La plus haute Cour équatorienne avait condamné Chevron à une amende record de 9,5 milliards de dollars US en 2013, mais, l’entreprise pétrolière ayant retiré tous ses actifs du pays, les victimes n’avaient aucun moyen de faire appliquer la sentence en Équateur même. Elles ont donc engagé des poursuites (encore en cours) dans plusieurs autres nations américaines (Argentine, Brésil et Canada) pour forcer la multinationale à payer son amende. Dans chacun de ces pays, Chevron a multiplié les pressions pour faire avorter ces procédures. (Sur toutes ces questions, lire notre entretien avec Pablo Fajardo, avocat principal des victimes équatoriennes de Chevron : Injustice sans frontières ? Chevron contre l’Équateur.)
La sentence rendue à l’unanimité par la Cour suprême canadienne le 4 septembre 2015 constitue la première brèche dans la carapace d’impunité dont bénéficie Chevron au niveau international. Il ne s’agit pas encore d’une reconnaissance de la validité du jugement équatorien sur le fond (la procédure va se poursuivre), mais d’une reconnaissance de la possibilité juridique de poursuivre Chevron au Canada pour faire appliquer cette sentence. Cela pourrait sembler aller de soi. Mais dans les faits, les multinationales comme Chevron parviennent le plus souvent à faire valoir la séparation juridique entre la maison-mère et ses filiales dans les différents pays (en l’occurrence entre la société mère en Californie et sa filiale Chevron Canada) pour échapper à ce type de poursuites [1].
Voile juridique
Le quotidien canadien anglophone Globe and Mail souligne donc combien « la sentence a des implications majeures pour les entreprises multinationales canadiennes dont les activités suscitent des problèmes environnementaux ou de droits humains », dans la mesure où elle « affaiblit le voile juridique qui abritait traditionnellement les filiales de toute mise en cause juridique pour les actions de leur société-mère » (et vice-versa).
« À l’ère de la mondialisation et des échanges électroniques, obliger un créancier judiciaire à attendre que le débiteur étranger ou ses biens se trouvent dans la province avant qu’un tribunal reconnaisse sa compétence dans une demande de reconnaissance et d’exécution reviendrait à faire abstraction de la réalité économique actuelle », a fait valoir le juge Clément Gascon dans la sentence de la Cour suprême.
« Conclure autrement [que notre sentence] saperait les valeurs importantes d’ordre et d’équité qui servent de fondement à toutes les règles de droit international privé et serait incompatible avec l’affirmation de notre Cour selon laquelle le principe de la courtoisie doit pouvoir évoluer au même rythme que les relations commerciales internationales, les opérations transfrontalières et la libre circulation d’un pays à l’autre [2]. »
OP
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Photo : Marcela cc