L’entreprise française Engie a officiellement inauguré la semaine dernière le mégabarrage de Jirau, sur le rio Madeira dans la région amazonienne du Brésil, après la mise en service de la dernière de ses cinquante turbines. Cette centrale hydroélectrique, dont la construction avait commencé il y a huit ans, a été marquée par de multiples problèmes et controverses, touchant aussi bien à ses impacts sur l’environnement (déforestation, déclin des populations de poisson traditionnellement pêchées par les riverains) et pour les tribus indigènes de la région qu’aux conditions de travail sur le chantier. Jirau a en effet connu deux émeutes ouvrières de grande ampleur, et des sous-traitants d’Engie ont été condamnés par la justice brésilienne pour travail forcé. Le processus d’autorisation du barrage avait été marqué par de nombreuses irrégularités et manœuvres politiques.
L’Observatoire des multinationales avait consacré une grande enquête en cinq volets à ce barrage et aux problèmes qu’il soulève. Nous sommes ensuite revenus à plusieurs reprises sur ce dossier, notamment lorsque Engie a émis une « obligation verte » pour boucler son financement et lors des inondations dramatiques qui ont frappé la région au début de l’année 2014.
Irresponsabilité
Les problèmes ne sont pas pour autant réglés pour Engie. L’entreprise française encourt une amende de 2 milliards de réais brésiliens (environ 600 millions d’euros) de la part de l’autorité de régulation du secteur de l’électricité pour le retard du chantier. Le représentant d’Engie au Brésil a expliqué à Reuters que l’entreprise ne se considérait pas comme responsable des problèmes de sûreté sur son propre chantier ni de la révolte de ses propres ouvriers...
Des témoins locaux font également état de violations continues des droits humains dans la zone du barrage. Selon le Mouvement brésilien des personnes affectées par les barrages (MAB), une militante locale très active dans la contestation du barrage, Nilce de Souza Magalhães, dite « Nicinha », a été assassinée en janvier 2016, et deux autres militantes sont aujourd’hui exposées à des menaces physiques, en raison de leur activisme sur les conditions de compensation et de relogement des populations affectées par le barrage. Le petit État de Rondônia, où se situe Jirau, apparaît comme l’un des plus violents du Brésil, avec pas moins de dix-sept défenseurs des droits humains assassinés en 2016, soit 30% du total national.
Malgré toutes les controverses occasionnées par ce barrage, Engie n’a pas hésité à s’engager dans une politique très active de « greenwashing » de Jirau. L’entreprise met par exemple en avant la création d’une ville nouvelle, Nova Mutum Paraná, sans préciser que de nombreux habitants ont refusé de s’y installer, et qu’elle laissait se développer à quelques kilomètres de là une ville champignon à l’atmosphère de far west, Jaci Paraná, pour tous ceux dont elle ne se sentait pas « responsable » (voir le film réalisé par Reporter Brasil, Jaci - le sept péchés d’un ouvrage amazonien). L’ouvrage a également permis à Engie de bénéficier de « crédits carbone » lui permettant de continuer à émettre des gaz à effet de serre ailleurs.
Engie et Total lorgnent sur les actifs de Petrobras
En même temps qu’elle annonçait la mise en service de la dernière turbine de Jirau, l’entreprise énergétique française a également affiché son intérêt pour certains actifs de Petrobras. La firme pétrolière nationale brésilienne est au centre d’un vaste scandale de corruption qui a entraîné une profonde crise politique dans le pays. La présidente Dilma Rousseff a été débarquée par une coalition d’élus conservateurs directement impliqués dans le scandale, ce qui a été qualifié de « coup d’État légal » par de nombreux militants et observateurs brésiliens et internationaux.
Le nouveau gouvernement s’est immédiatement embarqué dans un programme d’austérité et de privatisations sans précédent. Celui-ci implique notamment la libéralisation du secteur pétrolier et la vente d’actifs de Petrobras pour résorber sa dette. Une opportunité que Total aura été la première à saisir, en signant il y a quelques semaines un accord de partenariat approfondi avec Petrobras (comparé par certains à l’alliance Renault-Nissan) pour développer des projets pétroliers et gaziers au Brésil et ailleurs dans le monde, mais aussi potentiellement étendre leurs activités dans le domaine de la production et la distribution d’électricité au Brésil même [1]. Le PDG de Total Patrick Pouyanné aura été l’un des premiers dirigeants de multinationale à rencontrer officiellement Michel Temer, le nouveau et très impopulaire président brésilien.
Selon la presse brésilienne, les discussions sont d’ores et déjà en cours pour que Total acquiert une partie des actifs de Petrobras dans plusieurs gisements pétroliers très convoités du « pre sal », au large des côtes brésiliennes. Quant à Engie, elle serait surtout intéressée par des actifs de Petrobras dans le gaz et les infrastructures gazières.
Olivier Petitjean
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Photo : Gouvernement brésilien, CC.