Portée par les députés Danielle Auroi (EELV), Philippe Noguès (ex PS) et Dominique Potier (PS), en lien étroit avec la société civile représentée par le Forum citoyen pour la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) [1], celle-ci vise à combler une lacune juridique : l’impossibilité de sanctionner judiciairement les pratiques des multinationales lorsque celles-ci donnent lieu à des atteintes graves aux droits fondamentaux ou à l’environnement. L’effondrement du Rana Plaza, au Bangladesh en 2013, reste le symbole des dangers d’une mondialisation hors de contrôle. Plus de 1100 ouvrières et ouvriers textiles travaillant pour de grandes marques occidentales – les noms de grands groupes français comme Carrefour et Auchan ont également été cités – y ont trouvé la mort.
D’un côté, la loi adoptée par l’Assemblée paraît relativement consensuelle. Plusieurs députés de droite l’ont d’ailleurs finalement votée, malgré les consignes de leur groupe politique. La loi prend au mot les discours que les grandes entreprises françaises ne cessent de tenir sur leurs démarches « éthiques » et leur « responsabilité sociale ». Ces entreprises devront désormais établir un plan de vigilance pour identifier et prévenir les risques de dérives, chez leurs filiales et sous-traitants. En cas de carence de ce plan ou de manquements dans sa mise en œuvre, la justice pourra être saisie et imposer aux entreprises concernées une amende civile pouvant s’élever jusqu’à 10 millions d’euros – ou 30 millions si un lien direct est établi entre cette carence et des dommages graves. Pas vraiment de quoi porter atteinte à leur santé financière.
D’un autre côté, pourtant, cette loi représente une avancée symbolique historique, en ouvrant pour la première fois la possibilité, même modeste, de responsabiliser juridiquement une société mère pour les agissements de ses filiales à l’étranger ou pour des pratiques de sous-traitance abusives. Un « pied dans la porte », pour reprendre une expression utilisée par le député Philippe Noguès. Ce qui explique sans doute l’opposition acharnée et souvent outrancière du Medef et de l’Afep (Association française des entreprises privées, représentant les multinationales françaises). À l’étranger, on ne s’y est d’ailleurs pas trompé, que ce soit pour saluer la loi (du côté des syndicats et des ONG) ou au contraire pour la vilipender. Même la Chambre de commerce américaine, principal lobby patronal outre-Atlantique, s’est immiscée dans ce débat parlementaire français !
Inscrite dans les engagements du candidat François Hollande, lancée dès l’été 2012, cette proposition de loi aura donc attendu l’avant-dernier jour de la législature pour aboutir, les travaux de l’Assemblée cessant ce 22 février en attendant les élections présidentielles et législatives. La loi doit encore franchir l’étape du Conseil constitutionnel, lequel s’est fait à de nombreuses reprises au cours de cette mandature le gardien d’un ordre juridique favorable aux entreprises. Il restera ensuite à mettre en œuvre et utiliser ce nouvel outil juridique, afin de changer concrètement les pratiques des grands groupes sur le terrain.
Olivier Petitjean
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Photo : Magali CC