06.06.2018 • Le vrai bilan des grandes entreprises françaises

Le CAC40 et ses milliardaires

C’est un signe des temps. Selon une étude d’Euronext, en 2016, le premier actionnaire du CAC40 n’était plus, sans doute pour la première fois depuis longtemps, l’État français, mais la holding du milliardaire Bernard Arnault et de sa famille, actionnaire de LVMH et de Carrefour. On trouvait dans le « top 10 » deux autres familles fortunées, les Bettencourt (L’Oréal) et les Pinault (Kering). Effet sans doute de la bonne santé boursière du secteur du luxe, mais aussi plus profondément du poids à nouveau croissant des milliardaires dans notre économie. Nouvel avant-goût de notre véritable bilan annuel des grandes entreprises françaises.

Publié le 6 juin 2018 , par Olivier Petitjean

Lire aussi notre enquête parue ce jour : Optimisation fiscale, dividendes, délocalisations... Comment devenir milliardaire (et le rester).

Douze entreprises du CAC40 ont parmi leurs actionnaires principaux un milliardaire et sa famille figurant au top100 des plus grandes fortunes françaises établi par le magazine Challenges. Parmi ces grandes familles du XXIe siècle, on trouve la famille Arnault (première fortune française, actionnaire de LVMH et Carrefour), la famille Bettencourt (2e fortune française, actionnaire de L’Oréal et indirectement de Sanofi), la famille Pinault (7e fortune de France, Kering), la famille Bolloré (12e, Vivendi – et bien sûr le groupe Bolloré, hors CAC40), la famille Bellon (16e, Sodexo), la famille Guerlain (19e, LVMH) la famille Ricard (22e, Pernod Ricard) la famille Peugeot (24e, PSA), la famille Moulin (25e, Carrefour), la famille Bouygues (30e), la famille Hennessy (31e, LVMH), la famille Michelin (50e), la famille Badinter (75e, Publicis)...

À quoi s’ajoutent des entreprises dirigées ou dominées par des milliardaires ou des familles fortunées de nationalité étrangère : ArcelorMittal et son PDG Lakhsmi Mittal, mais aussi LafargeHolcim (dont l’actionnariat est dominé par quatre milliardaires : les familles Frère et Desmarais au sein de GBL, Naguib Sawiris et Thomas Schmidheiny), ou encore Solvay.

Le phénomène se vérifie si l’on va au-delà au-delà du seul CAC40 avec des entreprises comme Hermès (Axel Dumas, 3e fortune française), Dassault (5e fortune française en 2017), Altice (Patrick Drahi, 8e), Iliad (Xavier Niel, 10e), ou encore Elior (Robert Zolade, 70e fortune). Et bien sûr il y a les groupes familiaux dont les entreprises ne sont pas cotées, comme Auchan (famille Mulliez, 4e fortune française), Chanel (famille Wertheimer, 6e fortune française), Castel (famille Castel, 9e fortune), Lactalis (famille Besnier, 11e fortune française) ou Perenco (famille Perrodo, 13e). Au final, virtuellement, toutes les plus grosses fortunes françaises ont leur fortune liée à une ou plusieurs grandes entreprises.

Soutenez l’Observatoire

Parce que le débat démocratique mérite mieux que la com’ du CAC 40.

Faites un don

Pour un milliardaire, combien de salariés ?

Bernard Arnault, le PDG de LVMH, est désormais selon le magazine Forbes la quatrième plus grosse fortune mondiale. Avec les plus de 58 milliards d’euros qui composent son patrimoine, il a suffisamment d’argent pour rémunérer tout l’effectif de LVMH, soit plus de 145 000 personnes, pendant presque huit ans !

Les proportions sont comparables pour d’autres milliardaires du CAC40 : la fortune de la famille Bettencourt, héritière de L’Oréal (plus de 34 milliards d’euros selon Forbes), lui permettrait de payer tous les 82 600 salariés du groupe pendant 6 ans et 4 mois. Celle des Pinault (22 milliards d’euros) de rémunérer les 44 000 salariés de Kering pendant 11 ans et trois mois. La fortune de Vincent Bolloré (6 milliards d’euros) lui permettrait de payer les 75 000 salariés de son groupe pendant 15 ans.

Pour certains milliardaires dont les groupes comptent des effectifs moindres, les proportions sont encore plus énormes. Xavier Niel, le fondateur d’Iliad, avec ses 6,6 milliards d’euros estimés par Forbes, pourrait couvrir les salaires des presque 10 000 collaborateurs du groupe pendant 26 ans ! À l’inverse, les patrons de groupes comptant des effectifs importants s’en sortent moins bien. Lakshmi Mittal (15 milliards d’euros) ne pourrait rémunérer les 197 000 salariés d’ArcelorMittal que pendant un peu plus d’un an. Quant à Pierre Bellon (5 milliards d’euros), il ne pourrait même pas rémunérer les 427 000 salariés de Sodexo pendant 6 mois...

Les grandes entreprises liées à des grandes fortunes se distinguent-elles des autres ?

Le fait d’être dirigé ou étroitement liée à un milliardaire ou à une famille fortunée entraîne-t-il des différences visibles dans la manière dont les grandes entreprises sont gérées et dont elles répartissent la richesse ? Nous avons cherché à le vérifier en comparant les chiffres d’un groupe de multinationales françaises partageant ces caractéristiques (ArcelorMittal, Bolloré, Bouygues, Dassault, Elior, Iliad, Kering, LafargeHolcim, L’Oréal, LVMH, Michelin, Pernod Ricard, PSA, Publicis, Sodexo et Vivendi) à celle d’un échantillon de 57 grandes entreprises françaises, dont toutes celles du CAC40.

Cette comparaison révèle que les groupes qui ont des milliardaires à leur tête sont effectivement sensiblement plus inégalitaires que les autres : la rémunération annuelle moyenne du patron y est de 4,53 millions d’euros contre 3,93 millions sur tout l’échantillon (mais 4,68 millions pour le seul CAC40). Le ratio entre cette rémunération et les dépenses moyennes par salarié est de 95, contre 82 pour l’échantillon.

Le taux d’imposition effectif des groupes concernés est de 28,1 %, contre 32,3 % pour l’échantillon global. En matière de localisation dans des paradis fiscaux, ces entreprises affichent également une proportion plus élevée de filiales déclarées dans ces territoires avec 19,2%, contre 15,2% pour le CAC40 et 14,6% pour l’échantillon.

En ce qui concerne les dividendes en revanche, les groupes liés à des grandes fortunes se distinguent plus positivement, avec un taux de redistribution des profits aux actionnaires (rachats d’actions compris) de « seulement » 47,3 %, contre 64,2 % pour tout l’échantillon. Cette relative bonne performance doit cependant être relativisée par le fait que LafargeHolcim n’a pu être incluse dans le calcul, ayant distribué des dividendes malgré des pertes, et qu’ArcelorMittal distribue actuellement des dividendes très bas, après des années de rémunération très généreuse de ses actionnaires.

Olivier Petitjean

Sur notre projet de véritable bilan annuel des grandes entreprises françaises, à paraître dans quelques semaines, voir ici.

Soutenez l’Observatoire

Parce que le débat démocratique mérite mieux que la com’ du CAC 40.

Faites un don

— 
Photo : twiga269 ॐ FEMEN CC via flickr

À lire aussi

L’Observatoire est à votre écoute

  • Besoin d’éclaircissements ?
  • Une question ?
  • Une information à partager ?
Contactez-nous