Cimenterie syrienne : Lafarge et ses dirigeants devant la justice
En juin 2018, l’entreprise Lafarge a été formellement mise en examen pour financement d’une entreprise terroriste et complicité de crimes contre l’humanité, violation d’un embargo et mise en danger de la vie d’autrui. Huit de ses dirigeants avait précédemment été mis en examen pour les mêmes faits : les versements d’argent de Lafarge à Daech et à d’autres groupes armés pour maintenir en activité sa cimenterie syrienne en 2013 et 2014, malgré la guerre civile. Les sommes en cause sont évaluées par la justice à 13 millions d’euros.
La mise en examen d’une entreprise en tant que personne morale pour de tels faits est exceptionnelle, et les dirigeants de LafargeHolcim (qui a absorbé Lafarge) ont immédiatement annoncé qu’ils feraient appel, chargeant les anciens dirigeants français de l’entreprise cimentière à titre individuel.
Dans le même temps, des interrogations se sont exprimées sur le rôle exact des actionnaires de Lafarge – notamment les milliardaires Nassef Sawiris et le Groupe Bruxelles Lambert d’Albert Frère – ainsi que sur celui de la diplomatie française, qui semble avoir été tenu au courant des agissements de Lafarge (lire notre article). L’ancien ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius a été entendu comme témoin.
Ventes d’armes et corruption, le couple infernal
Corruption et trafic d’influence sont depuis toujours une spécialité du secteur de l’armement, et plusieurs affaires récentes sont venues rappeler que les vieilles habitudes ont la vie dure. Il y a d’abord le scandale de la vente des chasseurs Rafale en Inde : le gouvernement indien semble avoir imposé comme partenaire local de Dassault une entreprise sans expérience dans le secteur de l’armement, dont le patron est très proche du premier ministre Narendra Modi.
Dans la même enquête
Fin 2018, un dirigeant de Privinvest, holding du milliardaire Iskandar Safa qui détient notamment les chantiers navals de Cherbourg, était arrêté par la justice américaine. En cause : le rôle de Privinvest dans le cadre d’un vaste scandale de contrats opaques passés par les dirigeants mozambicains, moyennant un emprunt de deux milliards d’euros qui a ruiné le pays (lire cette enquête).
Dans le même temps, d’anciennes affaires ont refait surface, comme celle du contrat de vente de chars Leclerc aux Émirats arabes unis dans les années 1990. Des documents fournis par Wikileaks à Mediapart et d’autres médias européens font état de plusieurs centaines de millions de dollars versés par Nexter (alors GIAT) à des intermédiaires pour obtenir le contrat. Aujourd’hui, ces chars Leclerc sont utilisés sur le terrain dans le cadre de la guerre au Yémen.
En Afrique du Sud, c’est le groupe Thales qui se retrouve sur le banc des accusés aux côtés de l’ancien président Jacob Zuma pour un contrat de ventes d’armes passé également dans les années 1990, immédiatement après la fin de l’apartheid. Et vient de s’ouvrir à Paris le procès de l’attentat de Karachi, en 1994, qui serait lié au non-versement de commissions occultes promises par l’ex Direction des constructions navales (aujourd’hui Naval Group) pour la vente de sous-marins au Pakistan.
Les zones d’ombres de l’affaire Alstom
La cession des activités énergétiques d’Alstom à General Electric en 2014 a-t-elle fini de livrer ses secrets ? La controverse continue de faire rage sur les conditions de l’opération. Les anciens dirigeants de l’entreprise sont accusés d’avoir accepté la revente en raison de l’enquête menée par la justice américaine sur plusieurs affaires de pots-de-vin impliquant Alstom. Un exemple, selon certains, de l’usage sélectif du droit par les États-Unis pour favoriser leurs intérêts économiques.
Une chose est sûre : les dirigeants et les actionnaires d’Alstom portent une lourde responsabilité dans la fragilisation de leur groupe, et ils ont tiré des profit substantiels de la revente des activités énergie d’Alstom à GE, au contraire des salariés menacés de suppressions d’emplois.
Autres grands bénéficiaires de l’opération : les banquiers d’affaires et avocats qui ont touché de copieuses rémunérations pour la mener à bien, et dont certains se sont retrouvés ensuite parmi les principaux donateurs de la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron. Une enquête est en cours au sein du Parquet national financier.
Airbus en proie aux soupçons de corruption
Un autre poids lourd du CAC40 semble avoir du mal à se désempêtrer des affaires de corruption : le géant de l’aéronautique Airbus. Des enquêtes ont été lancées en France et en Grande-Bretagne sur des soupçons de pots-de-vin dans pas moins de 14 pays. Surtout, la justice américaine s’est elle aussi saisie du dossier. De quoi inquiéter le groupe et ses grands actionnaires – les gouvernements français, allemand et espagnol – après l’affaire Alstom : un autre champion européen allait-il être déstabilisé et affaibli, pour le plus grand profit du rival Boeing ?
Une double menace pèse sur Airbus : le paiement d’une amende colossale de plusieurs milliards d’euros et, pire encore, une condamnation pénale qui l’aurait automatiquement exclue de nombre de marchés publics. Actionnaires et dirigeants ont pris les choses en main, en exigeant que le ménage soit fait au sein du groupe. Les justices britannique et française se sont saisies du dossier, ce qui n’avait pas été fait pour Alstom et avait renforcé la position américaine. Et Airbus, contrairement encore une fois à Alstom, a cherché à collaborer activement avec les enquêteurs. Les direction de l’entreprise a été largement renouvelée, et plusieurs dizaines de salariés ont été soit congédiés soit avertis dans le cadre d’une vaste enquête interne.
Du côté des associations spécialisées dans la lutte contre la corruption, on craint toutefois que la justice finisse par faire preuve de trop de mansuétude à l’égard d’Airbus et accepte un accord à l’amiable pour des raisons politiques, sans faire la lumière sur les responsabilités.
Orano n’en a pas fini avec le passif d’Areva
Désormais baptisée Orano, l’entreprise qui a repris les activités liés à l’uranium de l’ex Areva n’en a pas fini avec les scandales qui ont marqué la chute de l’ancien champion nucléaire français. La justice poursuit son enquête sur l’affaire « Uramin », celle du rachat par Areva d’une société minière canadienne sans valeur en 2007 pour un montant astronomique de 1,7 milliard d’euros. L’ex-directeur des activités minières d’Areva Sébastien de Montessus et le financier belge Daniel Wouters ont été mis en examen au printemps 2018 pour « corruption d’agent public étranger », « corruption privée » et « abus de confiance ».
D’autres dirigeants d’Areva, dont l’ancienne PDG Anne Lauvergeon sont poursuivies pour pour diffusion d’informations trompeuses, présentation de comptes annuels inexacts et entrave à la mission des commissaires aux comptes.
Fin 2018, on apprenait que le Parquet national financier avait ouvert une enquête pour soupçons de corruption autour d’un projet minier conclu en 2013 par le groupe nucléaire Orano (ex-Areva) en Mongolie, dans le désert de Gobi.
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