La troisième édition de CAC40 : le véritable bilan annuel propose une radiographie complète des grandes entreprises françaises sous l’angle économique, mais aussi social, écologique et démocratique. Dans cet ensemble de chiffres et d’analyses, quelles sont les informations nouvelles et importantes qui ressortent ? Il y en a essentiellement quatre.
Première info : des aides publiques massives sans réelle contrepartie
Toutes les entreprises du CAC40 ont bénéficié d’aides publiques à l’occasion de la crise sanitaire, sans avoir fondamentalement changé leurs pratiques en matière de versement de dividendes, d’emploi, de gaz à effet de serre ou de fiscalité.
Certains groupes comme Total ou Sanofi ont prétendu ne pas avoir bénéficié d’aides de l’État parce qu’ils n’avaient pas recours au chômage partiel ou aux reports de charge. En réalité, les pouvoirs publics ont débloqué bien d’autres formes de soutien financier, direct et indirect, dont ces groupes ont bien profité. Bien qu’abreuvées d’aides publiques, les entreprises du CAC40 ont largement maintenu leurs dividendes. Seulement huit les ont supprimés, parce qu’elles y étaient obligés par le gouvernement ou la Banque centrale européenne. Huit groupes du CAC40 ont même augmenté leurs dividendes ce printemps, et d’autres comme L’Oréal ne les ont réduits que de manière très marginale.
Ces entreprises ont ensuite multiplié les annonces de suppressions d’emplois en France et dans le monde. Le gouvernement n’a pas posé de réelles conditions à l’octroi de ses aides, mis à part la suspension des dividendes pour les prêts garantis et pour les reports de charge. En matière de chômage partiel, qui équivaut pourtant à une « nationalisation des salaires » dont le CAC40 a énormément profité et profite encore aujourd’hui, il n’y a rien. Et il n’y a rien non plus de concret en matière d’emploi, de protection du climat ou de lutte contre l’évasion fiscale.
Deuxième info : un impact de plus en plus lourd sur la planète
Les émissions de gaz à effet de serre déclarées par le CAC40 équivalent à 5% des émissions mondiales et, malgré des beaux discours écolos à profusion, elles ne baissent pas vraiment.
Globalement, les émissions du CAC40 ont baissé de 3,13% depuis 2017. Mais cette baisse doit tout à Engie, l’un des plus gros émetteurs de gaz à effet de serre de l’indice, qui s’est lancé dans une politique de désinvestissement de ses nombreux actifs liés au charbon. Si l’on enlève Engie, les émissions du CAC40 sont en réalité en hausse de 2,6% depuis 2017. Or Engie n’a souvent fait que revendre ses centrales et mines de charbon à des investisseurs moins sensibles à l’opinion publique. Vingt firmes de l’indice boursier parisien ont encore augmenté leurs émissions entre 2017 et 2019, dont le groupe pétrolier Total (+3,3% en deux ans), qui représente près de 30% des émissions du CAC40.
Le champion du grand écart entre les discours et la réalité est le groupe Danone. Il s’est donné cette année le statut d’« entreprise à mission », énumérant des objectifs plus vertueux les uns que les autres : « améliorer la santé », « préserver la planète », « construire le futur »... Dans le même temps, Danone émet davantage de gaz à effet de serre, y compris rapportés à ses effectifs et à son chiffre d’affaires, génère davantage de déchets, et consomme davantage d’eau, de plastique et d’huile de palme.
Troisième info : des patrons au service d’eux-mêmes et des actionnaires
Les patrons du CAC40 continuent à toucher des sommes stratosphériques, car leur rémunération est alignée sur les intérêts des marchés financiers, et de plus en plus déconnectée de la réalité des salaires au sein de leurs groupes.
Les patrons du CAC40 ont touché en 2019 une rémunération moyenne de 5,5 millions d’euros, avec un pic à 25 millions pour celui de Dassault Systèmes. C’est parce que la part fixe, autrement dit le vrai salaire, ne représente plus que moins d’un quart de leur rémunération. La part variable et les rémunérations en actions – c’est-à-dire la part de la rémunération liée à des critères financiers et boursiers – en représente plus de 75%. En outre, les patrons du CAC40 détiennent également des actions de leurs propres entreprises, et touchent donc eux-mêmes des dividendes - plus de 500 000 euros en moyenne au titre de l’exercice 2019.
Le CAC40 publie pour la première fois cette année des « ratios d’équité » censés comparer la rémunération des dirigeants à celle des salariés moyens. Nous démontrons que de nombreuses entreprises ont calculé ce ratio de manière délibérément biaisée, pour cacher l’ampleur des inégalités en leur sein.
Quatrième info : l’emploi en France, principale variable d’ajustement
Les effectifs du CAC40 en France continuent de s’étioler d’année en année. Ils ont baissé de 12% depuis l’an 2000, tandis que les dividendes étaient presque multipliés par 4.
Les effectifs du CAC40 atteignent 4,8 millions de salariés dans le monde, un niveau stable par rapport à 2018. Mais cette apparence de stabilité cache des réalités disparates. On observe dans certaines entreprises de fortes augmentations d’effectifs, mais elles sont souvent dues à des fusions plutôt qu’à de vraies créations d’emploi (Essilor avec Luxottica, Unibail-Rodamco avec Westfield, Safran avec Zodiac, Thales avec Gemalto). À l’inverse, certaines firmes du CAC40 sont clairement engagées dans une politique délibérée de réductions de leurs effectifs, comme Carrefour (-15% sur 2 ans), la Société générale (-6%) ou encore Sanofi (-5,8%). Ces mêmes groupes ont déjà annoncé des suppressions d’emplois supplémentaires.
Un enjeu politique
Au-delà de tous les chiffres, ce millésime 2020 de CAC40 : le véritable bilan annuel pose aussi et surtout une question essentielle.
Avec la crise sanitaire provoquée par le virus Covid-19, il a beaucoup été question de souveraineté, de relocalisation et de « monde d’après ». Au final, cependant, à mesure que s’éloignent les élans de solidarité des premiers temps du confinement, ce qui reste est l’impression d’un renforcement de l’emprise des grands groupes et d’une érosion supplémentaire de leur responsabilité démocratique vis-à-vis du reste de la société. Ils ont capté la plus grosse parties des aides débloquées par les pouvoirs publics, et – malgré ce que réclamaient nombre de syndicats, parlementaires et d’organisations de la société civile – ont obtenu que ces aides ne soient assorties d’aucune contrepartie réelle. Dans le contexte de la crise, les liens déjà étroits entre administration et industriels se sont encore resserrés, pour gérer l’urgence et ensuite pour concevoir les plans de sauvetage et de relance.
Avec la crise sanitaire, le gouvernement semble plus convaincu que jamais que son seul salut est de soutenir toujours davantage les multinationales françaises, avec pour résultat de s’en rendre encore plus dépendants et de les laisser capter davantage les richesses. Cette dépendance est habillée d’engagements verts et éthiques, et présentée comme l’émergence d’une « économie positive » [1], voire d’un nouveau « consensus de Paris » [2].
Ce « véritable bilan annuel » se penche justement sur la réalité des chiffres et des faits, occultée par cet habillage publicitaire. L’exercice montre qu’il y a un fossé béant entre les beaux discours et les actes. Et qu’il y a donc plus besoin que jamais de règles du jeu contraignantes, de transparence, de débat démocratique contradictoire, et généralement de sortir les pouvoirs publics de leur servitude volontaire envers les grandes entreprises. Mais c’est la direction inverse qui est empruntée depuis des années, et de manière encore plus marquée depuis les débuts de l’épidémie.
Olivier Petitjean
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