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Discriminations

Pourquoi Trump s’attaque-t-il aux programmes de diversité, équité et inclusion ?

À travers les programmes de « diversité, équité et inclusion » (DEI), Donald Trump cible surtout un symbole, qui renvoie à l’héritage du mouvement des droits civiques et plus récemment au mouvement « Black Lives Matter ».

Publié le 16 mai 2025 , par Clarisse Dooh

Elvert Barnes, cc by-sa

Le 19 mars dernier, l’EEOC ou « Commission pour l’égalité des chances en matière d’emploi », agence fédérale américaine chargée de faire respecter les lois contre les discriminations dans le monde professionnel, a publié un communiqué de presse déclarant vouloir avertir le public au sujet des mesures de « diversité, équité et inclusion » (DEI), que l’agence présente comme « discriminatoires ». Par un étrange retournement, des politiques conçues pour lutter contre les discriminations sont désormais elles-mêmes condamnées par l’administration Trump comme discriminatoires. Comment en est-on arrivé là ?

L’aversion actuelle des Républicains pour les politiques d’inclusion et de diversité vise en réalité un pan essentiel de l’histoire américaine récente et notamment les acquis du mouvement pour les droits civiques. Le « Civil Rights Act », promulgué par le président Lyndon Johnson, a consacré en 1964 la fin des discriminations dans le monde professionnel et dans l’espace public. Le titre VII rend illégale toute discrimination à l’embauche liée à l’appartenance ethnique, l’orientation sexuelle ou la confession religieuse. En 1965, le « Voting Rights Act » est adopté dans le but d’abolir les discriminations sur le droit de vote lié à « des raisons raciales ».

De l’affirmation des droits aux mesures concrètes

À partir des années 1970, ces politiques sont étendues à l’ensemble des droits sociaux, économiques et culturels avec par exemple l’« Educational Act » de 1972, qui garantit une meilleur égalité des sexes dans les établissements scolaires ou bien le « Americans with Disabilities Act » (ADA), adopté en 1990, qui condamne toute discriminations liée au handicap, dans les espaces publics comme dans la vie professionnelle. Les communautés LGBTQ ont elles aussi finalement vu leurs droits consacrés en 2020, avec l’affaire Bostock V. Clayton County. En 2013, Gerald Bostock, un coordinateur des services sociaux de l’enfance, dans le comté de Clayton (Géorgie) avait été licencié au simple motif de son orientation sexuelle – licenciement ensuite validé par la Cour Suprême de Georgie. Ce n’est qu’en juin 2020 que la Cour suprême fédérale lui a finalement donné raison, estimant qu’il y avait bien eu une violation du Titre VII du Civil Rights Act.

Dès 1961, les dispositifs d’affirmative action (discrimination positive en français) ont fait leur apparition sous le mandat de John F. Kennedy. Celui-ci signe notamment le décret 10925, dont l’objectif est de « de prendre des mesures pour assurer que des personnes soient recrutées et respectées durant leur carrière professionnelle, sans distinction de race, de croyance ou d’origine nationale » au niveau de l’administration fédérale et de ses prestataires. Ces mesures sont progressivement étendues et systématisées à partir de la fin des années 1960. Elles occupent notamment une place importante et controversée dans les politiques d’admission des universités.

Au début du XXIe siècle, les politiques de lutte contre la discrimination gagnent la sphère économique avec par exemple la mise en place de programmes de formation dédiés, dans le but d’instaurer des environnement plus inclusifs et diversifiés dans le monde professionnel. En plus de former les employés pour leur apprendre à valoriser ces diversités, ces programmes visent aussi à inclure les groupes minoritaires dans les stratégies commerciales des entreprises [1].

Un tournant a lieu en 2020 avec le mouvement « Black Lives Matter » qui pousse les grandes entreprises américaines à accélérer leurs efforts en matière d’inclusion. Le décès de George Floyd aux mains d’un policier à Minneapolis provoque des remous dans tout le pays, avec des manifestations contre les injustices raciales. De nombreux groupes annoncent dans la foulée des mesures pour accueillir davantage de personnes noires ou d’autres minorités dans leurs instances dirigeantes. D’autres promettent de promouvoir les « entreprises appartenant à des personnes noires » (black-owned businesses). Amazon lance par exemple en 2021 le dispositif « Black business accelerator », dans le but de donner aux commerçants afro-américains les moyens de développer leurs entreprises sur sa plateforme. La chaîne française Sephora, propriété de LVMH, lance la même année un programme du nom de « « Accelerate » » afin de promouvoir des marques lancées par des personnes issues des minorités ethniques.

Diversité de façade ?

Très tôt, les grandes entreprises ont été accusées de se saisir des politiques de diversité avant tout pour soigner leur image de marque, sans vraiment chercher à améliorer leurs pratiques internes. Le phénomène connu sous le nom de « tokenism » ou « diversité de façade » en français, est identifié dès 1977 par Rosabeth Mose Kanter, enseignante en management à Harvard. Il désigne la stratégie de certaines entreprises consistant à mettre en avant quelques individus issus de diverses minorités sociales, non pour garantir une inclusion durable des minorités concernées mais pour se donner l’apparence d’un engagement en faveur à l’inclusion.

Le même reproche a été entendu dans le contexte de l’affaire George Floyd. Pepper Miller, consultante de Chicago experte dans les questions de diversité a estimé ainsi auprès de la BBC en 2020, que bien que beaucoup d’entreprises se soient hâtées d’utiliser le hashtag du mouvement Black Lives Matter #BLM, certaines « n’exprimaient pas le même enthousiasme dans leurs salles de réunion ». En 2020, sur 500 grandes entreprises étatsuniennes, seulement quatre étaient dirigées par des personnes issues des minorités (elles étaient huit en 2023). « Les entreprises doivent élaborer des plans à long terme pour l’inclusion sociale et l’égalité raciale, qui vont au-delà des simples déclarations comme “nous soutenons les personnes noires” », insistait l’experte.

Un constat partagé par la sociologue française Laure Bereni : « Je dirais que ces politiques de DEI des entreprises ont eu des effets principalement symboliques. Ce sont surtout des discours, des procédures qui permettent d’affirmer l’engagement authentique des grandes entreprises en la matière, mais qui ne les conduisent pas réellement à se réformer structurellement. »

Retours de bâton

Ce sont souvent les mesures adoptées à ce moment-là que les multinationales américaines se sont empressées d’abandonner, au bout de quelques années seulement, en réponse aux injonctions de l’administration Trump. Goldman Sachs avait ainsi promis en 2021 avec un programme comme « One Million Black Women » (« Un million de femmes noires ») d’investir 100 millions de dollars dans des actions philanthropiques, plus particulièrement des projets réalisés par des femmes afro-américaines. Le Wall Street Journal a signalé récemment que le titre du programme avait été changé. Il se nomme maintenant « Essor et nouvelle opportunité ». Selon le média Quartz, un cadre supérieur de la banque a révélé que le programme ne s’adressera plus seulement aux femmes noires, mais à toute personne ayant un faible revenu, voire un revenu moyen.

Cependant, les grandes entreprises doivent encore jongler entre l’injonction gouvernementale de démantèlement des programmes de diversité et l’intégration des minorités en leur sein, par crainte de faire face à la colère de leurs salariés. « Les entreprises ont très peur qu’il y ait des actions collectives qui portent plainte pour discrimination, donc elles essaient de garantir l’équité de traitement », souligne ainsi Christine Neschberger, enseignante dans le département « Etudes organisationnelles et éthique » d’Audencia.

Sans parler des consommateurs noirs et latinos, qui représentaient à eux seuls 4700 milliards de dollars de pouvoir d’achat en 2023, et qui pourraient se retourner contre les entreprises trop promptes à abandonner leurs engagements en matière de diversité. L’enseigne de grande distribution Target l’a appris à ses dépens. Basée à Minneapolis, la ville de George Floyd, elle avait affiché son soutien dès 2020 à la lutte contre les discriminations en mettant en place un programme de promotion de fournisseurs issus de la diversité. Faisant marche arrière, elle a officiellement abandonné ce programme en janvier dernier, poussant de nombreux mouvements anti-racistes à appeler au boycott de ses magasins. Ce qui n’a pas manqué en retour de provoquer l’inquiétude de certains des fournisseurs en question, qui continuent en réalité à approvisionner Target. « Si nous décidons tous de boycotter en se disant que nous allons pas dépenser notre argent dans ces commerces, je comprendrais, mais beaucoup d’entre nous serons touchés et nos ventes et nos commerces tomberont », a ainsi souligné Tabitha Brown, influenceuse végane connue, auprès du New York Times.

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Du grain à moudre pour le mouvement MAGA

Si l’administration Trump consacre autant d’énergie politique à faire la chasse aux programmes DEI, malgré leur caractère largement symbolique, c’est sans doute aussi et surtout pour soigner sa popularité parmi les électeurs ultra-conservateurs et racistes.

Tourné en dérision et méprisé, le concept de DEI est devenu un « dog whistle » (appel du pied en français) pour une partie de l’extrême droite américaine, abondamment employé par les Républicains contre leurs adversaires et souvent de manière outrancière. Donald Trump a ainsi accusé ses prédécesseurs, Barack Obama et Joe Biden, et l’agence gouvernementale chargée du secteur aérien Federal Aviation Administration (FAA), d’être responsables du crash d’avion qui a eu lieu en janvier 2025 à Washington en raison de leurs politiques d’inclusions. En juillet 2024, le New York Post avait publié un article avec pour titre « America may soon be subjected to the country’s first DEI president : Kamala Harris » (en français : « L’Amérique pourrait bientôt être assujettie à la première présidente DEI : Kamala Harris »), insinuant que c’est grâce à ses origines indiennes et jamaïcaines que Kamala Harris a été désignée candidate démocrate.

Sous la pression des Républicains mais aussi d’une partie de l’opinion publique, l’abandon d’une partie des politiques DEI avait en réalité déjà commencé avant même la réélection de Donald Trump. L’État de Floride s’est lancé dans une véritable croisade sur ces questions, avec l’adoption dès 2021 du Stop WOKE Act (Stop Wrong Our Kids and Employees Act, ou en français « Arrêter de nuire à nos enfants et employés ») rebaptisé Individual Freedom Act (en français « Loi sur la liberté individuelle »), qui interdit toute référence critique aux questions de diversité, de discrimination et d’équité dans les établissements d’enseignement et sur les lieux de travail.

De même, en 2023, la Cour suprême a rendu une décision mettant fin aux dispositifs de « discrimination positive » consistant à intégrer plus d’étudiant noirs et latinos dans les universités. Ces dispositifs avaient déjà une image assez négative dans l’opinion américaine, avec seulement 33% d’avis favorables contre 50% de défavorables, selon une étude publiée par le Pew Research Center en juin 2023. « Par rapport à l’ « affirmative action », il y eu des conséquences assez négatives, dont une montée du racisme. Des études sociologiques en parlent », confirme Christine Naschberger.

En menant sa guerre contre la diversité, Donald Trump et ses alliés jouent ainsi sur le sentiment « anti-woke » et le racisme plus ou moins latent d’une partie de son électorat. Une manière de détourner l’attention des politiques de coupes drastiques dans l’administration fédérale et dans les budgets sociaux qu’ils mettent en œuvre en parallèle, et dont les effets risquent d’être beaucoup moins populaires.

Article publié par Clarisse Dooh

Notes

[1Lire cet article sur l’histoire des politiques de diversité en entreprise.

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