Soja : une prise de conscience insuffisante pour prévenir la déforestation et les abus
Utilisé comme matière première dans l’industrie agroalimentaire et surtout pour l’alimentation animale, le soja est devenue une denrée clé pour l’industrie. Sa production a littéralement explosé en Amérique du Sud, associé à l’utilisation massive de pesticides et de semences génétiquement modifiées et à des violations des droits des communautés et des travailleurs. L’expansion du soja empiète non seulement sur la forêt amazonienne, mais également sur d’autres régions du continent comme le la savane du Cerrado au Brésil ou la région du Chaco (Brésil, Argentine, Paraguay).
Les associations Mighty Earth, France nature environnement et Sherpa se sont associés pour identifier les principaux acheteurs français de soja en provenance d’Amérique du Sud. Une liste dans laquelle on retrouve des groupes agroalimentaires (et notamment laitiers) comme Danone ou Lactalis, des acteurs de la restauration comme Sodexo et Elior, des chaînes de grande distribution comme Auchan, Carrefour ou Casino.
Force est de constater que ces firmes ne semblent pas avoir pris la mesure des risques liés à leur approvisionnement en soja, ni de leur responsabilité (y compris juridique, dans le cadre de la loi sur le devoir de vigilance) dans la prévention des abus constatés sur le terrain. Seule une poignée d’entre eux (Avril, Danone et Bel) fournit des informations un peu poussées (mais très incomplètes) sur les volumes, l’origine et la part tracée du soja utilisé dans la chaîne d’approvisionnement. D’autres ont purement et simplement refusé de répondre aux ONG au nom du secret commercial. La plupart de celles qui identifient les risques liés au soja se contentent de promouvoir des systèmes de « soja certifié » notoirement insuffisants pour empêcher la déforestation.
Huile de palme : une industrie destructrice qui continue à s’étendre
De l’agroalimentaire aux cosmétiques en passant par les agrocarburants, l’huile de palme est un ingrédient commode et bon marché apprécié de nombreuses industries. Problème : son exploitation à grande échelle a dévasté des millions d’hectares de forêt en Asie du Sud-est, déplaçant des populations entières et mettant en danger des espèces animales emblématiques comme l’orang-outang.
Malgré la prise de conscience des consommateurs, l’exploitation de l’huile de palme ne ralentit pas. Davantage surveillées en Indonésie et en Malaisie, les multinationales du secteur tournent désormais leurs regards vers l’Afrique et l’Amérique du Sud, créant les mêmes problèmes.
Une fuite en avant alimentée entre autres par la demande de multinationales françaises comme L’Oréal ou Danone (71 000 tonnes d’huile de palme et de dérivés achetées chacune en 2018) et bientôt de Total, qui a choisi de reconvertir sa raffinerie de La Mède, dans le Sud de la France, pour produire des agrocarburants à base d’huile de palme. Initialement, le géant pétrolier voulait en importer pas moins de 550 000 tonnes par an, mais a revu ce chiffre à la baisse sous pression des écologistes. Les multinationales acheteuses se défendent souvent en arguant qu’elles n’achètent presque que de l’huile de palme certifiée « responsable », mais l’expérience prouve que ces certifications ne sont pas fiables (lire notre article).
Dans la même enquête
Le caoutchouc, aussi nocif que l’huile de palme ?
Bien au-delà des seuls pneumatiques, le latex est un produit de plus en demandé par de nombreux secteurs industriels, supérieur en termes de coût au caoutchouc synthétique à base de pétrole. Matelas, chaussures de sport, préservatifs... Il est partout. L’essentiel de la production mondiale provient de l’Asie du sud-est (Thaïlande, Cambodge, Laos et Indonésie), où le développement des plantations d’hévéas occasionne déforestation, pollutions et déplacements forcés de population. Parfois, il entre en conflit avec un autre fléau : l’huile de palme. L’exploitation du caoutchouc se développe également en Afrique et en Amérique du sud, avec les mêmes risques.
Des géants français sont très impliqués dans la filière, à commencer par Michelin, en tant que fabricant de pneumatiques, et la Socfin, filiale du groupe Bolloré. Greenpeace a mis en cause les agissements de l’entreprise singapourienne Halcyon au Cameroun, qui fournit des groupes comme Michelin. Face à la montée des critiques, l’industrie du pneumatique a fini par lancer en 2018 une initiative « multi-partie prenantes » sur le caoutchouc soutenable, sur le modèle de celles qui existent déjà pour le soja ou l’huile de palme. Lorsque l’on voit à quel point ces initiatives sont contestées, il n’est pas sûr que cela suffise à enrayer les problèmes.
Bois et papier : une filière toujours opaque
Malgré une tendance à la réduction, les grandes entreprises françaises consomment encore des quantités astronomiques de papier. À quoi s’ajoutent des achats importants de bois, principalement dans le secteur du BTP et de l’ameublement. Une partie non négligeable de cet approvisionnement provient de sources problématiques. Régulièrement, des firmes françaises sont pointées du doigt pour s’être approvisionnées auprès de fournisseurs douteux contribuant à la déforestation ou portant atteinte aux droits des populations indigènes.
Le groupe Rougier et Guillemette & Cie se sont ainsi approvisionnées, selon l’ONG Amazon Watch, auprès du groupe brésilien Benevides Madeiras, condamné pour déforestation illégale en Amazonie. D’autres firmes ont commercialisé les produits de l’entreprise forestière de RDC Ifco, accusée par l’ONG Global Witness de couper des arbres en dehors des périmètres autorisés.
Eau : la soif intarissable des grands groupes
Inondations ou sécheresses détruisant les récoltes, pénuries d’eau affectant barrages ou centrales électriques, pollutions entravant le bon fonctionnement d’usines ou leurs relations avec les riverains et les autorités... La plupart des industries dépendent directement ou indirectement de l’accès à des ressources en eau suffisamment propres et abondantes - et constatent que dans bien des régions du monde, cet accès ne va plus de soi. Entre ruptures d’approvisionnement, interruptions de production et litiges environnementaux, les 783 entreprises du monde entier qui ont répondu au questionnaire de l’ONG CDP rapportent que les problèmes liés à l’eau leur ont coûté pas moins de 38 milliards de dollars rien qu’en 2018... Mais ces mêmes multinationales indiquent également à CDP que leur prélèvements d’eau ont fortement augmenté (de près de 50%) entre 2015 et 2018.
Lire aussi La soif intarissable des multinationales
Les chiffres de consommation d’eau déclarés par les grandes entreprises françaises semblent indiquer une dynamique plus vertueuse, puisque ils montrent une baisse de près de 7% des extractions d’eau entre 2017 et 2018 (sur le périmètre des 28 firmes du CAC qui publient des chiffres). Mais ce chiffre est en partie trompeur. D’abord, les déclarations de consommation d’eau sont très incomplètes. Danone par exemple ne déclare que les consommations d’eau de ses usines, mais pas les énormes quantités d’eau utilisées pour l’élevage laitier. Comme dans le domaine des gaz à effet de serre, il est en grande partie tributaire des efforts d’Engie en matière de sortie du charbon et d’autres énergies sales (très gourmandes en eau). Sans Engie, la consommation d’eau est en hausse de près de 2% d’une année sur l’autre. Parmi les firmes qui ont le plus augmenté leurs extractions d’eau : LVMH (+13% en un an) et PSA (+41%).
Olivier Petitjean
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Photo : Rainforest Action Network CC via flickr
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