Les plus riches concentrent toujours plus de richesses entre leurs mains tandis que les inégalités s’accroissent. L’Observatoire des multinationales regarde ce qui se cache derrière les légendes dorées des milliardaires européens. Comment ont-ils construit leur fortune ? Quelle est leur influence sur la politique ? Focus sur le milliardaire britannique Jim Ratcliffe, qui a été un fervent supporter du Brexit. Une contribution de l’organisation britannique Corporate Watch.
Il est à la tête d’une fortune de plus de dix milliards d’euros selon Forbes. Jim Ratcliffe, dans le quatuor de tête des plus riches Britanniques, est le propriétaire du club de football de Nice en France et du club suisse Lausanne sport. Il est surtout le fondateur, le président et l’actionnaire majoritaire du géant de la pétrochimie Ineos. L’homme a d’abord travaillé chez Esso avant de rejoindre le London Business School, pour ensuite cofonder une société appelée Inspec. Celle-ci a racheté la division chimique de BP (British Petroleum) en 1992. L’entreprise a été rebaptisée Ineos six ans plus tard.
Toujours plus d’installations de gaz et de pétrole
Entre 1998 et 2008, Ineos a acquis 22 entreprises, notamment une filiale de BP, propriétaire de la raffinerie de pétrole de Grangemouth en Écosse. En 2014, le groupe annonce 746 millions d’euros d’investissement dans la prospection de gaz de schiste au Royaume-Uni, dont l’extraction nécessite le recours à de très polluantes techniques de fracturation, avec l’intention de l’utiliser pour ses usines chimiques. Quatre ans plus tard, l’entreprise rend public son projet de créer six nouvelles sociétés dans le secteur du pétrole et du gaz, à la suite de l’acquisition d’unités de production du Chinois Dong Energy et d’installations en mer du Nord, dont une pipeline.
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En 2019, le groupe décide encore d’investir 1,8 milliard d’euros dans une usine pétrochimique en Arabie Saoudite, au moment même où de grands investisseurs se retirent du royaume saoudien suite à l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi [1]. Malgré quelques incursions récentes dans d’autres secteurs, l’écrasante majorité des opérations d’Ineos sont basées sur le raffinage et la transformation des produits chimiques issus du pétrole pour fournir un large éventail de marchés (carburants, industrie pharmaceutique, agroalimentaire, construction, agriculture).
« Je suis venu, j’ai acheté, j’ai vaincu »
Ratcliffe contrôle Ineos par l’intermédiaire d’une holding, dont il possède 60 % des parts. Le reste est détenu, à parts égales, par ses lieutenants de longue date, John Reece et Andrew Currie. La société leur a versé 194 millions d’euros de dividendes en 2018. La même année, Ratcliffe est élevé au rang de chevalier par la reine d’Angleterre.... avant d’aller s’installer à Monaco pour des raisons fiscales [2]. Déjà en 2010, suite au refus du gouvernement britannique de réduire la charge fiscale d’Ineos, Ratcliffe avait déménagé sa société en Suisse.
En 2019, pour le vingtième anniversaire de son entreprise, Ratcliffe a voulu créer un blason pour Ineos. Il a décidé d’y placer la phrase latine « Veni emi vici », pour « Je suis venu, j’ai acheté, j’ai vaincu ». Ou pourrait y ajouter « j’ai pollué allègrement ». Car les opérations d’Ineos dans le monde représentent une énorme source d’émissions de carbone, avec des millions de tonnes de CO2 chaque année.
Ses usines émettent également des milliers de tonnes d’oxydes d’azote et de soufre et sont une source d’autres polluants tels que l’ammoniac, le benzène et le cyanure d’hydrogène. Parmi les accidents survenus sur les sites de l’entreprise, on recense de graves explosions, des incendies et des fuites. Son site à Cologne (Allemagne) a par exemple connu une série d’incidents graves, dont des fuites d’ammoniac, des explosions et un incendie en 2018, avec des flammes de plusieurs dizaines de mètres de haut.
Aux avant-postes pour exploiter le gaz de schiste en Grande Bretagne
Surtout, l’entreprise de Ratcliffe a été au centre des tentatives pour développer l’exploitation de gaz de schiste par « fracking » (une technique de fracturation de la roche) au Royaume-Uni. L’entreprise est le titulaire majoritaire des licences de fracturation britanniques [3]. Cette position dominante a été favorisée par les pantouflages de responsables politiques entre l’industrie et le gouvernement. Patrick Erwin, un ancien haut fonctionnaire du département du Logement et des communautés locales du gouvernement, a ainsi été détaché de son poste pour rejoindre Ineos en 2013. Il a alors aidé l’entreprise à décrocher un grand nombre de licences pour l’extraction de gaz de schiste [4].
Ineos a également demandé un assouplissement des règles sur les tremblements de terre causés par des opérations de fracking. Le milliardaire a qualifié ces règlementations d’« inapplicables », et a accusé le gouvernement de provoquer une « crise énergétique » et de causer des « dommages irréparables » à l’économie britannique [5]. Ratcliffe affirme qu’il veut extraire des gaz des schiste en Grande Bretagne pour fournir une énergie bon marché à la population. En fait, en plus de tirer profit de la vente du gaz, Ineos utiliserait d’abord cette énergie pour ses propres usines chimiques. Actuellement, l’entreprise importe du gaz de schiste des États-Unis. En produire au Royaume-Uni réduirait donc évidemment considérablement ses coûts.
Pourfendeur des réglementations environnementales européennes et défenseur du Brexit
Jim Ratcliffe a été un fervent défenseur du Brexit. « Nous sommes une île, nous sommes un peuple indépendant. Nous sommes une nation très créative, qui travaille dur. Nous pouvons prospérer en tant que nation indépendante, nous n’avons pas besoin de gens en Europe pour nous dire comment gérer notre pays », disait-il en mai 2019 [6]. Beaucoup soupçonnent que son enthousiasme pour le Brexit vise surtout à éviter les règlementations environnementales européennes. Des documents révélés en 2017 montrent qu’Ineos avait fait du lobbying, dans le cadre du groupement de l’industrie chimique britannique « Partenariat pour la croissance de la chimie », pour être exempté de la taxe climat et pour abolir le prix plancher du carbone. « Ineos incite le gouvernement britannique à utiliser le Brexit comme une chance pour exempter le secteur chimique de l’ensemble des coûts de la politique climatique », expliquait alors le Guardian [7].
Plus tard, en octobre 2018, Ineos a écrit au Secrétaire d’État britannique chargé de l’énergie et de la stratégie industrielle, menaçant de fermer son usine de Middlesbrough si le site n’échappait pas aux réglementations de l’UE en matière de pollution. Début 2019, c’est directement au président de la Commission européenne que Jim Ratcliffe a adressé une lettre ouverte [8]. Il y attaquait « des taxes vertes » qu’il jugeait « au mieux stupides », et estimait que l’Union européenne avait « les lois sur l’énergie et le droit du travail les plus chers du monde ». Le richissime patron d’Ineos a donc peut-être des raisons autres que patriotiques de se réjouir de la mise en œuvre du Brexit ce 31 janvier.
Corporate Watch
Image de Une : CC Foreign and Commonwealth Office via flick.
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