accroître dans les prochaines années sous prétexte de soutenir la compétitivité de l’UE. Mais il est urgent que la BEI aligne ses soutiens financiers sur son mandat de défense de l’intérêt général, et réponde aux véritables besoins du public - qui est le propriétaire ultime de la Banque. Les investissements publics sont indispensables pour relever des défis majeurs tels que le changement climatique, la transition énergétique juste, la perte de biodiversité et les services publics. Par conséquent, l’allocation des fonds publics ne devrait pas être décidée en fonction du souci d’assurer des rendements financiers attrayants pour les investisseurs privés, mais en fonction de leur contribution au bien-être collectif et à la durabilité.

Au lieu de canaliser des milliards pour subventionner les bénéfices des grandes entreprises, la BEI devrait devenir une banque publique assumant un mandat véritablement public. Pour ce faire, la BEI devrait :

  • financer des projets et des entreprises qui répondent à des besoins sociaux et environnementaux ;
  • travailler avec des entités publiques non motivées par le profit ;
  • améliorer ses normes afin de garantir le financement de projets durables qui respectent les droits humains et l’environnement ;
  • introduire des conditions sociales, économiques et environnementales essentielles pour les entreprises et les institutions financières bénéficiant d’un financement de la BEI.

— 
Photo : Palauenc05 cc by-sa

Boîte Noire

Ce texte est le résumé exécutif du rapport « La roue de la fortune des entreprises : Comment la BEI se met au service du profit au nom de la compétitivité » (The wheel of corporate fortune : How the EIB boosts profits in the name of competitiveness) de Counter Balance avec des contributions de l’Observatori del Deute en la Globalització (ODG), l’Observatoire des multinationales et le Gresea, publié dans le cadre du réseau ENCO.


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