États-Unis

Larry Ellison, l’autre milliardaire réactionnaire de la tech... dont vous n’avez pas encore assez entendu parler

Plus discret qu’un Elon Musk sur ses accointances politiques, le fondateur d’Oracle Larry Ellison est en train de se construire un véritable empire médiatique outre-Atlantique avec l’acquisition du groupe Paramount et ses chaînes de télévision, et peut-être demain de TikTok US et Warner. Une force de frappe qu’il pourrait mettre au service de ses intérêts économiques – le développement de l’IA et de la surveillance en particulier – et de ses amis Donald Trump, Tony Blair et Benjamin Netanyahu.

Publié le 9 octobre 2025 , par Anne-Sophie Simpere

cc Oracle PR

En France, il reste très peu connu du grand public. Et pourtant, Larry Ellison a brièvement dépassé Elon Musk, début septembre, pour prendre pendant quelques heures le titre d’homme le plus riche de la planète. Le milliardaire de 81 ans est l’un des poids lourds de la tech et n’a jamais caché ses sympathies trumpistes. Grâce à un décret signé par le président américain le 25 septembre dernier, son entreprise Oracle devrait gérer l’algorithme de l’application TikTok pour les utilisateurs aux États-Unis – entre 150 et 170 millions de personnes, environ un tiers de la population du pays. Ce deal qui lui donnerait la main sur une plateforme d’information aussi puissante qu’addictive ne ferait que renforcer le pouvoir d’influence de la famille Ellison, qui vient de racheter Paramount et lorgnerait aujourd’hui sur Warner. Un empire médiatique qu’il pourrait mettre au service de ses intérêts économiques, de son soutien à Israël ou de ses convictions conservatrices.

Sauf pour son style de vie (yachts démesurés, jets privés et voitures de luxe…), Larry Ellison peut sembler plus discret que d’autres milliardaires de la tech comme Jeff Bezos, Mark Zuckerberg, Elon Musk. Mais il en est proche, particulièrement de ce dernier. Il a siégé au conseil d’administration de Tesla de 2018 à 2022, et a participé au rachat de Twitter à hauteur de un milliard de dollars. Tout comme Musk, il minimise ses impôts en ne se payant qu’un dollar de salaire annuel et en finançant son train de vie par des emprunts adossés à ses actions dans ses sociétés. Sa société Oracle est d’ailleurs un donateur régulier du lobby anti-impôts « American for Tax Reform ».

S’il affiche moins ses opinions politiques que Musk et d'autres, Ellison partage leur fascination pour le transhumanisme et leur vision d'une société de surveillance et de contrôle

S’il affiche moins ostensiblement ses opinions politiques que peuvent le faire Musk et d’autres milliardaires de la tech, le nouveau magnat des médias partage leur fascination pour le transhumanisme, qualifiant la mort de concept «  incompréhensible », et leur vision d’une société de surveillance et de contrôle. En 2024, il se réjouissait que dans une société où ils seraient constamment surveillés grâce à l’intelligence artificielle, les gens « adopteront un comportement exemplaire ». Début 2025, au World Government Summit de Dubaï, il appelait à la création d’une base de données unique sur les citoyens, qui rassemblerait l’ensemble des informations utiles à un gouvernement. Une dystopie dans laquelle il imagine certainement que sa société Oracle aurait toute sa place.

Oracle, un géant qui est déjà (presque) partout

Larry Ellison doit sa fortune à cette entreprise qu’il a fondée en 1977 avec deux programmeurs (Bob Minor et Ed Oats), et qui est aujourd’hui l’une des vingt plus grosses au monde en termes de capitalisation boursière. Oracle commercialise des logiciels de base de données et des logiciels et équipements de cloud computing (utilisation de serveurs à distance). Le groupe affichait en 2024 53 milliards de dollars de chiffre d’affaires. Ses produits sont utilisés par des milliers d’entreprises sur tout la planète, y compris en France où la SNCF, BNP Paribas, Orange ou encore Michelin comptent parmi ses clients. Une Association des utilisateurs francophones d’Oracle revendique 1000 membres représentant 140 entreprises.

Gouvernements et services publices recourent eux aussi aux produits d’Oracle. En France, par exemple, la Caisse nationale d’allocations familiales utilise le système Oracle Intelligent Advisor pour traiter les calculs de prestations d’aides au logement et minima sociaux, tandis qu’au Royaume-Uni, plusieurs ministères (travail, environnement, justice, intérieur…) font appel aux services de la firme étatsunienne. En septembre 2025, c’est l’Agence de communication et d’information de l’OTAN qui a engagé un projet de migration de ses applications critiques vers Oracle Cloud Infrastructure, mené en partenariat avec l’entreprise française Thales.

Proximité avec Donald Trump

Le développement exponentiel des activités d’Oracle dans les infrastructures cloud a fait bondir la fortune de Larry Ellison, actionnaire à environ 40 % de la société,. De nouveaux contrats avec des géants de la tech, dont OpenAI, ont également contribué à faire flamber l’action de l’entreprise. Oracle est également l’un des associés du projet Stargate, porté par Donald Trump dès son arrivée au pouvoir : un plan d’investissement de 500 milliards de dollars dans des infrastructures d’IA.

Oracle a créé une base de données de recrues potentielles pour la future administration républicaine, dans le cadre du Project 2025

Faut-il y voir une récompense du soutien de Larry Ellison au nouveau président américain ? S’il n’a pas été un supporter de la première heure, il semble aujourd’hui entretenir d’excellents rapports avec Donald Trump, qu’il rencontrerait régulièrement à Mar-a-Lago. Safra Catz, la vice-présidente du conseil d’administration d’Oracle et sa directrice générale jusqu’en septembre 2025, a fait partie de l’équipe de transition de Trump dès sa première élection en 2016. En 2022, selon OpenSecrets, Larry Ellison a été le onzième plus gros donateur individuel à des candidats conservateurs (avec plus de 31 millions de dollars). En 2023, Oracle a créé une base de données de recrues potentielles pour la future administration républicaine, dans le cadre du « Project 2025 » de la Heritage Foundation (lire notre article). La société est également membre de l’American Legislative Exchange Council, un puissant lobby conservateur qui propose des lois clés en main pour démanteler le droit du travail, s’opposer aux régulations environnementales, privatiser l’éducation, ou contre les droits des personne LGBT.

Blair et Netanyahu dans la galaxie Oracle

Donald Trump n’est pas la seule personnalité politique avec qui Larry Ellison entretient des relations cordiales. Le milliardaire américain s’est rapproché de Tony Blair, et aurait contribué à hauteur d’au moins 257 millions de livres sterling (294 millions d’euros) à son Tony Blair Institute for Global Change (TBI), via la Fondation Larry Ellison. Une enquête de The Lighthouse Reports révèle des liens extrêmement étroits entre le TBI, dont la mission affichée est d’aider les nations et les gouvernements à s’intégrer dans la mondialisation et faire face aux défis du monde actuel, et Oracle. D’anciens salariés de l’institut témoignent d’intrusions dans leur travail et de pressions pour promouvoir les produits d’Oracle dans les pays sur lesquels ils travaillaient. Présent dans 45 pays, le think tank de Tony Blair se positionne en faveur du développement massif de l’intelligence artificielle, fond de commerce de son méga-donateur.

Ellison aurait même offert en 2021 au premier ministre israélien un siège au conseil d’administration d’Oracle

La proposition américaine de confier la future gouvernance de Gaza à Tony Blair n’en paraît qu’encore plus inquiétante. Larry Ellison est en effet aussi un soutien indéfectible d’Israël, et un proche de longue date de Benjamin Netanyahu. Selon le média israélien Haaretz, il aurait même offert en 2021 au premier ministre israélien un siège au conseil d’administration d’Oracle – offre qu’il a déclinée – après l’avoir accueilli sur son île privée à Hawaï. En 2017, Ellison a versé plus de 16 millions de dollars à Friends of Israel Defence Force, association qui collecte des fonds pour les soldats israéliens. Selon des témoignages recueillis dans Responsible Statecraft, une publication du think tank américain Quincy Institute, des employés d’Oracle questionnant le soutien inconditionnel de l’entreprise à la politique israélienne auraient été orientés vers des services de santé mentale. La vice-présidente et ex-DG d’Oracle Safra Catz a aussi la nationalité israélienne et soutient la politique actuelle de l’État hébreu. Sa sœur est membre du conseil d’administration de l’American Israeli Public Affairs Committee Leadership, le plus important lobby pro-israélien aux États-Unis.

Soutenez l’Observatoire

Parce que le débat démocratique mérite mieux que la com’ du CAC 40.

Faites un don

Après Paramount, TikTok et Warner Bros dans le viseur

Ces positionnements et ces alliances prennent encore plus de relief depuis que Larry Ellison a commencé à se construire un véritable empire dans les médias, la production de contenus et la diffusion. En plus de sa participation à TikTok US – encore en négociation –, il a aidé au rachat de Paramount par son fils, déjà propriétaire de la société de production Skydance. Les deux entreprises ont été fusionnées dans un conglomérat dirigé par David. Présent dans le cinéma, la télévision (MTV, CBS...), l’édition et les médias numériques, ce nouveau groupe pourrait devenir un outil au service de leur idéologie et diverses accointances politiques.

La chaîne CBS de Paramount était depuis longtemps dans le collimateur de Donald Trump

CBS était depuis longtemps dans le collimateur de Donald Trump. Avant sa fusion avec Skydance, Paramount avait déjà accepté de verser 16 millions d’euros au président pour régler un contentieux avec lui, Trump accusant la chaîne d’avoir favorisé Kamala Harris dans une émission. Le « Late Show » de Stephen Colbert, qui se moquait ouvertement du chef de l’État, a aussi été annulé par CBS. Après la fusion, la chaîne a nommé un nouveau médiateur en la personne de Kenneth Weinstein. Celui-ci a été le directeur du Hudson Institute, partenaire du réseau Atlas (lire notre enquëte), et ambassadeur du Japon pour la précédente administration Trump. C’est lui qui aura à traiter les plaintes sur la couverture de l’actualité par la chaîne. Mais celles émanant des Républicains et des soutiens d’Israël devraient diminuer, puisque la la journaliste pro-israélienne et anti-« woke » Bari Weiss vient d’être nommée rédactrice en chef de CBS.

Un mois après la fusion Skydance-Paramount, un article du Wall Street Journal suggérait que le groupe pourrait également racheter Warner Bros. Si cette fusion était confirmée, le nouveau groupe pourrait rapprocher les plateformes de streaming HBO et Paramount+ (environ 200 millions d’abonnés à eux deux), aurait la main sur deux des cinq studios majeurs de production cinématographique aux États-Unis et contrôlerait de nombreuses chaînes de télévision, dont CNN – elle aussi détestée par Donald Trump. Une concentration de pouvoir médiatique et culturelle qui n’augure rien de bon pour le débat public et la démocratie américaine.

Article publié par Anne-Sophie Simpere

L’Observatoire est à votre écoute

  • Besoin d’éclaircissements ?
  • Une question ?
  • Une information à partager ?
Contactez-nous