Si l’Iref n’a été fondé qu’en 2002 « par des membres de la société civile issus de milieux académiques et professionnels » (selon son site internet), une partie de ses membres a des liens bien plus anciens avec les libertariens américains. Jacques Garello, économiste et membre du conseil d’administration de l’Iref, est aussi membre de la Société du Mont Pèlerin. En 1980, il devient président de l’Association pour la liberté économique et le progrès social (Aleps), avec l’idée qu’il faut ouvrir la France à des idées en plein essor au niveau international [1]. L’Aleps deviendra membre du réseau Atlas et recevra des fonds par son intermédiaire. Jacques Garello est aussi l’un des fondateurs de l’Institute for Economic Studies - Europe (IES – Europe), une émanation de l’organisation libertarienne américaine Institute for Humane Studies, financée par Atlas, qui vise à former des étudiants, repérer des talents et organiser des rencontres entre libertariens. Aujourd’hui dirigé par Pierre Garello, fils de Jacques et également administrateur de l’Iref, l’IES continue d’organiser des rencontres avec des universitaires et représentants de think tanks libertariens rattachés au réseau Atlas.
L’Iref se présente comme « un think tank libéral et européen » ayant pour but de « développer la recherche indépendante sur des sujets économiques et fiscaux ». Il se prétend lui aussi « indépendant de tout parti ou organisation politique » [2]. L’institut est aujourd’hui présidé par Jean-Philippe Delsol, un avocat qui n’est pas si éloigné que ça des milieux politiques. En effet, il est le beau-frère de Charles Millon [3], avec qui il fonde dans les années 1970 un cabinet d’avocats d’affaires [4]. Charles Millon aura surtout une longue carrière politique : maire de Belley, député UDF puis ministre de la Défense sous le gouvernement Juppé, il est en 1998 un fervent partisan de l’alliance entre droite et extrême-droite au niveau régional. En 2016, il soutient la candidature de François Fillon, et en 2021 il est membre d’un comité politique autour d’Eric Zemmour [5]. Dans le conseil d’administration de l’Iref, aux côtés d’universitaires, on retrouve aussi Alain Mathieu, ancien président de Contribuables associés déjà cité, ainsi que le Prince Michael de Liechtenstein, ex-cadre de Nestlé, aujourd’hui président d’Industrie & Finanzkontor, une société de services financiers, et fondateur d’une société de « renseignements géopolitiques ».
Les liens de l’Iref avec les autres think tanks du réseau Atlas et le monde politique apparaissent aussi à travers ses salariés et contributeurs. Son directeur, Nicolas Lecaussin, est passé par l’Ifrap, dont il aurait été écarté pour un ouvrage trop critique sur Nicolas Sarkozy au goût de Bernard Zimmern [6]. Lecaussin a aussi été directeur de recherche de Sauvegarde Retraites et administrateur de l’Aleps. Augustin Nayrand, directeur adjoint, vient des Républicains. Ancien directeur de campagne adjoint du candidat LR Etienne Blanc à Lyon, conseiller municipal, il rallie Eric Zemmour en 2021. Aymeric Belaud, chargé d’études de l’Iref, est passé par l’Institut de formation politique (voir L’Institut de formation politique, vivier des droites radicales et de leur union), et fait partie des jeunes membres des Républicains partisans d’un rapprochement des droites qui ont participé à la convention de la droite avec Eric Zemmour et Marion Maréchal en 2019 [7]. Elodie Messeant, elle aussi ancienne chargée d’études, fut coordinatrice de Students for Liberty France [8]. Ferghane Azihari, ancien collaborateur de l’Iref, a lui aussi été porte-parole de Students for Liberty France.
Un projet politique réactionnaire sous couvert de « recherche indépendante »
Les sujets de prédilection de l’Iref sont très similaires à ceux des autres membres d’Atlas : les droits des propriétaires immobiliers, la critique des impôts sur les successions, la « suppression des obstacles réglementaires qui étouffent les entreprises », l’ouverture à la concurrence des services de santé, d’assurance chômage, et de l’éducation. Bien sûr, l’Iref est fermement opposé à l’impôt sur la fortune [9], et s’alarme des efforts pour lutter contre la fraude fiscale, qui risqueraient de faire fuir « les grandes entreprises et les gros patrimoines » [10]. Il fustige aussi les taxes sur le tabac, et a été nominé pour un « Mégot de l’ingérence » par le Comité national contre le tabagisme (CNCT) pour avoir publié une étude, financée par Philip Morris, qui s’avère être un plaidoyer pour une fiscalité avantageuse pour le fabricant. Le CNCT note aussi qu’avant les discussions du Projet de loi de finance de la sécurité sociale, l’Iref a organisé une formation à destination des parlementaires sur la fiscalité comportementale, en appui d’amendements favorables à Philip Morris France [11]. L’institut ne déclare pas ses activités de lobbying auprès de la HATVP, et sur son site internet, il est peu question d’actions auprès de décideurs [12]. En revanche, on peut y lire de nombreux articles sur des sujets de société, qui n’ont pas grand chose à voir avec l’économie ou la fiscalité, et défendant des points de vue très réactionnaires : le think tank va ainsi soutenir la liberté de port d’armes, s’opposer à l’inscription du droit à l’avortement dans la constitution [13], et voir dans la lutte contre le racisme ou les droits des personnes LGBT un « délire progressiste » [14]. L’institut critique aussi vivement toute politique environnementale, et continue à publier des articles niant la responsabilité des activités humaines sur les changements climatiques [15].
Soutenez l’Observatoire
Parce que le débat démocratique mérite mieux que la com’ du CAC 40.
Faites un donL’Iref est l’un des partenaires d’Atlas en France qui commente le plus l’actualité internationale et revendique son ouverture sur le monde : « Sa grande particularité dès le début c’est que c’est un institut européen, avec un site en trois langues (allemand, anglais, français), ce qui fait de nous un institut original qui ressemble un peu aux think tanks américains, explique Nicolas Lecaussin à Contrepoints. Le fait d’être européen nous donne plus de crédibilité (…). Des membres du conseil d’administration et du Conseil scientifique sont des gens des universités et des sociétés européennes allemandes, britanniques, suisses, italiennes, et qui nous donnent la possibilité de faire des comparaisons avec les autres pays. (…) On adore faire ça, nos lecteurs aussi, les journalistes français aussi [16]. »
Concernant l’actualité internationale, l’Iref se fait surtout le relais des combats du réseau Atlas : il se félicite ainsi du rejet du référendum sur les droits des communautés autochtones en Australie [17], étrille le projet de nouvelle constitution chilienne, reflet d’« un socialisme destructeur » [18], ou défend le bilan de Jair Bolsonaro au Brésil, « en demi-teinte mais globalement positif », en se basant pour cela sur un indice des libertés économiques de la Heritage Foundation [19]. Nicolas Lecaussin et l’Iref suivent également de près la politique américaine. Sans être de fervents supporters de Donald Trump et des aspects les plus protectionnistes de son programme, ils réservent l’essentiel de leurs critiques à Barack Obama et à Joe Biden, qualifié de « président des taxes, des impôts et des dépenses publiques » [20]. En Argentine, quand le président nouvellement élu Javier Milei et ses outrances inquiètent généralement les commentateurs, Nicolas Lecaussin le trouve seulement « atypique », et son discours ultra libéral à Davos fait l’objet d’un article enthousiaste sur le site de l’institut français : « Le discours du président Javier Milei au Forum de Davos : nos dirigeants devraient s’en inspirer [21]. » L’Iref publiera aussi des billets pour expliquer que Giorgia Meloni n’est pas fasciste [22], et se féliciter de sa décision de revenir sur le revenu social de base en Italie [23].
Le think tank est particulièrement virulent contre les « gauchistes », « islamo-gauchistes » et autres « communistes », comme en témoignent les titres aussi excessifs que racoleurs d’articles du site de l’Iref : « Canal Plus : des films de gauche désespérants », « L’idéologie islamo-gauchiste contrôle l’université française », « Une Miss France transgenre ? Le traditionnel concours cède au wokisme », « Voitures électriques, chauffage, enfants, viande, chiens et chats : l’écologisme veut diriger notre vie ». Le ton ressemble davantage à celui de tracts politiques que d’ articles de recherche.
Pourtant, comme dans le cas de l’Ifrap, lorsqu’un porte-parole de l’Iref intervient dans les médias, il n’est pas présenté comme un militant politique, et il est rarement précisé que l’institut est une organisation de la droite libertarienne conservatrice. Ainsi, aux yeux des lecteurs ou téléspectateurs, il peut apparaître comme un institut de recherche indépendant de toute idéologie. Ses porte-paroles disposent d’une bonne visibilité dans les médias de droite et d’extrême-droite et sur les chaînes d’information en continu comme BFM, RMC ou LCI. Jean-Philippe Delsol prend ainsi souvent la parole au nom de l’Iref, et s’il est présenté aussi comme avocat, ses liens avec Charles Millon, ses positions politiques ou le fait qu’il soit spécialiste des fusions-acquisitions plus que des finances publiques ne sont pas mentionnés.
Anne-Sophie Simpere
Infographie : Maria Boidin
—
Photo : CC BY-NC Mídia NINJA