FAF40

Bolloré, Musk, Stérin et tous les autres...
Ils investissent dans la haine. Investissez dans l'information indépendante !

0
6 047 €
25 000 €

Soutenez notre projet "FAF40" d’enquêtes sur l’extrême-droite, les grandes fortunes et les milieux d’affaires

Je fais un don !

Connivences

Le soutien jamais démenti des politiques à Bolloré

Depuis le début de sa carrière et jusqu’à aujourd’hui, Vincent Bolloré et son groupe ont pu compter sur de solides amitiés politiques, non seulement à droite de l’échiquier mais aussi au sein du parti socialiste. Extrait du rapport « Le Système Bolloré ».

Publié le 21 mai 2025

cc Copyleft

« Il se trouve que, dans ma situation, je rencontre beaucoup de gens. J’ai rencontré beaucoup de présidents de la République. J’ai commencé à connaître le général de Gaulle, je tutoyais Pompidou, avec qui je jouais aux cartes. Je ne parle pas de Nicolas Sarkozy ni de François Hollande. » C’est ainsi que Vincent Bolloré a décrit ses relations avec la classe politique à l’occasion d’une audition parlementaire en 2014.

Héritier d’une dynastie d’industriels bretons, Vincent Bolloré côtoie depuis son enfance des hommes d’affaires (Rothschild, Dassault…) mais aussi des politiques – son père Michel était un ami de Georges Pompidou. Ces liens transcendent le clivage entre la gauche et la droite : on retrouve dans l’entourage de Vincent Bolloré des politiciens des deux bords. Il compte ainsi parmi ses plus vieux amis (depuis plus de quarante ans) le socialiste Bernard Poignant, qui fut entre autres député, maire de Quimper, mais aussi conseiller du président François Hollande et soutien de la première heure d’Emmanuel Macron. Mais il a aussi noué des liens intimes avec Nicolas Sarkozy, à qui il prête son yacht au lendemain de son élection en 2007, ou son jet privé pour des vacances en Égypte la même année.

Cercles de pouvoir

L’homme d’affaires est donc parfaitement intégré dans le milieu politico-financier, que ce soit par des liens familiaux ou d’affaires. Il est l’ex beau-frère de Gérard Longuet, il tutoie Bernard Kouchner depuis plus de vingt ans, le père de Valérie Pécresse – Dominique Roux – est président de Bolloré Télécom pendant sept ans, tandis que la femme de Brice Hortefeux, Valérie Hortefeux, a siégé au conseil d’administration de Blue Solutions. Jean Glavany, ex ministre et collaborateur de François Mitterrand, a aussi siégé dix ans au comité stratégique du groupe Bolloré, et Michel Giraud, ex ministre d’Édouard Balladur, a cofondé la Fondation de la deuxième chance avec Vincent Bolloré. Michel Roussin, passé par les services de renseignement extérieur avant de s’engager auprès de Jacques Chirac puis d’être brièvement ministre de la Coopération dans le gouvernement Balladur, a aussi été vice-président du groupe Bolloré puis conseiller de son président.

Outre les relations personnelles de Vincent Bolloré, le groupe bénéficie aussi des réseaux de ses dirigeants. Gérald-Brice Viret, Directeur général des antennes et des programmes du groupe Canal+, est un proche de l’ancien ministre de la culture Franck Riester, et côtoie aussi David Lisnard côté républicains ou Jérôme Guedj côté socialistes, selon La Lettre. Arnaud de Puyfontaine, président du directoire de Vivendi et fidèle lieutenant de Bolloré, est lui aussi présent dans de nombreux cercles de pouvoir : Le Siècle, Le Polo de Paris, le Cercle de l’Union interalliée, l’Automobile Club de France ou encore la French American Foundation. Yannick Bolloré est lui aussi membre du Siècle.

Ministres et présidents se succèdent à Ergué-Gaberic

Du côté des politiques, s’afficher avec Vincent Bolloré et soutenir ses activités industrielles ne reflète pas que des relations amicales, mais aussi (et surtout ?) des intérêts politiques. Visiter les usines d’un grand groupe industriel national – qu’il s’agisse de celui de Bolloré ou d’un autre – permet de montrer que l’on soutient l’emploi, l’innovation française, le dynamisme économique du pays. En 1985, François Mitterrand martèle ainsi le message de la « France qui gagne » lors d’une visite en Bretagne où il passera par les sites Bolloré-Technologies à Ergué-Gaberic. En 2013, c’est le président François Hollande qui visite Ergué-Gaberic et les usines de batterie de la BlueCar, où Jean-Louis Borloo s’était déjà rendu en tant que ministre de l’Écologie en 2009, ainsi qu’Eric Besson, ministre de l’Industrie, en 2011. Beaucoup plus récemment, en mai 2024, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire se rend dans la même commune bretonne, et en profite pour annoncer le projet d’une gigafactory du groupe en Alsace.

Autre domaine dans lequel les politiques comptent sur le groupe Bolloré : le financement du cinéma, via Canal +. Le groupe est le premier financeur du cinéma français, avec des investissements annuels atteignant 220 millions d’euros (mais qui devraient baisser dans les années à venir). Le secteur est donc dépendant de l’entreprise, ce que les ministres de la Culture ne peuvent ignorer. Entrée en fonction en 2016, Audrey Azoulay explique avoir très rapidement reçu Vincent Bolloré « sur les sujets de création audiovisuelle et cinématographique » [1]. Au-delà des relations privilégiées de Canal+ avec le cinéma français, le groupe Bolloré peut plus généralement se targuer d’être un « champion » indispensable au rayonnement culturel français, avec par exemple des chaînes présentes dans plus de cinquante pays aujourd’hui.

La présence internationale du groupe Bolloré présente aussi en soi un intérêt pour les politiques. Du temps où il détenait les concessions portuaires et autres infrastructures en Afrique de l’ouest, il avait un intérêt stratégique pour les opérations de l’armée française, pour laquelle le groupe organisait le transport civil de troupes et d’équipements. Les affaires de Bolloré, sa proximité avec certains présidents africains dont il a accompagné la réélection (au Togo, en Guinée) font de lui un contact important vers les réseaux du continent, dont les dirigeants français ont pu vouloir profiter.

Interventions au sommet de l’État

Bien sûr, les liens entre Bolloré et les politiques ne bénéficient pas qu’à ces derniers. L’homme d’affaires y trouve aussi son compte. S’agissant de ses activités africaines, il s’est aussi servi des politiques pour le soutenir dans ses affaires et arracher des contrats face à des concurrents. Au Cameroun, par exemple, François Hollande serait intervenu auprès de Paul Biya pour soutenir l’octroi de la concession du port de Kribi au groupe Bolloré. Une intervention que l’ancien président a présentée comme « normale », et relevant de son activité de diplomatie économique, mais qui illustre les services réciproques rendus entre politiques et industriels.

Être proche des politiques offre d’innombrables avantages, plus ou moins visibles du grand public. Dans leur livre-enquête Vincent tout-puissant, Nicolas Vescovacci et Jean-Pierre Canet expliquent par exemple comment Bernard Poignant est intervenu auprès du secrétaire général de l’Élysée Jean-Pierre Jouyet et du ministre de l’Économie de l’époque, Emmanuel Macron, pour s’assurer que la Caisse des dépôts et consignations conserve ses parts dans la société Vivendi, et soutienne ensuite la prise de contrôle par Vincent Bolloré. C’est aussi via Bernard Poignant que Vincent Bolloré aurait directement appelé le député Patrick Bloche, en 2016, quand celui-ci était chargé d’une proposition de loi sur l’indépendance et le pluralisme dans les médias. Même si cet appel n’a pas forcément eu d’impact direct, l’homme d’affaire a bien eu un accès privilégié au législateur. Et il a conscience du poids que lui donne son groupe auprès des politiques : « Le premier problème est de savoir si vous voulez un champion national ou non », déclare-t-il lors d’une audition devant la commission de la Culture du Sénat, en 2016. « Si vous ne voulez pas d’un champion national, c’est assez simple : il suffit d’instaurer des mesures anti-concentration et les choses continueront comme aujourd’hui. » La loi Bloche ne contiendra pas de mesure sur la concentration des médias.

Soutenez l’Observatoire

Parce que le débat démocratique mérite mieux que la com’ du CAC 40.

Faites un don

Renversement des rôles

Cette proximité entre l’industriel et le politique – qui n’est pas spécifique au groupe Bolloré – devient particulièrement problématique dans la situation actuelle de contrôle de nombreux médias, chaînes de télévision, et maisons d’édition : les personnalités politiques peuvent craindre une exclusion de son champ médiatique, voire une campagne contre eux, s’ils critiquent le milliardaire. En 2023, quand Rima Abdul Malak s’inquiète des débordements de l’émission “Touche pas à mon poste” et appelle l’Arcom à s’en saisir, Cnews, le JDD et Paris Match enchaînent débats, articles et tribunes pour s’en prendre à la ministre de la Culture. À son pouvoir de capitaine d’industrie, sur l’emploi et la politique économique de la France, et à son pouvoir d’entreprise française à l’étranger (sur le « rayonnement » de la France) s’ajoute donc un pouvoir d’influence sur la teneur du débat public qui peut contribuer à assurer au milliardaire breton la passivité ou la bienveillance des politiques, même quand il n’a pas de liens amicaux ou d’affaire avec eux. 

Depuis quelques années, Vincent Bolloré s’implique de manière plus directe dans la vie politique, pour soutenir un projet de société libéral et réactionnaire. Il ne s’agit alors plus simplement de défendre ses intérêts, comme le font tous les hommes d’affaires. Il rencontrerait régulièrement Éric Ciotti qui, selon Le Monde, l’aurait consulté pour engager le rapprochement entre LR et le RN lors des législatives de juin 2024. Les médias Bolloré ont ensuite fait l’objet de plusieurs saisines de l’Arcom autour de leurs biais ou « fake news » en faveur de la droite et l’extrême-droite pendant la campagne électorale, et Libération a révélé que l’agence de communication Progressif Média, hébergée dans les locaux du JDD, a prêté main forte aux candidats de l’alliance LR-RN Cet engagement politique partisan tranche avec le réseau construit par l’homme d’affaires depuis des décennies pour s’assurer d’un large soutien politique.

Boîte Noire

Extrait du rapport « Le Système Bolloré » d’Attac France et de l’Observatoire des multinationales.

Notes

[1 Interview d’Audrey Azoulay, ministre de la Culture et de la Communication, invitée de Léa Salamé, dans la matinale de France Inter, le 15 novembre 2016 à 7h50.

À lire aussi

L’Observatoire est à votre écoute

  • Besoin d’éclaircissements ?
  • Une question ?
  • Une information à partager ?
Contactez-nous