Certains hommes d’affaires et milliardaires ne font pas mystère de leurs convictions et de leur soutien actif aux droites extrêmes. Aux États-Unis, des milliardaires du secteur financier ou des énergies fossiles financent depuis des années une galaxie de think tanks conservateurs et climato-sceptiques, ainsi que l’aile la plus extrémiste du parti républicain. Ils ont été rejoints par les « barons voleurs » du secteur technologique, Elon Musk en tête, qui a mis sa fortune et ses outils au service de la réélection de Donald Trump.

En France, Vincent Bolloré a créé une véritable machine de guerre médiatique pour mettre les idées et les thèmes de l’extrême droite au cœur du débat public et de l’ordre du jour politique. Il n’hésite plus à intervenir, via ses fidèles dans les médias et certaines des filiales de son groupe, dans les campagnes électorales.

Avant Vincent Bolloré, le milliardaire Iskandar Safa, propriétaire du groupe de construction navale CMN, a favorisé l’essor des idées d’extrême droite dans le paysage médiatique à travers son hebdomadaire Valeurs actuelles, qui reste contrôlé par sa famille.

D’autres hommes d’affaires, comme Pierre-Édouard Stérin, veulent mener l’offensive sur le plan culturel et idéologique en finançant à travers son projet "Périclès" une nouvelle génération de médias, d’associations et de think tanks voués à combattre tout ce qu’il déteste : l’immigration, les droits sexuels, l’écologie, le service public et la justice fiscale. L’offensive doit aussi se prolonger sur le plan électoral avec la formation de candidats pour les prochaines échéances locales et nationales.

Le rôle croissant des grandes fortunes en politique est un phénomène que l’on retrouve partout en Europe. Des hommes d’affaires, souvent liés à la finance ou à des industries polluantes, ont financé voire pris la tête de partis politiques d’extrême droite, ou ont soutenu certaines de leurs campagnes. Andrej Babiš (République tchèque), Christophe Blocher (Suisse), Jim Ratcliffe (Royaume-Uni)... nous avions dressé le portrait de certaines d’entre eux il y a quelques années avec nos partenaires du réseau ENCO.

Peut-on séparer la politique et l’économie ?

Malgré leur engagement ouvert en faveur de l’extrême droite, beaucoup de ces personnages continuent d’avoir pignon sur rue. Ils restent acceptés dans les cercles économiques et les associations patronales, ils sont financés par des banques et des investisseurs, et ils bénéficient souvent de la bienveillance des politiques et de l’administration.

Peut-on vraiment les considérer comme des hommes d’affaires comme les autres qui auraient « par ailleurs » des convictions politiques discutables ? Par exemple, peut-on séparer l’individu Vincent Bolloré et ses agissements des entreprises qu’il contrôle directement et indirectement ?

Cette position paraît de moins en moins tenable. Le fait que les profits d’une entreprise servent à financer un projet politique d’extrême droite contraire aux valeurs démocratiques ne devrait pas être anodin. Dans le cas de Vincent Bolloré, le pouvoir qu’il a pu accumuler dans le secteur de la culture et des médias est en soi un danger pour la démocratie. Le fait qu’il l’utilise au service de l’extrême droite ne fait que rendre ce danger plus visible. L’empire Bolloré repose désormais à 90 % sur les médias, la culture et la communication. Pour l’instant, certes, une partie seulement de cet empire est ouvertement mise au service de l’extrême-droite. Mais elle ne fonctionne que grâce au reste de l’empire qui la légitime, la finance et qui sert d’excuse à Vincent Bolloré et ses alliés.

Entre convictions et intérêts bien compris

Beaucoup des milliardaires et des hommes d’affaires qui soutiennent l’extrême droite sont motivés par des convictions politiques et religieuses – catholiques dans le cas de Vincent Bolloré ou Pierre-Édouard Stérin – mais ils ont tous aussi, à des degrés divers, des intérêts économiques en jeu.

Au minimum, ils soutiennent les droites extrêmes parce qu’elles promettent de baisser les impôts, notamment pour les plus riches. Certains de ces prétendus nationalistes, comme Pierre-Édouard Stérin, sont d’ailleurs des évadés fiscaux.

Souvent, leur soutien à l’extrême droite sert en partie aussi les intérêts de leur entreprise. Qu’il s’agisse d’obtenir des marchés publics, le soutien financier ou politique de l’État, le déploiement de leurs outils et de leurs technologies, ou bien des règles sociales et environnementales plus favorables à leurs intérêts, ils savent profiter de leur proximité avec le pouvoir. C’est l’une des raisons pour lesquelles une partie importante du secteur du numérique et des cryptomonnaies s’est rangée derrière Donald Trump.

« Carbofascisme »

Parmi les secteurs d’activité qui sont les plus tentés par l’alliance avec l’extrême droite, celui du charbon, du pétrole et du gaz figure en bonne place - de même plus globalement les autres secteurs très liés aux hydrocarbures, comme l’énergie et l’aviation. C’est sans surprise dans ces secteurs que l’on trouve les dirigeants français qui se sont le plus affichés avec l’extrême droite, cadres ou ex cadres de Safran, EDF ou Engie.

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Aux États-Unis, les magnats du charbon et des autres énergies fossiles – notamment parmi les juniors impliquées dans le pétrole et gaz de schiste – ont été les plus fervents soutiens de Donald Trump. Ces affinités électives se retrouvent aussi en Russie, en Inde à travers les liens de proximité étroite entre Narendra Modi et le groupe Adani, ou encore en Hongrie à travers la compagnie pétrolière d’Etat MOL, dont les profits alimentent MCC, université et think tank pro-Orbán. Ces liens s’ancrent dans une même vision du monde faite d’extractivisme, de masculinisme et d’exploitation des ressources naturelles au profit des plus forts.

À mi chemin entre le monde des grandes entreprises et celui de la politique, tout un univers de think tanks, de groupes de lobbying et d’instituts d’enseignement et de formation s’est développé dont l’objectif est de diffuser et normaliser les idées d’extrême droite et de créer des passerelles avec les institutions publiques et l’establishment médiatique et universitaire.

Financés en grande partie par des milliardaires ou des entreprises, ces acteurs d’influence jouent un rôle clé pour façonner le débat public et médiatique sur le long terme. Ils permettent de forcer le passage à des idées et des thématiques minoritaires dans l’opinion – le climato-scepticisme, la crainte de l’immigration ou les baisses d’impôts pour les plus riches par exemple – et de les mettre à l’ordre du jour politique. D’autres structures se spécialisent dans la formation de futurs dirigeants, journalistes ou porte-paroles qui iront peupler les médias, les associations et les partis politiques de la mouvance extrémiste.

C’est ce que veut faire en France Pierre-Édouard Stérin avec son projet « Périclès ». Celui-ci est largement inspiré de modèles internationaux, notamment aux États-Unis, tels le réseau de think tanks et d’institutions d’enseignement créé par les frères Koch et leurs alliés ou encore le réseau Atlas. Ces acteurs se retrouvent régulièrement lors de grandes conférences internationales pour partager leurs méthodes et coordonner leur action.

« Changer le climat des idées »

Lancé dans les années 1980, l’Atlas Network est aujourd’hui l’un des plus importants réseaux de think tanks au monde, financé par des fondations américaines comme celles des frères Koch et, initialement au moins, par des multinationales. Son objectif avoué est de recouvrir le monde de think tanks et autres organisations libertariennes et souvent ultraconservatrices pour « changer le climat des idées » et s’attaquer à des causes comme l’action climatique, la promotion des droits des femmes et des minorités, la justice fiscale ou encore les services publics.

Le réseau se prévaut de nombreuses victoires politiques tout autour de la planète, comme le rejet de référendums au Chili et en Australie, le Brexit, le départ forcé de Dilma Rousseff au Brésil ou encore l’élection en Argentine de Javier Milei, très proche du réseau. Aux États-Unis, il se mobilise au côté des républicains et compte ou comptait parmi ses membres des grands noms de la mouvance ultraconservatrice comme le Heartland Institute ou la Heritage Foundation, responsable du célèbre « Projet 2025 » conçu comme le programme de Donald Trump.

Les partenaires du réseau Atlas ont particulièrement ciblé l’écologie et le climat, avec le soutien de milliardaires comme les frères Koch et de multinationales comme Exxon. Aujourd’hui encore, leurs discours de déni de la crise climatique, de critique des énergies renouvelables, de soutien au nucléaire et de criminalisation des militants écologistes sont largement repris par les partis d’extrême droite et au-delà.

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Les acteurs français de la « guerre des idées »

Le réseau Atlas est implanté depuis longtemps en France et a contribué à la création d’organisations et d’associations qui sont à certains égards les ancêtres de la nébuleuse d’associations d’extrême droite qui se déploie aujourd’hui. Parmi les partenaires du réseau dans l’Hexagone, on peut citer le think tank anti-impôts et anti-service public Ifrap, l’association Contribuables associés, l’Iref, l’Institut Molinari ou encore l’Institut de formation politique.

Ces organisations illustrent la diversité des modes d’actions recommandés par Atlas pour influencer le climat des idées. Elles préfèrent rester discrètes sur leurs liens avec le réseau américain. Elles ont de nombreux liens entre elles et avec des hommes d’affaires et des grandes fortunes, ainsi qu’avec toutes les nuances de la droite et de l’extrême droite française. Leurs représentants sont omniprésents dans les médias, où ils se présentent en experts objectifs ou porte-paroles d’associations de terrain. Ce faisant, ils réussissent à imposer leurs idées et leurs thèmes parfois jusque dans les discours gouvernementaux, sur l’éducation ou le logement par exemple.

L’Europe dans le viseur

Les think tanks du réseau Atlas ciblent également les institutions européennes, où ils défendent depuis des années les traités de libre-échange et les politiques de dérégulation. Depuis les élections de 2024 et l’arrivée de l’extrême droite au gouvernement dans de nombreux pays, ils ont acquis de nouveaux alliés sur la scène bruxelloise. Ils ont été rejoints par des structures financées par la Hongrie de Viktor Orbán, comme MCC Brussels, et une galaxie de petites organisations et médias. Tous ont des liens étroits avec les eurodéputés des groupes d’extrême droite (comme celui des Patriotes ou siège le RN) voire de la droite « traditionnelle ».

Ultra-conservateurs américains ou britanniques, souverainistes comme le RN, nationaux-conservateurs comme le parti hongrois au pouvoir Fidesz... Les réseaux internationaux de l’extrême droite ont toujours été dans leur grande majorité anti-Union européenne. Aujourd’hui, avec le changement du rapport de forces, ils ont changé en partie de discours et cherchent à mettre l’UE au service de leurs idées, en la poussant vers la dérégulation et la remise en cause de l’état de droit et en menant campagne contre les ONG.

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À quelques rares exceptions près, les milieux patronaux et les grandes entreprises ont longtemps tenu l’extrême droite à distance, même quand celle-ci a commencé à accumuler les succès électoraux. Cette logique de « cordon sanitaire » que l’on a pu observer en France et dans le reste de l’Europe est en train de s’effondrer. Désormais, beaucoup des porte-paroles des milieux d’affaires mettent sur le même plan les partis d’extrême droite et les partis de gauche, même sociaux-démocrates.

Si les grands patrons qui prennent ouvertement fait et cause pour la droite extrême restent rares, certaines figures n’hésitent plus à s’afficher en compagnie de leaders du RN ou de proches d’Éric Zemmour, comme Arnaud Lagardère ou l’ex PDG d’EDF Henri Proglio. Les signes se multiplient que les dirigeants d’entreprises, dans leur majorité, semblent prêts à s’accommoder d’un futur gouvernement d’extrême-droite, voire à collaborer avec.

Cela ne veut pas dire que les milieux d’affaires se convertissent en masse à la haine ou s’alignent sur les positions les plus extrémistes sur les migrants, l’islam ou les libertés sexuelles. Mais ils semblent disposés à passer outre ces côtés peu ragoûtants – que l’extrême-droite tente d’ailleurs de gommer à travers sa stratégie de dédiabolisation.

Ennemis communs

La propension croissante du patronat à accepter passivement – sinon soutenir – l’extrême droite s’explique en premier lieu par l’opportunisme et la priorisation des intérêts économiques immédiats sur toute autre considération. Les affaires sont les affaires.

Mais elle s’explique aussi probablement par la conviction qu’industriels et milieux d’affaires et extrême droite ont des ennemis communs – les partis de gauche et leurs velléités de redistribution fiscale, les écologistes et plus généralement les fonctionnaires et les régulateurs.

C’est ainsi que l’on a vu des dirigeants du Medef déclarer publiquement lors des dernières élections que le programme du Nouveau Front Populaire était probablement pire que celui du Rassemblement national. Une partie du patronat semble persuadée que l’extrême droite, quand elle arrivera au pouvoir, abandonnera la fibre sociale et populiste qu’elle cultive pour se faire élire, et qu’elle se convertira au pragmatisme économique et au marché libre.

L’écologie est une autre cible partagée. Après la publication des propositions de la Convention citoyenne sur le climat, on a assisté à une alliance de fait entre grands industriels, lobbyistes et réseaux libertariens pour lancer une croisade anti-écologie et couler les velléités de réforme. Cette croisade continue aujourd’hui. Olivier Andriès, le patron du groupe Safran, qui n’hésite pas lui non plus à dialoguer avec les leaders du RN, s’est récemment fait remarquer par une diatribe publique contre les mairies écologistes, jugés « anti-avion ».

Ce sont plus largement les régulations et la fonction publique qui sont désormais ouvertement dans le viseur de nombreux patrons. Après la réélection de Trump, des figures du CAC 40 ont multiplié les déclarations publiques citant en exemple les États-Unis, le DOGE d’Elon Musk et la tronçonneuse de Javier Milei, et réclamant que la même politique soit appliquée en France. Ils ont eu en partie gain de cause avec le processus de dérégulation lancé au niveau de Bruxelles ou les coupes annoncées dans les dépenses publiques en France au nom de l’équilibre budgétaire.

Souverainisme

La convergence entre une partie des industriels et l’extrême droite se nourrit également de traditions de collaboration public-privé et de discours solidement enracinés sur le patriotisme économique et la souveraineté. Nul hasard si certains des patrons qui ont été les premiers à piétiner le « cordon sanitaire » viennent de secteurs comme le nucléaire, l’aéronautique et l’armement, très proches de l’État et très dépendants de son soutien en France et à l’international.

Sur l’économie, l’extrême droite française tente péniblement de concilier des positions très contradictoires, entre promesses de protection contre la mondialisation et tentatives de rassurer le milieu des affaires français et international sur sa crédibilité économique et financière. La défense des grandes entreprises tricolores sous prétexte de « patriotisme » est l’un des seuls moyens pour elle de surmonter partiellement cette contradiction.

Mais en réalité il s’agit souvent de les défendre non pas contre des concurrents étrangers, mais contre les militants écologistes ou contre les journalistes et les associations qui dénoncent les impacts de leurs activités en France ou dans le monde. Secret des affaires, passage en force sur les grands projets contestés comme l’A69, répression des opposants... Il y a malheureusement aujourd’hui un alignement croissant entre les positions de l’extrême droite et les politiques effectivement défendues par le patronat et mises en œuvre par le gouvernement.

Il n’y a évidemment pas que la France. Des États-Unis à la Russie en passant par le Brésil, Israël, l’Inde ou la Hongrie, les multinationales françaises sont présentes dans de nombreux pays gouvernés par des leaders issus de l’extrême droite, dans ses diverses nuances. Dans certains cas, des groupes tricolores ou leurs filiales ont même financé des candidats d’extrême droite, noué des relations étroites avec la clique au pouvoir ou collaboré aux projets les plus contestés de ces gouvernements.

Courbettes devant Donald Trump

Plusieurs grands patrons français ont ainsi été rendre visite à Donald Trump lors de son premier mandat ou après sa réélection, à commencer par le PDG de LVMH Bernard Arnault qui a salué le « vent d’optimisme » qui soufflait selon lui outre-Atlantique. D’autres groupes ont annoncé dans la foulée d’importants investissements aux États-Unis, comme Sanofi ou encore Schneider Electric. Le PDG de TotalEnergies Patrick Pouyanné a vanté la politique pro-énergies fossiles de la nouvelle administration américaine, et a envisagé le retour des forages offshore dans le « golfe d’Amérique » en utilisant le nom voulu par Trump pour désigner le golfe du Mexique. L’administration américaine a en retour débloqué une aide décisive pour les projets du groupe pétrogazier au Mozambique.

Ces liens entre grandes entreprises françaises et la droite américaine sont anciens, comme en témoignent les données publiques sur le financement des campagnes électorales. Depuis des années, des filiales de groupes français versent de l’argent via le système des « PACs » à des candidats républicains ouvertement climato-sceptiques ou anti-LGBTQ. En 2024 encore, des groupes comme Sanofi, EDF ou Airbus ont financé les campagnes de nombreux candidats pro-Trump.

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Certaines des politiques effectivement menées par la nouvelle administration, en revanche, ont mis ces groupes français dans l’embarras. C’est le cas de la menace d’introduire des droits de douane substantiels pour leurs produits, ou encore de l’interdiction des politiques de diversité et de lutte contre les discriminations, dites « DEI ».

Affinités russes

Bien entendu, il n’y a pas que les États-Unis qui inspirent les droites extrêmes en France et en Europe. Pendant longtemps, leurs regards étaient davantage tournés du côté de la Russie de Vladimir Poutine. Plusieurs groupes tricolores ont parié gros sur le marché et les ressources naturelles russes, à commencer par TotalEnergies. Ils ont noué pour ce faire des partenariats étroits avec des oligarques proches du Kremlin.

Des grands patrons se sont rendus à plusieurs reprises à Moscou pour rencontrer Vladmir Poutine, en contradiction avec la position officielle de la France alors que le pays était sous sanctions suite à sa première invasion de l’Ukraine. Des cadres dirigeants, fervents admirateurs du leader du Kremlin, se sont fait le relais de l’influence russe en France, participant à des événements organisés par l’ambassade.

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Les mêmes complaisances s’observent ailleurs dans le monde. En Inde, TotalEnergies a noué un partenariat étroit avec Gautam Adani, proche allié du Premier ministre Narendra Modi. En Hongrie, des groupes comme Bouygues ou JCDecaux font affaire avec le gouvernement Orbán. Au Brésil, un actionnaire et partenaire important de Carrefour a soutenu le parti de Jair Bolsonaro. Et on ne compte plus les liens et les collaborations entre les industriels français et le complexe militaro-industriel israélien.

En matière économique, on l’a dit, les droites extrêmes s’illustrent souvent par leurs divisions et leurs contradictions, entre une aile plus souverainiste et protectrice et une aile libertarienne qui veut la fin des services publics et de l’État, ou du moins sa réduction à un rôle policier. On retrouve cette polarisation aussi bien au sein du Rassemblement national en France que dans l’administration Trump.

Il est néanmoins une tendance que l’on retrouve dans beaucoup de cas : la tentation des dirigeants d’extrême droite au pouvoir de mettre ce pouvoir au service de leurs propres intérêts économiques et de ceux de leurs alliés et proches. Donald Trump, qui ne semble pas faire de différence bien nette entre son mandat de président et ses intérêts en tant qu’homme d’affaires, et qui met l’administration américaine au service de l’obtention de faveurs et de contrats pour les sociétés qu’il contrôle, en est l’exemple le plus éclatant. En France, à plus petite échelle, les petits scandales de détournement d’argent public et de contrats juteux confiés à des alliés politiques grâce au remboursement des frais de campagne confirment la tendance.

La défense des riches

En réalité, derrière leurs discours populistes et sociaux, les partis d’extrême droite ont souvent pour premier réflexe de défendre les intérêts des couches aisées, et de rogner sur les protections et les contre-pouvoirs. Si l’on examine les votes des députés du RN en France ou à Bruxelles par exemple, on constate un biais systématique en faveur des propriétaires, des patrons et des ménages fortunés. En revanche, ils se prononcent presque systématiquement contre les syndicats, les régulations écologiques ou les efforts pour encadrer les activités des entreprises. Ils ont même repris tel quel des amendements rédigés par des lobbys du BTP ou de la santé.

Aujourd’hui, les partis d’extrême droite tentent de mettre en place une alliance avec les milieux d’affaires et certaines couches de la population (les agriculteurs par exemple) au nom de la défense des « libertés » contre l’État, les services publics et toutes les formes de solidarité collective. Derrière ce mot d’ordre de « libertés » (pour quelques uns seulement), c’est une politique de dérégulation, de privatisation et de coupes drastiques dans les aides sociales et les dépenses publiques qui est de plus en plus ouvertement à l’ordre du jour.

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L’extrême droite est diverse mais elle partage certaines caractéristiques que l’on retrouve aujourd’hui dans la plupart des partis qui portent cette étiquette et même au-delà : le rejet de l’immigration, l’autoritarisme, une rhétorique anti-système et le refus violent de toute remise en cause de l’ordre social traditionnel et de ses injustices raciales, de genre ou environnementales.

Sur les questions économiques, en revanche, les droites extrêmes oscillent entre des positions très contradictoires – souverainisme, libertarianisme radical et pur opportunisme.

il ne s’agit pas de minimiser le poids du racisme, du sexisme et plus largement de la haine et de l’intolérance dans les succès actuels des extrêmes droites, en France et ailleurs.

Pourtant, que ce soit pour comprendre les grandes fortunes qui soutiennent l’extrême-droite aujourd’hui et leurs motivations (d’Elon Musk à Vincent Bolloré et Pierre-Édouard Stérin), ou pour analyser les conditions qui ont rendu possible son ascension électorale et la force d’attraction qu’elle exerce sur une partie des élites, les questions de justice économique, de responsabilité des multinationales, de démocratie et d’urgence climatique restent centrales.

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Qu’il s’agisse des « perdants » de la mondialisation néolibérale à qui l’on désigne des bouc-émissaires faciles, des élites politico-économiques qui préfèrent recourir à l’autoritarisme plutôt que de remettre en cause le système qui fait leur fortune, ou des citoyens et citoyennes dégoûtés des connivences public-privé et de la corruption des élites qui se jettent dans les bras de plus corrompus encore, les extrêmes droites fleurissent aussi sur les impasses de notre modèle économique et politique.