Tout part d’une filiale d’EDF opérant loin des regards du grand public : EDF Trading. Celle-ci regroupe les activités de négoce du groupe et emploie environ de millier de personnes, principalement à Londres, où elle a son siège, et aux États-Unis. Comme beaucoup d’autres activités d’EDF hors de France, elle reste mal connue dans notre pays, et le gouvernement français semble ne s’y intéresser que lorsqu’il est temps d’encaisser les dividendes reversés à la maison mère. EDF Trading est chargée de l’achat et de la vente de charbon, de pétrole, de gaz et d’électricité pour le compte du groupe EDF, dont elle est filiale à 100%, ainsi que du négoce des crédits carbone. Elle mène aussi des opérations de trading en son nom propre. Son chiffre d’affaires pour 2014 s’élevait à 856 millions d’euros (contre 787 millions d’euros en 2013), pour un profit net de 386 millions d’euros (373 millions en 2013), dont elle a reversé 251 millions au groupe EDF sous forme de dividendes.
Quand EDF se réinvente en pétrolier texan
Pour optimiser ses activités de négoce, EDF Trading a été amenée à acquérir des infrastructures de transport et de stockage de charbon, de gaz et d’autres matières premières. Et désormais, elle a choisi d’acquérir et opérer directement ses propres opérations d’extraction de gaz. Pour ce faire, EDF Trading a créé une sous-filiale dédiée, EDF Trading Resources (ou EDFTR), dont le siège social est à Austin au Texas, et qui se présente comme une « compagnie indépendante d’exploration et de production de pétrole et de gaz naturel » ! Elle est dirigée par une petite équipe de cadres issus du milieu pétrolier texan. EDFTR ne possède en fait que deux zones d’opérations, l’une dans l’Est du Texas (environ 500 puits sur 120 kilomètres carrés), l’autre en Pennsylvanie, dans le comté de Greene, qui correspond à la formation de gaz de schiste de Marcellus (sur 80 kilomètres carré).
Dans ce qui apparaît comme une version provisoire de son « Rapport développement durable 2014 » accidentellement mise en ligne [La première version de cet article incluait un lien vers un fichier qui a été retiré depuis du site web de l’entreprise, voir la note de mise à jour en bas de page], EDF reconnaissait recourir à la fracturation hydraulique en Pennsylvanie. « Le premier forage est prévu fin 2014-début 2015. Le projet est en phase de développement (préparation pour le premier forage et acquisition de droits fonciers) », précisait ce document [1]. Le site web d’EDF Trading Resources évoque quant à lui 45 puits en Pennsylvanie.
L’Est du Texas est lui aussi une zone d’exploitation de gaz de schiste (formation de Haynesville), mais EDF ne dit pas explicitement si elle y recourt ou non à la fracturation hydraulique. Ces puits ont été achetées à la firme canadienne Encana en 2012. Et d’autres investissements pourraient être sur les rails puisqu’EDF Trading a également signé en 2013 un protocole d’accord avec l’entreprise énergétique indienne GAIL pour rechercher conjointement des concessions de gaz de schiste à acquérir aux États-Unis.
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Faites un donUne activité controversée
EDF assure que ses forages par fracturation hydraulique seront développés « selon les plus hauts standards industriels ». Mais pour ses opérations en Pennsylvanie, il a choisi un partenaire qui n’a rien de rassurant : Alpha Natural Resources, une entreprise spécialisée non dans le gaz de schiste, mais dans le charbon. Et notamment dans la pratique dite du « mountaintop removal », consistant à faire exploser le sommet des montagnes dans la chaîne des Appalaches pour en extraire plus facilement du charbon (lire notre enquête). Alpha Natural Resources a écopé en 2014 d’une amende record de 227,5 millions de dollars, la plus importante jamais infligée dans le secteur du charbon par l’Agence fédérale de protection de l’environnement (EPA). En cause, le déversement illégal de millions de litres de déchets toxiques dans les cours d’eau de Virginie occidentale. Ce qui n’augure pas forcément bien de l’impact environnemental des forages d’EDF en Pennsylvanie. La région de Marcellus est l’un des exemples les plus emblématiques et les plus controversés des risques de l’exploitation du gaz de schiste pour les ressources en eau. Plusieurs études ont confirmé la pollution des eaux souterraines de la région du fait de la fracturation hydraulique, et même l’Agence fédérale de l’environnement a récemment reconnu des problèmes [2]
La France, propriétaire d’EDF, a pourtant interdit la fracturation hydraulique en 2011 et, pour l’instant, le gouvernement tient bon face aux pressions des lobbies industriels qui souhaitent revenir sur cette mesure. À l’époque où il était PDG de l’entreprise, Henri Proglio est même réputé avoir fait pression contre l’exploitation du gaz de schiste en Europe, au contraire de la plupart de ses homologues des grands groupes énergétiques du continent, apparemment parce qu’il en craignait la concurrence vis-à-vis du nucléaire. EDF est aussi ostensiblement absente du « Centre hydrocarbures non conventionnels », le lobby récemment créé par les grands groupes du CAC40 pour promouvoir la cause des gaz et pétroles de schiste en France.
Le TAFTA et les exportations de gaz en filigrane
En juillet dernier, EDF avait déjà subi une avalanche de critiques lorsqu’il avait été annoncé qu’elle avait conclu avec Cheniere un contrat d’achat de gaz naturel liquéfié en provenance des États-Unis, pour partie issu de gisements de schiste. Dans le cadre de ce contrat, EDF importera jusqu’à 770 000 tonnes de gaz à partir de 2016. Cheniere est en train d’achever la construction d’un terminal de liquéfaction géant sur la côte de la Louisiane pour faciliter ces exportations. Le secteur du schiste américain est en crise en raison de la surproduction domestique de gaz et de la chute des prix qui s’en est suivie. Les industriels misent désormais sur les marchés d’exportation, l’Asie et peut-être l’Europe, pour se relancer, suivi en cela par quelques grands groupes européens.
La question de la libéralisation des exportations de gaz est ainsi au cœur des projets d’accords commerciaux trans-pacifique (TPP), pour l’Asie, et transatlantique (TAFTA/TTIP), pour l’Europe [3]. Engie (ex GDF Suez) est partie prenante d’un autre projet d’usine géante de liquéfaction de gaz sur la côte de Louisiane, Cameron LNG. Ce secteur d’activités intéresse aussi évidemment au premier chef EDF Trading. Plus qu’un galop d’essai à visée purement expérimentale, comme le suggère la maison mère dans son rapport de développement durable, l’entrée d’EDF dans la production de gaz de schiste se veut aussi peut-être une option stratégique de plus long terme.
EDF vient de se voir désigner sponsor officiel de la Conférence climat (COP21) qui doit se tenir à Paris à la fin de l’année, malgré ses investissements substantiels dans les énergies fossiles et notamment dans le charbon [4]. Pour justifier leur choix, les autorités françaises ont argumenté qu’au moins EDF et les autres entreprises choisies avaient pris des engagements en termes de transition énergétique et de passage à une économie « décarbonée ». Avec la décision d’investir dans le gaz de schiste – qui émet autant de gaz à effet de serre que le charbon en raison des fuites de méthane-, on prend plutôt le chemin inverse.
Olivier Petitjean
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Photo :Simon Foot cc by-nc-nd