08.06.2017 • Corruption

Engie et son barrage de Jirau dans la tourmente du scandale « Lava Jato » au Brésil

Depuis des mois, le Brésil vit au rythme des révélations sur la corruption à l’échelle industrielle de ses dirigeants économiques et politiques. Après Dilma Rousseff, destituée brutalement il y a un an, c’est son successeur Michel Temer, lui-même accusé de corruption dans le cadre du scandale « Lava Jato », qui voit son sort se jouer cette semaine. Du côté des entreprises impliquées, après le groupe pétrolier Petrobras et les grandes entreprises de BTP brésiliennes, les regards se tournent vers les constructeurs de grands barrages hydroélectriques. Et notamment du côté d’Engie et de son barrage déjà très contesté de Jirau, dénoncés par le dirigeant d’une entreprise rivale.

Publié le 8 juin 2017 , par Olivier Petitjean

L’opération « Lava Jato » (« lavage de voiture »), cet immense scandale de corruption qui implique une grande partie du monde économique et politique brésilien, est-elle en train de rattraper Engie ? Lava Jato, c’est tout un système de prébendes versés par des entreprises à des hommes politiques en échange de contrats publics, à commencer par ceux passés par la firme pétrolière nationale Petrobras. Tous les principaux partis politiques du pays en auraient bénéficié à des degrés divers, et le PT de Lula et Dilma Rousseff, malgré la destitution de cette dernière, est très loin d’être seul en cause, bien au contraire.

Du côté des entreprises, ce sont les géants brésiliens du BTP - Odebrecht, Camargo Corrêa et autres - qui sont les plus impliquées. Mais selon les aveux recueillis par la justice dans le cadre de ses enquêtes, d’autres entreprises actives dans le secteur des grands barrages sont également potentiellement concernées. Le nom d’Engie et de son barrage très controversé de Jirau, inauguré en décembre 2016 et auquel l’Observatoire des multinationales avait consacré une longue enquête, est particulièrement cité.

Selon la presse brésilienne, Emílio Odebrecht, patron de l’entreprise du même nom, a avoué à la justice avoir fait pression sur le président Lula pour que son entreprise obtienne le marché du barrage de Jirau, mais se serait heurté au « favoritisme » de Dilma Rousseff, la future présidente de la République, envers Tractebel-Suez, filiale d’Engie. Le groupe français a finalement obtenu le marché, en déplaçant en toute impunité le site du barrage de plusieurs kilomètres par rapport à ce qui était prévu par les autorisations administratives.

Favoritisme de Dilma ?

« Aujourd’hui encore j’ai des difficultés pour comprendre les raisons qui ont amené Dilma Rousseff et son équipe à agir dans l’intérêt de Tractebel-Suez », a déclaré Emílio Odebrecht aux enquêteurs, sans formuler d’accusations précises au-delà de ces insinuations. Cet accusateur n’a évidemment rien d’objectif, puisqu’il représente le consortium rival malheureux d’Engie pour le marché de Jirau. Odebrecht a obtenu le marché du barrage voisin de Santo Antonio, et plusieurs batailles juridiques ont opposé les deux consortiums. Réagissant à ces révélations, Dilma Rousseff a déclaré être victime de « fuites sélectives ».

Les données officielles du Tribunal supérieur électoral brésilien indiquent qu’Engie, via sa filiale Tractebel, a versé 1 million de réais au comité de campagne de Dilma Rousseff pour la campagne 2010 (plus de 450 000 euros alors), puis à nouveau 800 000 réais pour sa campagne de réélection en 2014 (environ 260 000 euros à l’époque). Des versements totalement légaux au Brésil. Engie a également financé les campagnes des rivaux de Dilma Rousseff, et inversement son concurrent Odebrecht a également versé de l’argent à tous les principaux candidats.

Environnement à risque

D’autres témoins, Marcelo Odebrecht et Henrique Valladares, ont notamment évoqué le versement de pots-de-vin à Aécio Neves, gouverneur du Minas Gerais et rival malheureux de Dilma Rousseff à l’élection de 2014, « pour s’assurer de la bienveillance du gouvernement fédéral sur les processus de Jirau et Santo Antonio ». Ils évoquent également d’autres versements de pots-de-vin de la part d’Odebrecht, y compris à des syndicalistes ou des leaders indigènes. C’est une autre entreprise de BTP, Camargo Corrêa, qui avait été chargée par Engie de la construction de Jirau.

La direction d’Engie, que nous avons contactée, n’a pas souhaité répondre à nos questions sur les allégations parues dans la presse brésilienne, ni sur les mesures qu’elle avait mises en place pour faire la lumière sur l’implication directe ou indirecte de l’entreprise dans des pratiques illicites par le passé et pour prévenir de tels abus à l’avenir. Pourtant, comme le montre aussi l’exemple d’une autre firme française, Alstom (lire nos articles ici et ), une entreprise qui choisit de participer activement à des grands projets d’infrastructure au Brésil se retrouve immanquablement immanquablement impliquée dans un système économique et politique où (abstraction faite même des problèmes politiques et environnementaux de ces projets) les risques de corruption sont réels.

Olivier Petitjean

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Photo : Agencia Brasil CC via Wikimedia Commons

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