Selon nos estimations, les entreprises du CAC40 verseront, au titre de l’exercice 2017, près de 47,3 milliards d’euros de dividendes à leurs actionnaires. Le chiffre est en augmentation de 6,5% par rapport à 2016 (44,4 milliards) et surtout s’inscrit dans une tendance de long terme qui a vu les versements de dividendes augmenter d’année en année, sans rencontrer de limite, jusqu’à devenir une sorte de loi d’airain pesant sur toute la gestion et la stratégie des entreprises.
Au final, plus de la moitié (52,6%) des bénéfices déclarés cette année par le CAC40 seront distribués sous forme de dividendes. De ce point de vue au moins, les firmes françaises sont parmi les plus généreuses d’Europe. Ce choix est présenté comme “naturel” mais se caractérise surtout par tout ce qu’il exclut ou relègue au second plan : l’emploi et les salaires, certes, mais aussi les investissements qui permettraient de créer ou maintenir l’emploi demain, et de transformer l’appareil productif pour répondre aux enjeux environnementaux.
Les dividendes ne sont d’ailleurs pas la seule forme de gratification des actionnaires. S’y ajoutent les rachats de leurs propres actions par les entreprises, destinés à soutenir leurs cours en bourse, voire à gonfler artificiellement le patrimoine des actionnaires en procédant à l’annulation des actions qu’elles détiennent. Tous les groupes du CAC40 ont aujourd’hui leur programme de rachat d’actions propres. En 2017, ces rachats représentaient 8,26 milliards d’euros, et 11 entreprises du CAC ont annulé tout ou partie des actions propres ainsi acquises. Ce sont donc en réalité 61,8% des profits de l’année qui ont été directement alloués aux actionnaires. Au point qu’on en vient à se demander - à rebours des discours ressassés sur le coût du travail - si ce ne sont pas en réalité ces derniers qui coûtent trop cher aux entreprises.
Les firmes les plus généreuses
L’Observatoire des multinationales publiera dans quelques semaines son “véritable bilan annuel” des grandes entreprises françaises, dont sont tirés les chiffres présentés ici (voir notre article de présentation de ce projet). Ce “contre-rapport” examinera les multinationales tricolores à travers l’ensemble de leurs impacts sur la société, l’environnement et les travailleurs, plutôt que sous le seul angle boursier. Le poids exorbitant des dividendes et ses implications en constitueront inévitablement l’un des fils conducteurs. Ils reflètent tout d’abord le partage très inégal de la “richesse” (plus ou moins réelle) créée par les grandes entreprises entre actionnaires, dirigeants, salariés et société dans son ensemble. Plus généralement, la priorité fonnée au rendement financier influe profondément sur la stratégie même des directions et sur leurs choix industriels et commerciaux, lesquels se répercutent sur les travailleurs et les territoires où les entreprises sont implantées, sous forme d’impacts et de coûts environnementaux, sanitaires, sociaux et autres. Exactement ce dont il sera question dans notre “bilan annuel”.
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Faites un donQui sont donc les champions des dividendes parmi les groupes français ? En valeur absolue, ce sont évidemment les plus grosses capitalisations boursières de la place de Paris qui ressortent du lot. Total distribue à ses actionnaires plus de 6,6 milliards d’euros, Sanofi près de 3,8 milliards, LVMH autour de 2 milliards et demi. Les banques - BNP Paribas, Société générale et Crédit agricole - se démarquent aussi par leur largesse.
Si l’on regarde maintenant les taux de distribution (proportion des bénéfices reversés sous forme de dividendes), qui constituent un meilleur indicateur du poids des dividendes au niveau de chaque groupe, d’autres noms émergent. Deux entreprises du CAC40 - Carrefour et LafargeHolcim - distribuent des dividendes bien qu’elles aient enregistré des pertes comptables en 2017. Trois autres - Engie, Veolia et TechnipFMC - distribuent des dividendes supérieurs à leurs bénéfices. (Engie étant une habituée de la pratique.) Quelques autres reversent directement aux actionnaires la quasi totalité de leurs gains de l’année. Autant d’exemples qui illustrent une certaine déconnexion entre la performance réelle des groupes et la générosité de leurs directions envers les actionnaires...
Au moins 1,6 milliard rien que pour BlackRock en 2017
Qui bénéficie de la manne ? Pas vraiment les petits actionnaires individuels, qui ne représentent qu’une portion marginale du capital investi dans le CAC40. L’actionnariat des grands groupes français peut être divisé en trois grandes catégories. D’abord les investisseurs institutionnels français ou anglo-saxons, à commencer par BlackRock, le plus gros fonds d’investissement au monde présent au capital de quadiment tout le CAC, mais aussi Capital Group, Vanguard ou First Eagle. Ensuite les milliardaires et les grandes familles liés à une ou plusieurs entreprises de l’indice boursier parisien : Bernard Arnault et son groupe LVMH, également au capital de Carrefour, mais aussi les familles Bouygues, Michelin, Bolloré, Pinault, Peugeot et quelques autres. À qui s’ajoutent quelques milliardaires étrangers comme Lakshmi Mittal et les actionnaires de LafargeHolcim (familles Frère et Desmarais, Naguib Sawiris, Thomas Schmidheiny). Enfin l’ État français, présent au capital de 8 groupes du CAC40 si l’on ne tient compte que des participations significatives, et bien davantage avec toutes les participations de la Caisse des dépôts et consignations.
Ces trois catégories, même si elles se conjuguent souvent au capital d’un même groupe, définissent autant de types différents d’entreprises : celles qui sont très proches de l’État (comme Engie ou Orange), celles qui sont liées à des grandes fortunes (comme LVMH ou L’Oréal), et celles qui sont davantage orientées vers les marchés financiers et les investisseurs institutionnels. Constate-t-on des diffêrences significatives dans leurs politiques de dividendes ? Certaines entreprises liées à l’État comme Engie (ou EDF, qui n’est plus dans le CAC40) se caractérisent par leur très grande générosité en termes de dividendes, mais celle-ci est compensée par d’autres groupes plus modérés de ce point de vue, comme Renault ou PSA. Le taux de distribution de dividendes des firmes liées à des milliardaires se situe à un niveau similaire. Ce sont les entreprises les plus tournées vers les investisseurs institutionnels (en l’occurrence, celles qui comptent BlackRock parmi leurs principaux actionnaires) qui sont sans conteste les plus généreuses envers leurs actionnaires.
Pour continuer sur le seul exemple de BlackRock, il n’est pas possible de savoir exactement combien le fonds touchera de dividendes du CAC40 au titre de l’exercice 2017 parce que le niveau de ses participations tend à osciller en permanence, et parce qu’en dessous d’un certain seuil, sa présence au capital d’un groupe n’est pas forcément publique. En ne prenant que les entreprises du CAC40 où sa présence au capital est connue et en utilisant les derniers chiffres disponibles, BlackRock aura virtuellement touché au moins 1,615 milliard d’euros de dividendes du CAC40, et sans doute davantage. Un chiffre qui donne une idée du poids de ce géant de la finance, mal connu du grand public mais qui jouit d’une énorme influence sur les entreprises et les gouvernements, comme vient de le rappeler une enquête du collectif Investigate Europe relayée en France par Mediapart.
Olivier Petitjean
Photo : See-ming Lee CC via flickr
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