Total se prépare à lancer l’exploitation de nouveaux gisements pétroliers en Ouganda, sur les bords du lac Albert, et à construire un oléoduc pour l’acheminer vers la côte tanzanienne, à 1 500 kilomètres de là.
Ces projets, nommés Tilenga et EACOP, sont l’exemple même de ce que nous devrions éviter à tout prix. Ils représentent des millions de tonnes de CO2 supplémentaires émises dans l’atmosphère. Ils mettent en danger plusieurs réserves naturelles abritant des espèces animales menacées et engendrent des risques de pollution dans plusieurs grands lacs africains et au-delà dans le bassin du Nil blanc. Ils entraînent déjà des déplacements forcés de population et de nombreuses violations des droits humains.
Ces projets font l’objet d’une vive résistance de la part des populations locales ; ils ont donné lieu à la première procédure judiciaire en France dans le cadre de la loi sur le devoir de vigilance des multinationales ; ils ont été dénoncés par quatre rapporteurs spéciaux de l’ONU ; et plusieurs grandes banques ont annoncé qu’elles ne participeront pas à leur financement.
Et pourtant...
Et pourtant, l’État français continue d’apporter un soutien implicite et explicite aux projets de Total en Ouganda :
- par la voix du président Emmanuel Macron qui a notamment écrit à son homologue ougandais pour lui garantir le soutien de la France à ses projets pétroliers et à Total ;
- par celle de l’ambassadeur de France à Kampala, proche de l’Élysée, qui joue les entremetteurs pour le groupe pétrolier ;
- par le biais de l’ambassade et de l’Alliance française à Kampala, dont tous les événements publics ou presque sont sponsorisés par Total ;
- à travers les institutions diplomatiques et financières françaises qui lui apportent une caution morale et parfois même une garantie financière de l’État, comme cela a été le cas pour d’autres projets tout aussi problématiques de Total ;
- à travers la coopération militaire, en formant des troupes qui seront ensuite chargées de protéger les régions pétrolières contre les menaces extérieures... et au besoin contre les opposants au projet pétrolier.
Pour soigner les apparences, aussi bien Total que l’État français tendent à minimiser l’étroitesse de leurs relations. Ce rapport montre l’ampleur du soutien public sur lequel peut compter en pratique le groupe pétrolier. Ce soutien n’est pas moins déterminant – au contraire – parce qu’il s’exerce de manière « informelle », dans l’opacité des hautes sphères de l’État et de la diplomatie.
Comment des institutions publiques censées représenter l’intérêt général peuvent-elles se mettre ainsi au service du pétrole et des intérêts d’une entreprise multinationale dont les actionnaires sont plutôt à chercher du côté de Wall Street que de Paris ? Comment les pouvoirs publics peuvent-ils se trouver réduits au rang de simples pions dans le grand jeu pétrolier de Total ?
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Faites un donDans ce rapport, nous démontons les rouages de la machine bien huilée qui permet au groupe pétrolier de s’ériger en maître du jeu. Au coeur de cette machine, les « portes tournantes », autrement dit la stratégie de Total de débaucher d’anciens hauts fonctionnaires et responsables politiques, ou bien au contraire d’encourager ses employés à retourner dans la fonction publique... et notamment dans les lieux de pouvoir où ils pourront au mieux servir ses intérêts.
Nous donnons de multiples exemples de ces allers-retours entre Total et la haute administration, devenus de plus en plus fréquents mais pas moins scandaleux, et qui sont particulièrement nombreux – ce qui n’a rien d’un hasard – au ministère des Affaires étrangères et dans ses agences. Cette interpénétration permanente ne donne pas seulement au groupe pétrolier un accès direct aux décideurs, jusqu’au sommet de l’État. Elle contribue aussi et surtout à cacher la réalité dramatique des impacts de Total sur le climat et sur les peuples derrière un voile de respectabilité, et à entretenir une confusion délibérée entre l’intérêt de la France et celui de Total et de ses actionnaires.
Lire le rapport Comment l’État français fait le jeu de Total en Ouganda
Recherche et écriture : Olivier Petitjean.
Recherches complémentaires : Lora Verheecke.